• A Paris, un ancien moine tibétain raconte l'oppression et l'exil

    A Paris, un ancien moine tibétain raconte l'oppression et l'exil

    Le Monde.fr | <time datetime="2012-03-26T12:08:14+02:00" itemprop="datePublished">26.03.2012 à 12h08</time> • Mis à jour le <time datetime="2012-03-26T12:08:07+02:00" itemprop="dateModified">26.03.2012 à 12h08</time>

     
     
    <figure class="illustration_haut"> Des moines bouddhistes devant le monastère de Kirti, dans la ville de Ngaba, en octobre 2011. </figure>

    Ils sont une dizaine de Tibétains, assis en rang au sous-sol du restaurant Kokonor, rue Saint-Jacques à Paris, mercredi 14 mars. Ils font leurs premiers pas dans l'apprentissage du français avec Clémence, une étudiante de l'Institut national des langues et des civilisations orientales et membre de l'association Confluences tibétaines. L'heure est à la découverte du pronom possessif. "Le Tibet est mon pays. C'est le mien", leur fait-elle répéter.

    Fraîchement débarqués dans la capitale française, où ils viennent rejoindre un bon millier de Tibétains exilés en France, selon le Bureau du Tibet, ils ont tous derrière eux un parcours sinueux. Tous ont fui le Tibet, clandestinement, traversant pour la plupart les hauts cols qui bordent le Népal, avant une étape à Dharamsala, petite ville à la lisière de l'Himalaya dans le nord de l'Inde, où siègent le gouvernement tibétain en exil et le dalaï-lama.

    Mercredi est un jour particulier pour les Tibétains, c'est jour de Lhakar, du nom d'un mouvement qui s'est diffusé du Tibet à la diaspora et qui vise à préserver la culture tibétaine contre son assimilation par la Chine :

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    Mais ce mercredi, l'heure n'est pas à la célébration des valeurs tibétaines : la nouvelle se répand comme une traînée de poudre parmi les exilés de Paris : Lobsang Tsultrim, un moine du monastère de Kirti, 20 ans, s'est immolé par le feu. Un an, presque jour pour jour, après l'immolation de Phuntsok, autre moine de Kirti, qui avait 20 ans lui aussi. C'était le premier d'une longue série de ces suicides par le feu qui meurtrissent la population tibétaine, en réponse au durcissement de l'oppression des Tibétains après les émeutes de 2008.

    Lire le débat avec l'ethnologue Katia Buffetrille : "L'immolation est, pour les Tibétains, le seul moyen de s'exprimer"

    LE POSTE DE POLICE DU MONASTÈRE DE KIRTI

    Parmi les élèves du cours de la rue Saint-Jacques, il y a Tsultrim, 30 ans, les traits jeunes et fatigués à la fois. Il vient lui aussi du monastère de Kirti. Situé dans la ville de Ngaba (Aba en chinois), à la frontière des anciennes provinces du Kham et de l'Amdo (carte en PDF), dans l'actuel Sichuan, ce monastère se situe au cœur de la vague d'immolation. Il fut un monastère florissant de la branche bouddhiste Gelugpa - celle du dalaï-lama - où étudiaient quelque 1 200 moines il y a encore une vingtaine d'années, selon Kirti Rinpoché, le dignitaire bouddhiste à la tête de l'établissement.

    D'après l'ONG Save Tibet, quinze des vingt-neuf personnes qui se sont immolées depuis un an répertoriées à ce jour sont passées par ce monastère. Peu après les émeutes de 2008, un reportage d'un journaliste du Monde y décrivait la situation : "De tous les théâtres connus de la répression, Aba a été l'un des plus violents. Le 16 mars, des moines du monastère de Kirti, situé en pleine ville, ont organisé un défilé. Aux cris de "Vive le dalaï-lama !" et de "Rendez leurs droits aux Tibétains !", brandissant des drapeaux du Tibet indépendant frappés de deux lions des neiges, une foule de plusieurs milliers de personnes s'est dirigée vers le siège du gouvernement local. D'après les témoignages (...), la tragédie a éclaté devant le commissariat : attaqués par les manifestants qui s'en sont pris aux boutiques chinoises, les policiers ont tiré. Selon ces sources concordantes, au moins une douzaine de personnes ont été tuées à cet endroit."

    Depuis, peu de journalistes ont pu se rendre dans la région du monastère, assiégé par des militaires depuis l'année dernière. En octobre, des journalistes de l'AFP ont constaté que les soldats, portant des fusils automatiques, des barres de fer affûtées et des extincteurs, quadrillaient les rues alentour, ainsi que des véhicules blindés. En début d'année, c'est un journaliste du Guardian qui a réussi à tourner une vidéo clandestinement dans cette ville :

    vidéo

    RÉÉDUCATION PATRIOTIQUE

    En 1998, se souvient Tsultrim, c'est là que les autorités chinoises ont entamé leur programme de rééducation patriotique. "Chaque année, ils faisaient des réunions tous les jours pendant plusieurs mois, et nous disaient : 'Si vous aimez le dharma, vous devez aimer votre pays, la Chine.' Ils répétaient toujours qu'il était interdit de contacter 'la clique du dalaï-lama' et Kirti Rinpoché, en exil."

    D'après lui, les moines de moins de 18 ans ont alors été expulsés et les autorités bouddhistes n'ont plus été autorisées à reconnaître les trulkus - les réincarnations de maîtres bouddhistes. Dans une école du monastère, cinq cents élèves se sont vu interdire de porter la robe de moine, la langue chinoise a été imposée pour les enseignements et les professeurs tibétains ont été remplacés par des professeurs chinois. Puis il y a eu ce poste de police, installé en plein milieu du monastère. "Ils habitaient 24 heures sur 24 dans ce poste, à l'intérieur de ce qu'on considère comme un lieu sacré. Ils surveillaient tout ce qui se passait, les discussions, les contacts avec l'extérieur. Il y a eu un fort ressentiment chez les moines", raconte Tsultrim.

    Un jour, le jeune moine est entré dans le poste de police avec un ami. Il y a déposé des affiches dénonçant la violation des droits de l'homme et de leur droit à pratiquer leur religion, et demandant le retrait des policiers. En guise de signature, une inscription "Tibet Libre". "Le lendemain, les policiers ont photographié et filmé les affiches, comme si un grand drame venait de se produire. Quatre ou cinq camions de policiers ont débarqué dans le monastère", se rappelle Tsultrim. Ils ont mené l'enquête pendant un mois dans le site religieux, prenant tous les moines en photo, des enfants aux vieillards, ainsi que leurs empreintes digitales et une fiche autobiographique.

    LA FUITE

    Affolés par ce déploiement de moyens d'investigation, les deux moines se sont évadés et ont fui vers Lhassa. Arrivés dans la capitale tibétaine quatre jours plus tard, "on a appris que des agents nous recherchaient déjà, fiches et photographies à l'appui, avec promesse de récompense", dit Tsultrim. Ils sont repartis dans un village des environs, se cacher dans la maison d'un habitant, et n'en sont plus sortis pendant un an et huit mois. Puis ils ont payé des commerçants tibétains pour les guider jusqu'à la frontière, et enfin des passeurs, pour les mener à travers les montagnes qui séparent la région autonome tibétaine du Népal.

    Tsultrim a ensuite repris sa vie monastique dans l'autre monastère de Kirti, reconstruit en exil à Dharamsala, jusqu'en 2010. Lorsqu'il a voulu retourner au Tibet, il a appris qu'il y était toujours recherché : "Des agents de sécurité chinois venaient régulièrement interroger ma famille sur mon sort". Il a alors acheté un visa clandestin pour un pays européen, n'importe lequel. Ce sera la France.

    Maintenant, Tsultrim est à Paris, vêtu d'un jean et d'un pull passe-partout. Il ne veut plus être moine, pour mieux "s'adapter aux sociétés modernes". Il aimerait travailler dans une bibliothèque, mais doit d'abord apprendre à parler français. Sans logement, il appelle tous les jours le 115 pour trouver un centre d'hébergement d'urgence où passer la nuit.


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