Dernière modification : 18/05/2013
Le rapport parlementaire qui accable les "services secrets" français
Jean-Jacques Urvoas, l'auteur du rapport
© AFP
Un rapport parlementaire, présenté par le député PS Jean-Jacques Urvoas, très critique envers le monde du Renseignement français, a été rendu public mardi 14 mai. Il passe en revue les nombreuses incohérences des services secrets français.
De l’audition d’anciens ministres en passant par l’interrogatoire de dizaines d’agents du renseignement : ils ont tout passé au peigne fin. Le député PS Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l’Assemblée et quatorze de ses collègues rapporteurs, ont planché pendant ces sept derniers mois sur les carences des services secrets français.
Et dans leur épais rapport (voir ci-dessous), rendu public mardi 14 mai, ils se montrent particulièrement sévères avec "la communauté française du renseignement". Il faut dire qu’avec la retentissante "affaire Merah", les services de renseignement français se sont surtout illustrés par leur incapacité à appréhender un terroriste présumé, déjà connu de leurs services.
La "communauté française du renseignement"
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Les services secrets français se répartissent en six cellules qui ne dépendent pas tous des mêmes ministères, ce qui rend difficile leur orchestration générale.
La DGSE (sécurité extérieure), la DRM (renseignements militaires) et la DPSD (sécurité de la défense) dépendent du ministère de la Défense.
La Tracfin (circuits financiers clandestins) et la DNRED (enquêtes douanières) dépendent du ministère des Finances.
La DCRI (renseignement intérieur) dépend, elle, du ministère de l’Intérieur.
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Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, conscient qu’une telle bévue révélait surtout de profondes défaillances des services secrets, a donc approuvé l'initiative parlementaire de Jean-Jacques Urvoas pour mieux identifier ces dysfonctionnements. La démarche est inédite : jusqu’ici objet exclusif du pouvoir exécutif, le Renseignement a - pour la première fois sous la Ve République - entièrement ouvert ses portes à des parlementaires.
"Indéfendable et nuisible"
Et le résultat n’est pas franchement flatteur. Dès les premières pages du rapport, Jean-Jacques Urvoas ouvre les hostilités en s’attaquant à la nature même du service. "Activité secrète par essence et par nécessité, le Renseignement continue de s’inscrire dans un environnement (…) extraordinairement flou". Et d’enfoncer le clou. "Vivant au rythme des crises qu’ils suscitent ou subissent, les services [du Renseignement] travaillent au profit de la République dans les limbes du droit et des exigences démocratiques. Or plus les années passent et plus le retard accusé par la France dans ce domaine paraît indéfendable et nuisible". Voilà pour l’incipit.
Les 180 pages suivantes adoptent peu ou prou le même ton. Décortiquant les codes, la hiérarchie et les moindres rouages du renseignement français, les quinze élus de la République, de toute obédience politique, ont procédé méthodiquement au dépeçage du cadre juridique, de l’organisation et des moyens alloués à ce corps d’élite. Petit tour d’horizon des défaillances notoires du Renseignement.
"Faute de textes législatifs adaptés à certaines de leurs activités, [les services de renseignement] sont parfois contraints d’agir en dehors de tout cadre juridique", écrivent les rapporteurs. Une aberration pour les agents qui, note le rapport, lorsqu’ils interceptent des communications, insonorisent des lieux, géocalisent un téléphone portable ou un véhicule, tombent, en fait, sous le coup de la loi !
"Le cadre juridique s’avère brouillon, fruit d’un processus de sédimentation que nul n’a souhaité rationaliser en raison du secret qui entoure cette activité", dénoncent les parlementaires. Sans pour autant rompre avec la culture du secret, il est impératif de mieux encadrer les activités du Renseignement, préconisent-ils. "Un État de droit peut-il couvrir des actions illégales au nom des intérêts supérieurs de la Nation ?", interroge à ce titre Jean-Jacques Urvoas.
Là encore, le verdict est sans appel. "Les moyens d’actions dont disposent les services de renseignements sont bien maigres", peut-on lire dans le rapport. Faute de cadre juridique clair, pas de moyens légaux. Les agents ne peuvent, en théorie, que "recourir à des interceptions de sécurité [écoutes téléphoniques], à des réquisitions de données techniques de connexion [fadettes et adresses IP] ainsi qu’à l’usage restreint de fichiers. Tous les autres moyens exploitables sont frappés d’illégalité". Une faille qui va jusqu’à mettre en danger les fonctionnaires "qui œuvrent au service de la Nation", dénonce le rapport.
Fusion opérée en 2008 - et voulue par Nicolas Sarkozy - entre la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG), la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est l’union de "deux organisations aux identités aussi fortes que distinctes". Autant dire diamétralement opposées. "Couverts par le secret de la défense nationale, habitués à un fonctionnement très hiérarchisé et dotés de compétences judiciaires, les agents de la DST devaient donc apprendre à travailler de concert avec les fonctionnaires des RG, beaucoup plus portés sur des modes opératoires pragmatiques et passés maîtres dans l’art de transmettre la bonne information au bon moment à la bonne personne", déplore le rapport. Les parlementaires regrettent également que l’institution ne soit pas indépendante de la Direction générale de la police et qu’elle ne puisse pas recruter plus de spécialistes (banquiers, sociologues, informaticiens) en lieu et place des policiers.
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L’anonymat des agents malmené
"Il n’est plus rare que d’anciens agents décident de relater certains souvenirs de leur vie professionnelle antérieure dans des œuvres journalistiques ou littéraires, alors même (…) qu’ils sont soumis au secret de la défense nationale", accuse Jean-Jacques Urvoas. Un exercice qui est donc hautement répréhensible. Il est de plus en plus fréquent que des personnels du Renseignement se mettent en danger par la "divulgation trop fréquente, par les médias, de leur identité ou de leurs modes opératoires." Et les parlementaires de citer pas moins de 20 titres d’ouvrages écrits par des anciens agents ou directeurs du Renseignement.
Un Conseil national du renseignement fin 2013
Sévère, le rapport ne prévoit pourtant pas de "faire table rase du passé pour créer un nouveau système de renseignement. Il propose de créer une loi pour mieux sécuriser les services secrets", explique Jean-Jacques Urvoas, interrogé par FRANCE 24. Reste désormais au gouvernement et au chef de l’État de trancher.
Le président François Hollande devrait réunir, avant l'été, un conseil national du renseignement pour fixer les lignes de cette réforme, et valider, d'ici à fin 2013, un nouveau plan national d'orientation du renseignement, qui servira de cadre au futur texte. Le renseignement français devrait se doter d'une nouvelle loi d'ici à 2014.
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