• 31 juillet 1914

    « Ils ont tué Jaurès »

     
     

    Le soir du vendredi 31 juillet 1914, Jean Jaurès dîne avec deux collaborateurs dans le café du Croissant, rue Montmartre, à Paris (2e arrondissement).

    Le dîner s'achève. Sur le trottoir, un homme observe les convives et, par la fenêtre ouverte, tire trois coups de revolver. Deux balles touchent à bout portant le leader socialiste. Un cri fuse dans le restaurant : « Ils ont tué Jaurès ! »

    Le drame survient alors que les Français, comme les autres Européens, commencent tout juste à prendre conscience de la gravité de la situation internationale. L'assassinat de celui qu'on surnommait « l'apôtre de la paix » ruine l'ultime espoir d'éviter la guerre générale et va souder au contraire toute la nation dans « l'Union sacrée ».

     La Une du 1er août 1914 (Le Petit Journal) 

    L'« apôtre de la paix »

    Par son opposition à la loi du 19 juillet 1913, qui a reporté le service de deux à trois ans, comme par son plaidoyer en faveur d'une armée de réservistes à vocation défensive, L'Armée nouvelle, Jean Jaurès s'est attiré la haine des nationalistes et des bellicistes, à droite comme à gauche, de Georges Clemenceau à Charles Péguy en passant par Maurice Barrès et Charles Maurras.

    Lors de la « Crise de Juillet » qui suit l'attentat de Sarajevo, il réunit toute son énergie pour tenter d'arrêter le destin. Le 30 juillet, il apprend que la Russie a mobilisé ses troupes. Il se rend alors chez le sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères Abel Ferry. Celui-ci l'interroge sur la position des socialistes en cas de guerre. « Nous continuerons notre campagne contre la guerre », répond Jaurès. « Non, vous n'oserez pas car vous serez tué au premier coin de rue » !...

     

    Raoul Villain (1885-1936), assassin de Jean Jaurès

    Passablement découragé, Jaurès déclare à un ami, en sortant : « Tout est fini. Il n'y a plus rien à faire ».

    C'est alors que survient la tragédie prédite par Abel Ferry...

    L'assassin est un déséquilibré de 29 ans, du nom de Raoul Villain. C'est un étudiant en archéologie, lecteur passionné de L'Action française, quotidien nationaliste qui avait appelé le 18 juillet précédent au meurtre de Jaurès. 

    Son procès sera reporté à la fin de la guerre et il sera finalement acquitté de son crime. Au terme d'une vie errante, il sera lui-même assassiné en Espagne en 1936 par un mafieux quelconque.

    Hommages unanimes

    À peine la mort de Jaurès est-elle connue qu'une foule de militants socialistes se rassemble dans le quartier Montmartre au chant de L'Internationale. 

    Le président Raymond Poincaré, son adversaire en politique, se fend d'un communiqué publié dès le lendemain, juste avant l'ordre de mobilisation générale, dans lequel il trouve moyen de « retourner » le défunt en sa faveur : « Un abominable attentat vient d'être commis. M. Jaurès, le grand orateur qui illustrait la tribune française, a été lâchement assassiné. Je me découvre personnellement et au nom de mes collègues devant la tombe si tôt ouverte au républicain socialiste qui a lutté pour de si nobles causes et qui, en ces jours difficiles, et dans l'intérêt de la paix, a soutenu de son autorité l'action patriotique du gouvernement (...) ».

    De fait, tous les journaux y vont de leur couplet. Même L'homme libre de Clemenceau et L'Action française de Maurras dénoncent l'assassinat et regrettent l'homme. Le pays, qui s'était jusque-là violemment divisé sur des sujets aussi graves que les conquêtes coloniales, l'Affaire Dreyfus ou la séparation des Églises et de l'État, refait son unité sur la tombe de Jaurès.

    Le directeur de La Guerre sociale, Gustave Hervé, connu pour ses menées antimilitaristes, y va de lui-même de son couplet, titre à la Une : « Nous n'assassinerons pas la France » et rejoint le camp de la guerre.

    Dès le lendemain de la mort de Jaurès, le consensus patriotique est tel que le gouvernement, à l'instant d'annoncer la mobilisation générale, peut se dispenser de sévir contre les anarchistes, antimilitaristes et rebelles potentiels.

    Deux jours plus tard, l'Allemagne déclare la guerre à la France. C'est le début de la Grande Guerre.

    Le 4 août 1914, lors des funérailles parisiennes du leader socialiste, avant que sa dépouille ne soit inhumée à Albi, le secrétaire de la CGT Léon Jouhaux, prémonitoire, lance : « Victime de ton amour ardent de l'humanité, tes yeux ne verront pas la rouge lueur des incendies, le hideux amas de cadavres que les balles coucheront sur le sol... ».

    Bibliographie

    Sur l'assassinat de Jaurès et les derniers jours avant la Grande Guerre, je recommande l'excellent petit essai de François Pernot, 1914, « la fin d'un monde... »(Honoré Champion, 2014, 140 pages, 9,90 euros).

    Publié ou mis à jour le : 2014-07-31 09:13:20

     

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