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    5 questions sur la journée moscovite de François Hollande

    Créé le 28-02-2013 à 14h26 - Mis à jour à 16h46   lien

    Le président est venu parler Syrie, économie et sans doute armements dans la capitale russe. Mais Depardieu et les droits de l'Homme n'étaient pas loin.

     

    François Hollande et Vladimir Poutine au Kremlin (ALEXANDER ZEMLIANICHENKO / POOL / AFP)

    François Hollande et Vladimir Poutine au Kremlin (ALEXANDER ZEMLIANICHENKO / POOL / AFP)

    François Hollande est à Moscou, ce jeudi 28 février. Une visite officielle de 24 heures lors de laquelle il devait rencontrer en tête-à-tête Vladimir Poutine pour renforcer leurs liens personnels et traiter de quelques sujets clés tels que la situation en Syrie, le nucléaire iranien, mais aussi le renforcement des liens économiques entre les pays, la Russie étant notamment dans le tiercé de tête des importateurs d'armes françaises.

    Voici point par point les enjeux de la rencontre :

    • LA SYRIE

    François Hollande a voulu se montrer optimiste sur le règlement du conflit syrien peu avant sa rencontre avec le président Poutine. Dans une interview à la radio Echo de Moscou il évoquait la possibilité de trouver une solution politique "dans les prochaines semaines". "Depuis huit mois, la situation s'est encore dégradée en Syrie et nous avons maintenant, avec le président Poutine, la même conviction qu'il faut hâter, accélérer la transition politique", a-t-il ajouté dans des déclarations à des chaînes de télévision françaises.

    "Nous avons des nuances, mais ça fait partie de la qualité de la relation entre la France et la Russie de les dire. Nous devons les régler parce qu'il y a besoin de la Russie pour trouver une issue politique qui est attendue depuis trop longtemps" en Syrie, a-t-il poursuivi. "Beaucoup va dépendre de la position du président Poutine", a souligné François Hollande.

    Une position prolongée lors de la conférence de presse commune des deux présidents, lors de laquelle les deux hommes ont affirmé ne pas avoir, certes, trouvé de terrain d'entente, mais avoir pu discuté franchement de la situation et même trouvé une concordance "d'objectif". "Nous devons trouver pour l'opposition une personnalité acceptable avec laquelle discuter" au sein du régime a ainsi affirmé François Hollande.

    • LES INVESTISSEMENTS RUSSES EN FRANCE

    "L'enjeu est simple : être davantage présent sur le marché russe, exporter davantage, créer des emplois, attirer des capitaux russes en France", a déclaré François Hollande lors d'une rencontre avec des hommes d'affaires organisée par la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe. "Nous devons attirer des investissements parce que nous avons besoin d'emplois", a-t-il insisté, estimant que l'Etat devait "faciliter ces implantations".

    "En ce qui concerne les capitaux, pour faciliter leur investissement en France, nous avons pensé qu'il serait souhaitable qu'il y ait avec la Caisse des dépôts et un fonds souverain russe, ou plusieurs, un partenariat de manière à ce que nous puissions développer les investissements", a annoncé le chef de l'Etat.

    Pour encourager les investissements russes, François Hollande a jugé qu'il fallait "faciliter les visas" pour les investisseurs reconnaissant "une sorte de suspicion à l'endroit des investissements [russes, NDLR] que cet argent ne serait pas forcément le plus pur possible".

    "Nous avons des règles (...) Nous appliquerons ces règles sans considérer qu'il y aurait une fatalité qui toucherait tel ou tel pays", a-t-il indiqué. La Russie est le quatrième partenaire commercial de la France et les échanges entre les deux pays ont progressé de 15% en trois ans, a souligné le président français.

    • VENTES D'ARMES 

    Plusieurs rendez-vous d'affaires étaient donc prévus lors de cette journée moscovite du président français et de quatre de ses ministres. La question des ventes d'armements sera-t-elle abordée ? La Russie est dans le trio de tête des acheteurs d'armes du marché français avec les Etats-Unis et l'Inde en 2011.

    Le président français est accompagné ce jeudi d'une quinzaine de dirigeants d'entreprises parmi lesquels des représentants de Thalès qui travaille d'ores et déjà avec Rosoboronexport. Si les chiffres de 2012 ne sont pas encore connus, en 2011, la Russie a dépensé quelque 946,9 millions d'euros en matériel militaire français. 

    • LES DROITS DE L'HOMME

    Last but not least, la question des droits de l'Homme en Russie est un sujet agité par les ONG en marge de la visite de François Hollande en Russie. Le président doit recevoir des représentants de la société civile dans l'après-midi à l'Ambassade de France. Selon Human Rights Watch (HRW), le Kremlin a mené l'an dernier contre la société civile russe les pires répressions "dans l'histoire de la Russie post-soviétique". Mais les droits de l'Homme ne sont pas au programme officiel de la rencontre de François Hollande avec le président russe.

    "Avec le président Poutine, il y a une chose qui est certaine, c'est que nous parlerons de tout", avait assuré dans la matinée le chef de l'Etat français. Mais on l'interrogeait alors sur la possibilité qu'il aborde la question de l'émigration de Gérard Depardieu...

    Interrogé au cours de la conférence de presse commune des deux chefs de l'Etat, François Hollande a expliqué avoir évoqué la question des droits de l'homme avec son homologue russe. Estimant ne "pas avoir à juger", François Hollande a affirmé toutefois avoir l'habitude de soulever des problèmes "pour qu'ils soient réglés" et "non seulement évoqués".

    Vladimir Poutine a quant à lui rejeté les accusations d'attaques contre les droits de l'homme en évoquant des attaques partisanes, 2012 ayant été une année électorale.

    • LE CAS DEPARDIEU

    Invité surprise. Evoquant l'octroi de visas aux chefs d'entreprise et investisseurs russes qu'il entend faciliter, François Hollande a observé jeudi : "Autant il nous faut limiter l'immigration, autant il ne faut pas décourager un investisseur, un chef d'entreprise russe et je dirais même aussi un artiste, une personnalité, de venir en France". "Nous laissons bien toutes les personnalités venir en Russie", a-t-il enchaîné dans une claire allusion à Gérard Depardieu.

    Le comédien, qui s'était vu offrir en janvier la nationalité russe par Vladimir Poutine en personne, après une polémique autour de sa décision de rechercher un exil fiscal en Belgique, anime en effet les conversations en marge de la visite de François Hollande

    Céline Lussato avec AFP


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  • Accueil > Monde > Benoît XVI : "Je ne serai plus pape mais pèlerin"

    Benoît XVI : "Je ne serai plus pape mais pèlerin"

    Créé le 28-02-2013 à 12h31 - Mis à jour à 18h19    lien

    A quelques heures de sa renonciation officielle, Benoît XVI a quitté le Vatican pour sa résidence d'été de Castel Gandolfo. Il a remercié les fidèles pour leur "amour" et leur "soutien".

     

     (Capture d'écran/BFM TV)

    (Capture d'écran/BFM TV)
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    Les photos

    Le pape Benoît XVI, qui abandonne à 20 heures ce jeudi 28 février sa charge de chef de l'Eglise catholique,  a envoyé un dernier tweet quelques minutes avant son départ en hélicoptère du Vatican : "Mettez le Christ au centre de vos vies", écrit-il .

    "Merci pour votre amour et pour votre soutien. Puissiez-vous expérimenter toujours la joie de mettre le Christ au centre de votre vie !", a déclaré le pape dans le message posté à 17H02 (heure française) sur son compte appelé @pontifex, trois heures avant l'entrée en vigueur de sa démission historique. 

    Benoît XVI a quitté jeudi après-midi le Vatican en hélicoptère pour se rendre à sa résidence d'été de Castel Gandolfo, à une trentaine de kilomètres de Rome. "Je ne suis plus pape", a-t-il lancé avant de se reprendre : à 20H00, "je ne serai plus pape mais seulement un pèlerin qui entame l'ultime étape de son pèlerinage sur terre". Arrivé là-bas, il a lancé au balcon a dit qu'"il ne serait plus pape mais un pèlerin", dans son dernier salut adressé à des milliers de fidèles catholiques et habitants enthousiastes à Castel Gandolfo. 


    L'ultime bénédiction du Pape Benoît XVI par LeNouvelObservateur

    "Obéissance inconditionnelle"

    Jeudi matin, Benoît XVI s'était exprimé pour la dernière fois devant les cardinaux de la curie dans la salle Clémentine du palais apostolique.

    Il a notamment promis son "obéissance inconditionnelle" à son successeur : "Parmi vous se trouve le prochain pape, auquel je promets déférence et obéissance inconditionnelle", a-t-il déclaré dans une brève déclaration à quelques heures de la prise d'effet de sa démission historique, ajoutant qu'il serait proche d'eux "par la prière" lors du prochain conclave. Au cours de l'intervention diffusée sur les télévisions du monde entier, Joseph Ratzinger a également fait allusion aux scandales qui ont émaillé les huit années de son pontificat, évoquant des "moments très beaux et des moments où il y a eu quelques nuages dans le ciel".

    Portant sur les épaules la mosette (courte pèlerine) rouge bordée de fourrure blanche, il a souhaité que les cardinaux soient "un orchestre" dont "les diversités concourent à l'harmonie" de la réalité plus élevée de l'Eglise. Il a exprimé ses remerciements pour "la proximité", "les conseils" et la "grande aide" qu'ils lui ont procurés.

    L'intégralité des adieux du pape au collège des cardinaux à visionner ici :

     

    Une Eglise qui "ne cesse de se transformer"

    Le pape a aussi tenu à exprimer "ce qui lui tenait particulièrement à coeur": que "l'Eglise n'est pas une institution mais une réalité vivante, qui avance avec le temps et ne cesse de se transformer". L'Eglise "est dans le monde mais n'est pas du monde", a-il encore ajouté.

    Assis sur des fauteuils en face de lui, les princes de l'Eglise avaient le visage grave. Ils se sont ensuite levés pour aller le saluer. Quelques cardinaux étaient courbés par l'âge ou en fauteuil roulant. Beaucoup pleuraient ou étaient au bord des larmes, en baisant l'anneau papal, en lui serrant les mains et en échangeant quelques mots. 

    Le pape était arrivé dans la salle Clémentine à petits pas, les traits tirés par la fatigue, et s'était assis sur un petit trône doré recouvert de velours rouge. Il pouvait voir en face de lui une superbe fresque montrant la barque de l'Eglise dans la tempête. Thème auquel il a fait allusion devant 150.000 fidèles, mercredi, lors de ses adieux sur la place Saint-Pierre. 

    Hommage des cardinaux

    Le doyen du Sacré collège, le cardinal Angelo Sodano, lui a rendu hommage : "Avec une grande fébrilité, les pères cardinaux présents à Rome se rassemblent aujourd'hui autour de vous, pour vous manifester encore une fois leur profonde affection pour votre témoignage d'abnégation dans le service apostolique, pour le bien de l'Eglise du Christ et de l'humanité entière". 

    L'ancien bras droit de Jean Paul II a remarqué : "Vous vous apprêtez à nous laisser, en attendant que le gouvernail de la barque de Pierre passe en d'autres mains. La continuité apostolique se poursuivra, celle que le Seigneur a promis à son Eglise". 

    Le cardinal Bertone, 78 ans, actuel numéro deux du Vatican, va se charger d'assurer l'intérim au sommet de l'Eglise catholique. S’ouvre alors une période dite de "siège vacant", pendant laquelle aucune décision importante ne peut être prise.


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  • Accueil > Stéphane Hessel > L'incroyable Monsieur Hessel

    L'incroyable Monsieur Hessel

    Créé le 27-02-2013 à 09h59 - Mis à jour à 10h00  lien

    En février 2011, Stéphane Hessel recevait "Le Nouvel Observateur" à l'occasion du succès de son livre "Indignez-vous !" et de la sortie d'"Engagez-vous !". Portrait.

     

    Stéphane Hessel, le 19 janvier 2012 à Nantes. (PATRICK KOVARIK/AFP)

    Stéphane Hessel, le 19 janvier 2012 à Nantes. (PATRICK KOVARIK/AFP)
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    En février 2011, Stéphane Hessel, mort mercredi 27 février, recevait "Le Nouvel Observateur" à l'occasion du succès de son livre "Indignez-vous !" et de la sortie d'"Engagez-vous !".

     

    Dans son petit appartement du 14e arrondissement, Stéphane Hessel reçoit avec le même sourire qu'on lui voit sur les photos des journaux. Il est devenu son propre attaché de presse. C'est lui qui sort un petit agenda de la poche de son costume, prévient qu'à déjeuner il est pris, regarde la montre plusieurs fois pendant l'entretien. Sa femme, Christiane, qu'il appelle "mon amour", se retranche dans la chambre. Lui s'installe dans le canapé en cuir usé, les poings sur ses genoux. Prêt. C'est un diplomate, qui maintient le même sourire pendant toute l'interview. Les questions lui ont été posées des centaines de fois déjà. Sa vie tient dans un discours rôdé dont il a décidé qu'il ne recèle pas de mystère puisqu'il en possède toutes les clés. Le téléphone sonne toutes les dix minutes, il décroche, décline l'invitation, s'excuse : "Mais je serai de tout coeur avec vous !" Puis reprend son récit exactement là où il l'a laissé. Comme un bagage déjà ficelé, emballé dans sa mémoire.

    Une mère libre

    C'est sa ligne depuis toujours, pas de morale. "Parce que l'inconvénient de la morale, c'est qu'elle est toujours celle des autres", dit-il. Alors il préfère avoir "une éthique, propre, animée par des valeurs fortes". La nuance est précieuse, c'est la clé de son existence, un héritage maternel. Pour le comprendre, il dit qu'il faut "nécessairement passer par elle". Helen, sa mère. D'ailleurs, étrange travail que celui du temps. Il est assis au fond de son canapé en cuir et offre à 93 ans un visage où elle apparaît. Comme si, au fil des décennies, il s'était empli des traits d'Helen. Elle surgit dans le sourire accompli de son fils. Et c'est encore elle qui a gagné le regard de cet homme, où la couleur a disparu, comme pour laisser entrer la lumière. A croire que Stéphane Hessel porte ainsi les stigmates physiques d'une vieille promesse faite à sa mère. Car Helen avait exigé de son petit Stéphane qu'il soit "heureux, pour rendre les autres heureux". Elle avait ajouté qu'il lui faudrait apprendre la modestie, que pour rendre celle-ci seyante "il faut qu'elle accompagne le succès" (1). Lui aurait décroché la lune pour cette femme qu'il n'a jamais appelée maman. S'il obtient son bac dès 15 ans, c'est d'ailleurs pour épater sa mère. Pour briller, comme Helen elle-même se l'était ordonné durant son enfance. Pour ne pas faillir.

    Née dans une famille berlinoise protestante à la fin du XIXe siècle, la petite Helen Grund grandit avec ses quatre frères et soeurs dans un cadre apparemment rigoriste et ordonné. Dans la biographie que lui consacre Marie-Françoise Peteuil (2), "Helen rapporte qu'enfant c'est toujours en trombe qu'elle gravissait les quatre étages qui la ramenaient vers l'appartement familial. Mais elle s'arrêtait brusquement, quelques marches avant d'arriver". Parce que, derrière la porte, il y a une mère, terrassée par les infidélités répétées de son mari. Et aussi la servante, avec sa fille, dont le père est aussi celui d'Helen. Ultime affront qui plonge la mère dans une folie définitive. Adultes, deux des frères et soeurs d'Helen se suicideront, alors qu'un autre deviendra fou.

    Helen sera toute sa vie comme sur un fil, un risque en quête de passion. Mais Stéphane Hessel préfère voir une Helen forte et résiliente, qui aurait tiré du modèle paternel un goût définitif pour la liberté et le bonheur. Qui ne subit pas, mais agit. C'est un "choix", et "je n'en démords pas", tranche-t-il. Helen est cette femme multiple, amoureuse du monde et de ses mouvements, amie du poète Rainer Maria Rilke, de l'auteur du "Meilleur des mondes" Aldous Huxley, du peintre Max Ernst, journaliste de mode dans les années 1920 et 1930, traductrice du "Lolita" de Nabokov à la fin de sa vie.

    En 1912, elle rencontre Franz Hessel, issu d'une famille bourgeoise juive d'origine polonaise, à Paris. Il veut l'épouser, sans l'annexer, promet de la rendre libre. Ils ont deux enfants. Stéphane a 3 ans quand son père accepte qu'Helen tombe dans les bras de son meilleur ami. Elle est amoureuse d'Henri-Pierre Roché, qui a l'habitude de tout partager avec Franz. C'est le début d'une aventure triangulaire complexe et douloureuse, que François Truffaut racontera plus tard dans "Jules et Jim". "Moi, que ma mère vive avec un autre homme, cela me convenait, dit Stéphane Hessel. Ils s'aimaient. Et mon père ne considérait pas que c'était immoral". Et surtout le jeune Hessel a cette conviction que, "de Franz, Pierre et moi, le plus aimé d'Helen c'était moi". En 1933, l'histoire se termine mal. Helen découvre que Roché s'est secrètement marié, qu'il a un fils. Elle le menace au revolver, il la boxe. Dans le manuel d'histoire-géo qu'il s'amuse alors à rédiger, Stéphane Hessel met à jour son archipel "Hesselland", dont toutes les îles portent le nom d'un membre de la famille. Et "Pedroland, celle d'Henri-Pierre Roché, disparaît, engloutie par un raz de marée".

    Le besoin de séduire

    Helen, d'abord. Stéphane Hessel dit n'avoir aimé qu'elle, "éperdument", jusqu'à son adolescence. Elle, qu'il décrit avec ses "traits d'Aphrodite, avec ses yeux bleus et ses longs cheveux blonds, sa tendresse fougueuse et son besoin de séduire". A 12 ans, il se souvient qu'Helen lui donne à lire "Corydon", d'André Gide, dans l'appartement de Roché. Elle suggère même à son fils de faire l'expérience d'une relation homosexuelle "pour bénéficier ainsi de la tendresse et de la sagesse d'un partenaire socratique". Ce qui ne le tente pas.

    Stéphane Hessel raconte un premier détachement à l'âge de 17 ans, alors qu'il rentre d'Angleterre, où il a suivi les cours de la London School of Economics. Helen lui présente une jolie jeune fille de 12 ans : "C'est de sa mère, qui a deux fois mon âge, que je tombe immédiatement amoureux". Jeanne, 34 ans, belle-soeur d'Aldous Huxley, prend en charge l'initiation amoureuse du jeune Hessel, qui dans le même temps "apprend à penser" au lycée Louis-le-Grand. "Là, je n'étais plus sous la coupe d'Helen". En 1938, à la terrasse d'un café de la rue Royale à Paris, Stéphane dit à Jeanne sa naïve joie : les accords de Munich viennent d'être signés, la guerre est évitée. A la même période, Stéphane Hessel, alors en fin de khâgne, fait la connaissance de celle qui sera l'autre "femme de sa vie", la mère de ses trois enfants. Elle s'appelle Vitia, elle est née à Petrograd dans une famille juive cultivée. Avec elle, pas de coup de foudre, mais "un lent cheminement vers l'intimité".

    En juillet 1939, le jeune couple part en Grèce. Hessel se souvient de cette nuit sous la tente, dans les ruines de l'Héraion à l'Olympie : "Est-ce cette divinité éminemment conjugale qui fit naître en nous l'idée [ ... ] de nous marier ? Ou bien prit-elle une soudaine pertinence à la lecture des nouvelles glanées dans les rares journaux qui donnaient le conflit comme imminent ?" (3). Vitia annonce à Helen qu'elle devient la femme de Stéphane. "Ca a été un choc", raconte-t-il. "Son hostilité à l'égard de Vitia nous a divisés pendant plus de trente ans". Vitia et Stéphane vont partager quarante-neuf années de vie. En octobre 1946, naissance d'Anne, conçue sur le bateau qui les emmenait à New York neuf mois plus tôt. Puis viennent Antoine et Michel.

    Mais Hessel est boulimique de bonheur, il en veut encore. D'autres femmes. Il tente d'en rendre heureuses plusieurs à la fois, s'enfonce dans ses mensonges car "les femmes sont si possessives". Vitia souffre. "C'est le seul moment de ma vie où j'ai éprouvé le besoin de consulter un psychanalyste", raconte-t-il. Et il m 'a dit : "Monsieur, vous vous prenez pour le Bon Dieu". "J'ai compris que ma force dans la vie était aussi ma grande faiblesse : je cède toujours au désir de plaire, parce que je veux qu'on m'aime". Vitia est morte au milieu des années 1980. Stéphane Hessel a refait sa vie avec Christiane, qu'il appelle "mon amour" et qui l'accompagne sur le front de tous ses combats. A 93 ans, il confie le poids de deux regrets : "Avoir négligé Helen alors qu'elle avait besoin de moi, pendant et après la guerre; et avoir mis Vitia dans la difficulté et qu'elle ait eu mal, je le supporte mal". Il ajoute pourtant : "Dans la vie, on doit investir dans l'amour".

    Les hommes de l'ombre

    "Dans le couple assez inhabituel que constituaient mes parents, j'ai été si marqué par l'impact de la personnalité d'Helen que j'en ai un peu refoulé mon père", raconte Stéphane Hessel. Cet homme "qui a découvert Helen comme un écrivain rencontre son héroïne", en l'aimant sans tout à fait la désirer. "Le fait qu'elle lui échappe plus tard pour son ami Roché, qu'il aimait beaucoup, ça l'intéressait comme un événement, a compris Stéphane Hessel. Je me rends compte quel écrivain il était. C'était en fait un personnage fort, finalement, puisque c'est lui, dans notre histoire, qui favorise, autorise tout".

    Ainsi Franz était-il un mari toujours là sans y être, observateur plutôt qu'acteur. Helen s'est vite sentie si seule qu'elle a désiré des enfants. En 1914, alors que l'Europe est en guerre, elle accouche de son premier enfant en Suisse. Ulrich, sorti au forceps, naît épuisé, les médecins le croient perdu. Elle écrit dans son journal : "Uli, cinq jours - mourant. Helen folle, Genève, seule, la nuit, au lit, perdant du sang, le tonnerre, le tambour à la frontière de la Savoie. Terreur de la guerre. Je ne me suis jamais épargnée. Comme je me suis jetée dans la douleur, dans le chaos, douleur déchirante, lui donnant le sein lourd, sensible. Prends mon sang, toi, mon sang adoré, vis !" (4) Stéphane Hessel raconte qu'elle "se bat comme une lionne pour sauver son fils" pendant que Franz est au front. Mais à 2 ans l'enfant ne marche toujours pas, le verdict tombe, Ulrich est hémiplégique. Franz Hessel fuit les maux de son fils, le désespoir de sa femme, qui se console dans les bras d'autres hommes. Stéphane arrive en 1917. Lui est le fruit d'une permission accordée à Franz Hessel alors qu'on se massacre à Verdun. Un espoir vers d'autres lendemains naît à Berlin, en pleine révolution russe.

    C'est lorsque Roché entre dans leur vie que les deux enfants divisent le monde en deux parts : celle d'Ulrich, qui comptait son père, Franz, "la rigueur, l'équité et la musique";celle de Stéphane, avec Helen, l'irrespect, l'ingéniosité et la poésie. "Partage arbitraire, contestable, mais dont, aujourd'hui encore, j'ai peine à nous défendre", affirme Stéphane Hessel. La vérité, c'est qu'Ulrich "était plus jaloux de l'honneur de mon père que Franz ne l'était lui-même", poursuit-il. A Ulrich le besoin de sécurité, d'équilibre. A Stéphane la charge de mettre les bouchées doubles, de se faire le grand frère d'un aîné affaibli qui n'aura ni femme ni enfant.

    Offrir sa vie

    Le 20 octobre 1925, Stéphane Hessel fête ses 8 ans. Il est avec sa mère dans le tramway. A la station Val-de-Grâce, sur le boulevard Saint-Michel, l'enfant saute. Une voiture le happe. Helen hurle. Stéphane Hessel, passé entre les roues du véhicule, se relève indemne. C'est cette chance qui ne le quittera plus. Et le poussera vers son engagement comme on s'acquitte d'un devoir. Alors qu'il est en khâgne, Stéphane Hessel découvre Jean-Paul Sartre : "Qu'est-ce que voulait ce gars ? Qu'on s'engage ! Avec la guerre, il m'est apparu comme une nécessité de mettre ma vie au service de quelque chose". Hessel rejoint de Gaulle à Londres, crée la mission Graco dans la France résistante. Juillet 1944, il est arrêté, menotté, tabassé. Supplice de la baignoire. Stéphane Hessel parle. Aujourd'hui, il dit : "Toute mon admiration va aujourd'hui à ceux qui ont décidé de se taire sous les coups, de lasser la brutalité des bourreaux par l'acceptation muette de la souffrance". 8 août 1944, Hessel monte dans un train pour Buchenwald avec 37 camarades. "31 d'entre eux ont été pendus ou fusillés, je fais partie des miraculés, j'ai une responsabilité à l'égard de ceux qui n'ont pas survécu". Hessel doit sa vie à la mort d'un autre, dont il endosse l'identité : Michel Boitel, mort du typhus. Transféré vers Rottleberode, il tente de s'évader. Est repris, envoyé à Dora. Le 4 avril, le camp est évacué. Dans le train qui file vers le nord, Stéphane Hessel démonte deux lattes du plancher. Il saute.

    "Cette vie sauvée, j'avais la responsabilité de l'investir, de l'offrir à d'autres combats", confie-t-il. Il participera à la rédaction des 30 articles de la "Déclaration universelle des droits de l'homme", s'engagera longtemps pour les Nations-Unies. Il avoue aussi "s'être parfois surpris à faire des concessions... Quand on est ambassadeur de France dans un autre pays, on se soumet aux directives de son ministre Il m'est arrivé de prendre des positions qui n'étaient pas celles qui me convenaient le plus". En 1996, l'ambassadeur en retraite devient celui des sans-papiers de Saint-Ambroise, de Saint-Bernard et de ses combats d'aujourd'hui les droits des immigrés...

    La poésie et la mort

    Avant de quitter ses interlocuteurs, Stéphane Hessel offre une performance. Pour qu'on prenne la mesure de sa force, cette mémoire où il a rangé les poèmes de toute une vie. Il se lève, ferme les yeux, ouvre ses bras, et comme s'il retournait à lui, à sa mère, à son père, à son frère, aux siens, il récite en anglais un poème d'Edgar Poe. Le premier que sa mère lui ait appris. Stéphane Hessel est ainsi, peuplé de poèmes. A 93 ans, sa mémoire déborde de ces milliers de vers et strophes qui l'ont tenu et le maintiennent. "Avec un père poète et une mère enthousiaste passeuse de l'émotion poétique, je concevais la poésie [ ...]comme j'aurais pu concevoir la religion dans une famille croyante", écrit-il dans son livre "Danse avec le siècle". Elle est partout. Elle surgit quand il approche la mort. En juillet 1944, alors qu'il est retenu par la Gestapo, Stéphane Hessel glisse dans la poche de sa veste un morceau de papier avec un vers de Shakespeare : "No longer mourn for me when I am dead" ("Plus de deuil pour moi quand je serai mort"). Dans les camps de concentration, il s'accroche à la petite musique des vers de Goethe ou de Hölderlin.

    Aujourd'hui encore, les poèmes d'Apollinaire bercent ses jours et ses nuits. Et c'est un besoin "lorsque rien d'immédiat n'accapare mon attention, par exemple lorsque je sors de chez moi et vais prendre le métro, d'entamer une récitation à voix basse" (4). Comme s'il se gargarisait de ce siècle qu'il a traversé. Il s'interroge : "Quelle est cette singularité qui me vient d'être habité par tant de poèmes qui me préparent à accueillir la mort ?" Comme s'il l'attendait. Il dresse l'index pour le dire : "Oui, la mort est une gourmandise, qu'il faut vivre, absolument". S'il est "satisfait d'être en état de marche à un âge si avancé",Stéphane Hessel s'est préparé à son "avenir" : "Quand ça ne tiendra plus, si je commence à m' effondrer, je ferai un effort volontaire pour mettre fin à mes jours en toute tranquillité". Il a confiance, il promet "que quelque chose continue après ça... Nous nous transformons peut-être en émotions poétiques dans la mémoire des gens".

     

    (1) "Danse avec le siècle", par StéphaneHessel, Seuil, 1997.

    (2) "Helen Hessel. La femme qui aima Jules et Jim", par Marie-Françoise Peteuil, Grasset, 2011.

    (3) "Journal d'Helen", par Helen Hessel, André Dimanche Editeur, 1991.

    (4) "Ô ma mémoire. La poésie, ma nécessité", par Stéphane Hessel, Seuil, 2006


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  • Communiqué de la motion 4 Oser plus loin plus vite

    Un grand homme nous a quitté.

    C’est une profonde tristesse qui nous a envahi en apprenant le décès de
    notre camarade socialiste Stéphane Hessel.

    Les membres de la motion 4 Oser Plus Loin Plus Vite, que Stéphane
    Hessel a eu la conviction et le courage de conduire lors du dernier
    congrès du PS, s'associent pleinement à tous les hommages en France et
    dans le monde qui s'organisent pour montrer à sa famille combien il a
    compté.

    Stéphane a été de tous les combats humanistes avec toutes les armes
    pacifiques qu'il a su si bien manier, que ce soit le combat politique,
    associatif, l'écriture, ou encore le discours. Sa parole était un trésor
    que nous aurons le devoir de préserver afin que son oeuvre continue
    malgré son absence.

    Combattant de la première heure face à l’envahisseur, membre du Conseil
    National de la Résistance, personnalité forte au sein de l’Organisation
    des Nations Unies, Stéphane Hessel a été de tous les grands combats. Sa
    volonté de contribuer à la paix au Proche Orient, en prônant un
    équilibre indispensable entre l’Etat israélien et un nouvel Etat
    palestinien à créer, a été sa grande espérance. Stéphane Hessel a su en
    plus au cours de ces dernières années encourager les peuples à
    s’indigner et à résister face à la montée des injustices et des
    inégalités.

    Ces combats étaient à la hauteur de l’homme : grands et courageux.

    Stéphane Hessel mérite un hommage national. Il fait partie du Panthéon
    des grands hommes de la France.

    Nous militants de la motion « Oser plus loin plus vite » avons été
    fiers et heureux de l’avoir comme premier signataire au congrès de
    Toulouse de l’an dernier. Grâce à sa présence et à son engagement, le
    programme politique de la motion s’est fait entendre à pleine voix. Nous
    lui sommes pour toujours extrêmement reconnaissants.

    Nous n’oublierons pas non plus son humanité, sa simplicité et son
    humour qui nous ont beaucoup touchés ainsi que les poèmes qu’il aimait
    tant réciter.

    Nous adressons à sa famille nos sincères condoléances.

    Nous continuerons les combats entrepris par Stéphane Hessel pour
    construire une société plus juste dont la crise actuelle nous rappelle
    la nécessité.

    Signé : la Coordination nationale de la motion 4 Oser Plus Loin Plus
    Vite
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  • Dernière modification : 28/02/2013 
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    Les États-Unis annoncent une aide de 60 millions de dollars à l'opposition syrienne

    © AFP

    Une réunion des "Amis du peuple syrien" se tient jeudi à Rome entre onze pays et l'opposition syrienne, en présence du secrétaire d'État américain John Kerry pour doper l'aide à la rébellion.

    Par FRANCE 24 (vidéo)lien
    FRANCE 24 avec dépêches (texte)
     

    Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a annoncé, jeudi 28 février, des aides directes à l’opposition et aux rebelles syriens lors d'une réunion des "Amis du peuple syrien", à Rome, où il a rencontré pour la première fois le leader de l'opposition syrienne Ahmed Moaz al-Khatib. Il a déclaré lors d'une conférence de presse que Washington allait donner 60 millions de dollars à l'opposition syrienne en matériels "non létaux" et fournir une aide médicale et de la nourriture à l'Armée syrienne libre (ASL). "Cette aide directe", sera envoyée "dans les prochains mois", a précisé le

    L'opposition syrienne reporte sine die sa réunion à Istanbul

    La réunion de l'opposition syrienne, prévue samedi à Istanbul pour désigner un "Premier ministre" chargé du futur gouvernement en territoire rebelle, a été reportée sine die, a affirmé jeudi un membre de la Coalition nationale de l'opposition.

    "La conférence a été reportée sans qu'aucune nouvelle date n'ait été fixée. Je ne peux donner immédiatement des raisons et je n'exclus pas son annulation", a affirmé Samir Nachar, membre de la Coalition. (AFP)

     

    secrétaire d'Etat américain.

    John Kerry s'est également s'entretenu avec des représentants de dix autres pays -Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Turquie, Egypte, Jordanie, Arabie saoudite, Qatar et Emirats arabes unis- qui soutiennent les opposants au président syrien Bachar al-Assad.

    "Les ministres ont promis plus de soutien politique et matériel à la Coalition (nationale syrienne), représentant unique et légitime du peuple syrien et d'apporter plus d'aide concrète à l'intérieur de la Syrie", est-il précisé dans le communiqué qui a été rendu public après la réunion.

    Les ministres "ont souligné la nécessité de changer l'équilibre du pouvoir sur le terrain" et ont "déploré les livraisons continues d'armes au régime (du président Bachar al-Assad) par des pays tiers. Une critique implicite adressée à la Russie qui continue de livrer armes et munitions à Damas.

    Depuis quelques jours, l'activité diplomatique sur la Syrie s’intensifie. La communauté internationale met désormais Damas et l'opposition sous pression pour que des négociations permettent de trouver une issue à la guerre.

    Lors de l’étape parisienne du premier voyage du chef de la diplomatie américaine, mercredi, John Kerry a déclaré aux côtés de son homologue Laurent Fabius "étudier les moyens d'accélérer la transition politique" en Syrie tout en précisant vouloir le départ du président Bachar al-Assad. Par ailleurs, sur le terrain, "l'opposition a besoin de davantage d'aide (...) dans les zones libérées", a martelé le secrétaire d'État américain, sans dire quelle assistance serait apportée.

    Un premier succès diplomatique pour John Kerry

    Les fonds américains fourniront aide médicale et nourriture aux syriens

    Alors que l'issue de ces pourparlers reste pour l'instant inconnue, cette rencontre est d’ores et déjà un premier succès pour John Kerry. Le secrétaire d’Etat américain a convaincu Ahmed Moaz al-Khatib de renoncer à boycotter ce rendez-vous des "Amis du peuple syrien". Jugeant "honteux"  "le silence international sur les crimes commis quotidiennement" en Syrie, le chef de l'opposition avait décidé, le 23 février, de ne plus participer à plusieurs rendez-vous à l'étranger. La promesse "d’aides spécifiques pour soulager la souffrance de (son) peuple" avancées par les États-Unis et le Royaume-Uni, ont finalement changer la donne.

    Pour l'ambassadeur de la Coalition nationale syrienne, il est temps d'armer les rebelles. "Il faut qu'on puisse au moins pouvoir acheter des armes pour neutraliser l'aviation syrienne. Elle bombarde la population qui a des moyens modestes", avance Monzer Makhous, interviewé par FRANCE 24.

    Vers une aide non létale des États-Unis

    Divisé à l'été 2012 sur l'opportunité ou non d'armer la rébellion, le gouvernement de Barack Obama semble avoir changer de stratégie. Refusant toute assistance militaire depuis des mois, les Américains pourraient désormais fournir une aide "non létale" à la rébellion.

    Le Washington Post et la chaîne CNN ont ainsi affirmé mercredi que l’administration américaine avait décidé de fournir de l’équipement "non létal" aux combattants de l'opposition syrienne, à savoir des gilets pare-balles, des véhicules blindés et du matériel de vision nocturne et de transmission. Un entraînement militaire de combattants triés sur le volet serait également envisagé, ainsi que la livraison de colis d’aide humanitaire, selon les sources officielles citées par ces médias.

    La Russie, grand allié du régime de Bachar al-Assad jusqu'à présent, a également pressé cette semaine l'opposition et le régime syrien d'entamer un dialogue. Damas s'est dit prêt à discuter, même avec des groupes armés, une offre rejetée par la rébellion tant que Bachar al-Assad ne sera pas parti.


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