• Agreg : moins de candidats que de postes!

    Agreg : moins de candidats que de postes!

    Jean-Paul Brighelli - Blogueur associé | Samedi 16 Juillet 2011 à 16:01

    Cette année, les candidats à l'agrégation ont été moins nombreux qu’il n’y avait de postes. Les places restantes seront prises par des vacataires de Pôle emploi ou par validation des acquis de l'expérience. Un indice de la faillite du système français juge Jean-Paul Brighelli qui appelle au renforcement du rôle de l'Etat dans l'éducation.


     

    Qui veut encore se faire prof ? Peu de monde, malgré le caractère attractif du salaire (1350 euros net en débutant à Bac + 5), le caractère reposant du métier, la considération universelle qu'il inspire, à une époque où, comme chacun sait, l'être l'emporte toujours sur l'avoir et la Bibliothèque de France sur le Fouquet's…

    Cette année, la carence de candidats a amené à l’oral, dans certaines matières, moins de postulants qu’il n’y avait de postes. Aucune raison que ces survivants-là fussent globalement meilleurs que ceux des années précédentes.  
    Il a donc fallu des tours de passe-passe, des notes relevées à la louche, l’indulgence des jurys et parfois une cécité volontaire pour qualifier les nouveaux Certifiés — en dehors de ceux qui le méritaient vraiment.  

    Du coup, bon nombre de jurys ont refusé de remplir la totalité des postes mis au concours (1). Au total, un petit millier sont laissés en jachère. La gabegie, oui, la chienlit, non.

    Résultat, certains des refusés menacent de porter plainte, oubliant qu’aucun règlement n’a jamais stipulé que les jurys devaient affecter tous les postes mis au concours. Dans les années 60-70, la défense du niveau amenait souvent les jurys à qualifier moins d’entrants que de postes. Mais ce sont sans doute les mêmes qui prônent 100% de réussite au Bac, et qui trouvent que 86% est une infamie hyper-sélective. Egalitarisme bien compris commence par soi-même.

    Le SNES, jamais en retard d’une démagogie, proteste hautement (2) et voudrait que l’on fasse profs des malheureux dépourvus de toute compétence — chair à canon pour le recrutement syndical, probablement. Au lieu de s’indigner, comme le fait par ailleurs le SNALC (3), du double bind, la double contrainte des jurys : accepter le plus grand nombre, quitte à descendre le niveau de recrutement plus bas que les pâquerettes, ou refuser cette mascarade, et autoriser du coup le ministère à nommer à la rentrée aux postes non pourvus des vacataires exfiltrés de Pôle Emploi, compétents par inadvertance, mais lâchés comme les autres dans la cage aux fauves. Avec en poche une Licence qui ne vaut pas tripette — grâces soient rendues aux universitaires qui persistent, sous prétexte qu’ils font de la Recherche, à ne pas former décemment les étudiants qui voudraient exercer le plus beau métier du mondeOui, honte à eux, qui n’ont pas voulu comprendre, depuis quinze ans, que la perte de substance au collège et au lycée, qui est le fait de programmes irréalistes et d’une idéologie pédagogique mortifère, leur promettait des générations d’étudiants en échec permanent. Et que la perte de substance dans les trois premières années de fac, qui est cette fois de leur fait exclusif, nous garantit, à nous, et à nos enfants, une pleine génération de frustrés, que l’on aura menés au bord de l’eau sans les laisser boire, titulaires de diplômes dont la reconnaissance sera aléatoire, et des enseignants qui, sauf miracle individuel, seront à la peine ou à la ramasse…

    Il n’en fallait pas plus pour que Josette Théophile (4), Directrice des Ressources Humaines des deux ministères de l’Education et de l’Enseignement Supérieur, pavoise. Et avoue, avec la naïveté et l’arrogance qui sont, depuis quelques années, l’apanage des grandes incompétences de la rue de Grenelle, que tout va très bien, Madame la Marquise. Le nombre de postes, dit-elle, excédait les besoins : « Nous avions anticipé les choses et surcalibré le nombre de postes offerts : sur les 978, environ 300 ne correspondent pas à des besoins des académies ». Admirable prévoyance ! Avec 16 000 suppressions de postes par an depuis trois ans et une architecture du « nouveau lycée » qui sacrifie hardiment les savoirs sur l’autel de la rigueur budgétaire, je veux bien croire qu’on ait de moins en moins besoin de profs — contre toute logique, et toute évidence. En tout état de cause on compensera les manques avec des vacataires, qui ont une Licence attribuée par les universitaires (voir plus haut…) et sont donc en mesure d’enseigner : à cette aune, qu’avons-nous encore besoin de concours ?

    D’ailleurs, c’est prévu. Le CAPES interne n’est déjà plus disciplinaire, c’est une Validation des Acquis de l’Expérience. Vous avez été Gentil Animateur au Club Med ? Qualifié comme prof de maths — ou de Lettres, au choix. L’agrégation est une survivance d’un passé discriminant — supprimons-la, nous ferons plaisir au SGEN et aux comptables, pseudo-libertaires et vrais libéraux main dans la main — ou pire. Les concours nationaux sont impossibles à gérer — d’ailleurs, les incidents se multiplient, par pur hasard bien sûr, depuis quelques années : autant les supprimer, comme le suggère le rapport Grosperrin (5), et permettre aux chefs d’établissement, bons juges en toutes matières, de recruter eux-mêmes leurs enseignants sur des « postes à profil »… Il ne sera plus nécessaire d’être compétent dans une quelconque discipline, mais on aura le petit doigt sur la couture du pantalon pédagogique. L’ignorance, c’est la force, et l’enseignement de l’ignorance, ça ne date pas d’hier, comme disaient Orwell, Jean-Claude Michéa — et ma pomme.

    La Poste ne marche plus : en vingt ans de libéralisation forcée, on a détruit un outil performant qu’on avait mis cinq siècles — depuis François Ier — à mettre au point.

    L’hôpital prend l’eau — nous avions le meilleur système de santé du monde, nous serons bientôt aussi mal en point que les Américains.

    L’Ecole était une réussite, et permettait à de nombreux enfants déshérités de devenir à leur tour héritiers : elle a été vidée de son contenu, mise à l’encan, livrée dans un premier temps aux pédagos, qui ont été les soutiers des bouchers libéraux — mais les uns et les autres mettront leurs enfants dans les quelques établissements, privés ou publics, que l’on gardera comme fabriques d’élites auto-reproduites.

    Nous nous sommes battus contre tous ceux, de droite et de gauche, qui sous les prétextes les plus divers ont ruiné le système français. Un combat perdu (6), sauf si nous arrivons à faire comprendre aux candidats crédibles à la future élection que leur avenir électoral passe par une remise en forme d’un Etat centralisé, seul capable de s’opposer aux forces centrifuges qui aujourd’hui épuisent les forces de la France — et sa patience.
     

    (1) http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/07/12/des-cent...

    (2) http://www.snes.edu/petitions/?petition=22

    (3) http://www.snalc.fr/affiche_article.php?actu=1&id=626...


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