-
Boko Haram : les filles des Chibok, l'arbre qui cache la forêt
<article><header>Boko Haram : les filles des Chibok,
l'arbre qui cache la forêt
Il y a un an, Boko Haram enlevait 200 lycéennes dans le nord-est du Nigeria. Les chances de les retrouver sont minces, dans une région abandonnée de tous.
</header>Le slogan "Rendez nous nos filles" sur un panneau à Malaga, un mois après leur enlèvement.(JORGE GUERRERO / AFP)<aside class="top-outils"></aside><aside class="inside-art" id="js-article-inside-art"><section class="social-buttons js-share-tools"></section></aside></article><article>
<aside class="inside-art" id="js-article-inside-art"><section class="obs-article-brelated">À lire aussi
- NIGERIA. La présidentielle perturbée par des violences
- Réfugiés de Boko Haram, rescapés de l'enfer
- Boko Haram fait allégeance à l'Etat islamique et espère en tirer profit
Bien sûr, il ne faut pas les oublier. Bien sûr, il faudrait pouvoir attacher des noms, des photos, une histoire singulière à chaque d’entre elles, ne pas les réduire à un nombre. Oui bien sûr, il faut se rappeler de ces quelques 200 écolières de la ville de Chibok, dans le nord-est du Nigeria, enlevées par Abubakar Shekau, le leader de Boko Haram, il y a tout juste un an. Cette mobilisation soudaine, après des mois de silence permettra-t-elle pour autant de retrouver un jour ces jeunes filles ? C’est peu probable.
Dans les milieux informés, au sein des services spéciaux, qu’ils soient français, britanniques ou américains, personne ne pense sérieusement que ces malheureuses seront un jour libérées. Personne n’imagine d’ailleurs qu’elles soient retenues prisonnières dans une cache dont on pourrait les délivrer.
Le nouveau président du Nigeria, Muhammadu Buhari, tout juste élu, a promis de s’attaquer sérieusement à la menace Boko Haram. Mais il a lui-même d’emblée déclaré dans un communiqué publié mardi qu’il se devait "d’être honnête" et qu’il était très possible, même s’il promettait de faire "tout ce qui était en son pouvoir", qu’on ne retrouve jamais les jeunes filles de Chibok… Et pour cause.
Un impossible retour
Le terrible destin de ces otages, tout le monde dans la région le connait : certaines ont été violées, puis tuées. D’autres ont été vendues ou données aux "combattants" de Boko Haram et mariées de force. Celles qui n’ont pas trouvé preneur dans ce trafic d’être humain, parce qu’elles étaient trop vieilles ou pas assez belles, sont mortes. C’est d’ailleurs ce qui ressort des témoignages des rares rescapées. Celles qui ont pu s’échapper ne sont pas tirées d’affaires pour autant. Un bon connaisseur de la région explique :
Peu de familles acceptent de les récupérer, car elles sont détruites psychologiquement et impossible à marier."
Alors faut-il relayer cette campagne, continuer de brandir nos banderoles, de marteler "rendez nous nos filles" ? On peut toujours faire semblant d’y croire. Mais il est peu probable que cette mobilisation serve à grand-chose d’autre qu’à se donner bonne conscience.
Le plus beau jour de la vie d’Abubakar Shekau reste sans aucun doute celui où Michelle Obama, la first lady en personne, a exhibé cette fameuse pancarte "Bring back Our Girls" avec cette mine à la fois triste et indignée : "Rendez-nous nos filles". Parions qu’il n’en est pas revenu. Lui, pauvre bougre analphabète de Maiduguri, avec ses bottes en plastique et ses haillons, interpellé, en direct, par la First Lady ! Quelle aubaine. Et voilà soudain, comme par miracle, le nom de Boko Haram connu dans le monde entier, à l’égal de Daech qu’il admire tant !
Même dans ses rêves les plus fous, ce fanatique qui rêve de rétablir un Khalifat tel qu’il pouvait exister au 11eme siècle, n’aurait pu imaginer une telle aura. Presque trop beau pour être vrai : L’image juxtaposée de Michelle Obama avec son panneau, et de ce fanatique au regard fou vociférant devant cette foule de jeunes filles a instantanément suscité une vague d’émotion mondiale, comme seuls les réseaux sociaux savent désormais en soulever. Difficile de faire mieux en matière de buzz et de com.
Des centaines d'autres enlèvements
"Il y a depuis le début dans cette histoire, une sorte de tromperie de l’opinion publique", constate le spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser. Naïveté ou cynisme ? L’affaire révèle en tout cas une méconnaissance certaine de la réalité de terrain.
L’enlèvement des jeunes filles de Chibok est en effet hélas l’arbre qui cache la forêt. Il y a en a eu dans cette région des centaines d’enlèvements de fillettes et de femmes avant le 14 avril 2014 ; et des dizaines d’autres après.
Un bon connaisseur du pays constate :
D'une manière générale une femme, ici, à trois maîtres – le père, le mari et la religion – et un seul droit : celui d'obéir. Boko Haram ou pas, elle est de toute façon une marchandise et rien d'autre."
Dans cette région abandonnée de tous, le niveau d’éducation, le taux d’emploi, le revenu par habitant sont les plus faibles du pays. Les retombées de la manne pétrolière se sont évaporées dans la poche de quelques notables. L’état de droit n’existe pas, la police et l’armée ont abandonné le terrain. Les enlèvements et le trafic d’être humain sont monnaie courant. Ils n’ont malheureusement jamais ému personne.
Le nord du pays, oublié
En arrivant au pouvoir Jonathan Goodluck, l’ex-président chrétien a concentré ses efforts sur le Sud – chrétien – où sont concentrés les puits de pétrole. Il y a restauré l’ordre, éradiquant les bandes de pirates qui faisaient jusque-là la loi. Antoine Glaser analyse :
Tout le monde a considéré qu’il était une chance pour le pays, en fermant les yeux sur ce qui se passait au Nord."
Or tandis que le Nigeria s’enrichit, devenant la première puissance économique d’Afrique, le Nord, musulman, tombe en totale déshérence.
Dans ces villages misérables, Boko Haram s’est petit à petit substitué à l’Etat dans l’indifférence générale. Le groupe islamiste, composée d’un noyau dur de fanatique auxquels s’agrègent des groupes d’opportunistes sème la terreur, viole, tue, pille, n’hésitant pas, même à repousse r encore les frontières de l’horreur en utilisant des enfants comme bombes humaines. Il embrigade les jeunes désœuvrés, les bandits de grand chemin, les coupeurs de route pour piller, violer, bruler, et tuer sur commande, contre quelques pièces, la promesse d’un repas, ou d’une femme… Jusqu’où iront-ils ?
Oui, il faut condamner l’enlèvement des filles de Chibok. Oui, l’indignation est nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante.
Natacha Tatu
</article>
-
Commentaires