« Ici, c’est le nouveau monde », glisse, impressionné, Manuel Valls , lundi 12 octobre tard dans la soirée dans le hall du gigantesque palace Ritz-Carlton de Riyad. Le premier ministre s’apprête à passer une partie de sa nuit à boucler les ultimes détails des accords commerciaux entre la France et l’Arabie saoudite. Quelques heures plus tôt, il a ouvert le dîner de gala du Forum franco-saoudien qui réunit les plus grands groupes hexagonaux (Thales, Airbus, Areva, EDF, SNCF, Alstom, Veolia…) ainsi que plusieurs PME, venus faire des affaires avec le très riche régime wahhabite.
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Dans son discours, M. Valls a vanté le « partenariat exceptionnel et privilégié » entre les deux pays, qui doit encore, selon lui, « être amplifié » . Il est également revenu sur les violences la semaine dernière chez Air France et les images du DRH de la compagnie aérienne molesté par des salariés révoltés par un plan de restructuration en préparation qui ont fait le tour de la planète. « Ces événements n’ont rien à voir avec la France qui se réforme », tient à assurer M. Valls aux investisseurs saoudiens.
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Ne pas froisser le régime
En revanche, à la tribune du forum, coorganisé par Business France et la branche internationale du Medef, le chef du gouvernement n’a pas eu un mot concernant les droits de l’homme dans le « nouveau monde » saoudien. Pas le lieu, explique en substance son entourage. La situation y est pourtant préoccupante alors qu’au cours des trois dernières décennies, plus de 2 000 exécutions ont eu lieu dans le royaume, dont 134 rien que pour l’année 2015.
Ali Mohammed Al-Nimr, opposant chiite de 21 ans accusé d’avoir manifesté contre le roi, est toujours menacé d’être décapité et crucifié publiquement « jusqu’au pourrissement de ses chairs ». Le cas de ce jeune homme a choqué l’opinion publique internationale, jusqu’à François Hollande qui a demandé en septembre au régime saoudien de « renoncer à cette exécution ». Pareil pour Raïf Badaoui, ce blogueur progressiste accusé d’avoir « insulté l’islam » et condamné à dix ans de prison, dix ans d’interdiction de sortie du territoire et 1 000 coups de fouet. Sans parler de la condition des femmes saoudiennes, ni des bombardements récents de l’armée du régime au Yémen qui ont engendré un véritable carnage dans la population civile.
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Interrogé mardi à Riyad avant son retour en France, Manuel Valls a déclaré avoir abordé avec le roi Salman la situation des droits de l’homme en Arabie saoudite. Mais le premier ministre prend soin de peser ses mots afin de ne pas froisser le régime. « Quand on a une relation de confiance, cela nous donne la possibilité d’évoquer très concrètement l’ensemble des dossiers. Nous avons abordé ces questions-là, en rappelant la position de la France contre la peine de mort », assure-t-il, ajoutant avoir appelé le roi à la « clémence » sur le cas d’Ali Mohammed Al-Nimr.
« On va essayer de sauver cette vie »
Côté français, on affirme que la discrétion est le meilleur gage de réussite en pareille situation. « Les droits de l’homme, on en parle, mais dans la discrétion des entretiens, on ne va pas faire des communiqués de presse », avait prévenu Matignon avant même la tournée au Moyen-Orient de Manuel Valls. « Il ne s’agit pas de faire une déclaration pour faire plaisir en France, mais de faire comprendre à ses interlocuteurs qu’il faut évoluer », explique Manuel Valls. Une prudence partagée par le ministre des affaires étrangères. « Faire de grande déclaration pour se faire applaudir dans les journaux est contre-productif », confie Laurent Fabius, qui ajoute à propos d’Ali Mohammed Al-Nimr : « C’est un combat long et difficile. On va essayer de sauver cette vie. »
Pour le gouvernement, la bonne santé des relations commerciales entre la France et l’Arabie saoudite est un atout pour faire avancer le dossier des droits de l’homme. « Plus on est fort économiquement, plus on est en position de défendre nos valeurs », assure l’entourage de M. Valls.
Mais pas question de sacrifier les contrats industriels sur l’autel des droits de l’homme. « On ne peut pas faire du commerce uniquement avec des Etats qui sont impeccables sur le plan humain », assume M. Fabius. Une real économie relayée par les grands industriels français présents à Riyad, selon lesquels la persistance de la peine de mort en Arabie saoudite n’est pas une circonstance suffisante pour interrompre les relations commerciales. « Dans ce cas, on ne fait plus d’affaires non plus avec les Etats-Unis et la Chine », explique le patron d’un « champion » national.