C’est l’une des premières belles maisons de Petit-Palais. Sur la véranda, deux hommes en entourent un autre. Ils bredouillent, se coupent la parole. On parle d’accident, de destin, d’horreur. Un des hommes s’avance. Il est vêtu de vert, chauve, la soixantaine, des lunettes embuées. « Nous ne savons pas grand-chose. Là-bas, on nous refoule ». C’est Rino, le mari de la maire, Patricia Raichini. Trois de ses sœurs étaient dans le car, vendredi 23 octobre. Sont-elles mortes ? Il n’a pas encore de certitude, mais déjà plus vraiment de doutes.
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Le reste du village attend devant la mairie. Plus loin, l’église Saint-Pierre, merveille du XIIe siècle, et autour les vignes, déjà roussies par l’automne, raison d’être de cette région du Saint-Emilionnais. Sur la place, un homme regarde l’Opel Corsa dans laquelle sont venues sa femme et deux amies, comme pour se convaincre qu’elles sont vraiment parties. De nombreuses voitures sont garées. Ce sont celles des excursionnistes. Ce soir, ils auraient dû venir les reprendre . Mais ils ne seront pas là. A 7 h 30, le car qui les conduisait a heurté un camion près de Puisseguin, à sept kilomètres de là. 41 ou 42 personnes âgées – le chiffre exact n’avait toujours pas été communiqué samedi matin –, venues de douze communes voisines, ont été brûlées vives dans l’incendie qui a immédiatement embrasé les véhicules.
Devant la porte de la salle des fêtes, un homme est debout, l’air hébété. Gérard aurait dû partir avec ses amis. Au dernier moment, il a renoncé. Pourquoi ? Il ne sait plus. Il était là mardi pour préparer cette journée. Et puis, au dernier moment… « Les jours raccourcissent », répète-t-il, sous le choc, s’excusant de ne plus bien se souvenir. Il connaissait tous ceux qui sont partis : pendant vingt-sept ans, il a été conseiller municipal à Petit-Palais.
Une excursion du club de troisième âge
La balade ne devait durer qu’une journée. Deux fois par an, le club du troisième âge de Petit-Palais-et-Cornemps, 676 habitants, organise ainsi des excursions en autocar. Une institution que ce club du troisième âge. A Petit-Palais, la vie associative est importante : randonnées, diffusion de matches sur écran géant… Cette fois, ils partaient pour Arzacq ( Pyrénées-Atlantiques), dans le Bearn. Il y avait au programme un repas au restaurant, au « Café des sports », avec de la garbure et une animation du conteur René Casenave.
Les gens arrivent petit à petit. La plupart ont appris la nouvelle par la radio ou la télé. « J’ai entendu qu’on parlait d’un accident. Puis j’ai entendu Puisseguin et que c’était des petits vieux. Alors je me suis dit, oh merde, c’est eux… » On s’embrasse, on s’enlace, bras serrés, larmes silencieuses. Toute la matinée, les rumeurs parcourent la place. Une dame blonde vêtue d’un manteau vert attend des nouvelles de sa sœur : « On ne sait pas si elle est vivante ou non. » Pascaline Lassus est sûre que sa belle-mère était dans le car. Son mari est debout à ses côtés, blême. « Elle était là à chaque sortie, raconte-t-elle. Elle prenait des jours pour partir en vacances et pour s’occuper de son petit-fils. Pour l’emmener à la crèche à 7 heures, elle se levait à six. Et quand elle n’avait pas d’occasion de le voir, elle en créait. »
« Ils se sont sentis mourir »
Ils se sourient, sachant déjà que le plus dur est à venir. Et une nouvelle inquiétude parcourt les groupes : et les enfants ? Est-ce qu’il y en avait qui avaient amené leurs petits-enfants ? René revient de Puisseguin. Il n’a pas pu passer, et en sait peu. Soulevant sa manche, il montre une vieille brûlure. Chacun un instant regarde l’horreur en face. « Ils se sont sentis mourir. C’est pire que tout », murmure une femme.
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Mohamed Alilou passe de groupe en groupe. Il est venu avec son père. Enfant, il a passé énormément de temps avec Jean-Claude et Josette Léonardet, un couple qui était dans le car. Par quelqu’un qui est allé à Puisseguin, il sait qu’ils ont survécu. Mais ils sont gravement brûlés : Jean-Claude a été transféré à Bordeaux à l’hôpital Pellegrin, et son épouse, Josette, à Libourne. Mohamed est soulagé, mais reste pour les autres.
Jérémie Bessard, le plus jeune des conseillers municipaux, passe parmi les gens. Sa mère est venue aussi : Sylvie possède un domaine viticole à côté, le Château Vieux-Mougnac. « Je suis née ici et j’y ai toujours vécu. » Son oncle, Michel Rogerie, était dans le car. Il a été maire de Petit-Palais. Il était aussi président du club du troisième âge, qui compte sa trésorière et sa secrétaire parmi les victimes. Sont-ils vivants ? On a entendu le président de la République, on a entendu dire que Manuel Valls allait venir. Mais qui va dire qui est mort ?
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« C’est notre patrimoine qui est parti »
A 12 h 55, enfin, des informations arrivent. Ils s’enferment dans la salle municipale pour les entendre, « entre nous, entre intimes ». Ce qu’ils entendent, c’est la liste des survivants. Huit, dont quatre grièvement blessés. Une femme sort en larmes de la salle, et va s’accroupir derrière une voiture pour pleurer. Rino n’a plus de doutes : ses trois sœurs sont mortes.
Jérémie Bessard sort à son tour. « On ne nous a pas formés à ça, déplore-t-il. La cellule psychologique, ici, on l’a pas vue. On fait comme on peut. » « À côté de moi, une dame s’est effondrée. Je ne savais pas quoi faire, moi. Alors, je lui ai caressé la tête », enchaîne Sylvie, sa mère.
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La maire, Patricia Raichini, est là. Brune, dans un costume beige, les lunettes sur le front. Digne malgré son deuil. Que va devenir la communauté ? « Je n’en sais rien. Pour l’instant, c’est l’heure de la tristesse. »
Et de la colère. Une heure plus tard, le premier adjoint dira que, contrairement à ce qu’on avait annoncé, Manuel Valls ne poussera pas jusqu’à Petit-Palais. Pas le temps. Alors la rage éclate, dépasse le chagrin : « Ici, on n’existe pas. Petit-Palais, on est trop petits. Les psys, les ministres, on ne les voit pas, nous. » Patrick Bardesol, imposant, vêtu d’un tee-shirt rose pâle, serre les poings. « C’est nos morts qui sont là, c’est notre… » Il cherche un mot, ne trouve que « patrimoine ». « C’est notre patrimoine qui est parti aujourd’hui. Toute une génération. » Et Sylvie de soupirer : « Le troisième âge, maintenant, ici, c’est nous ».