Contrairement à ce que beaucoup de contribuables pensent, les taxes et les différents impôts ne servent pas en principe à financer un besoin spécifique comme la lutte contre l'obésité ou la sécurité routière. Tout l'argent prélevé est normalement reversé dans un pot commun. Pot dans lequel pioche l'Etat pour ses dépenses. C'est ce qu'on appelle le principe d'universalité budgétaire et, par voie de conséquence, de non-affectation des recettes. Pourtant, au fil des ans, les gouvernements successifs ont contourné cette règle en affectant des ressources fiscales à d'autres entités que l'Etat.
Le phénomène est désormais loin d'être négligeable. En tout, 309 de ces taxes dérogatoires (à l'exclusion de la CSG, de la CRDS, du forfait social et des impôts affectés aux collectivités locales) ont ainsi été recensées pour l'année 2011 par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Dans un rapport rendu public jeudi 4 juillet ("La fiscalité affectée: constats, enjeux et réformes"), le CPO estime qu'elles représentaient près de 112 milliards d'euros de recettes fiscales cumulées en 2011, soit près de 5,6% du PIB de l'époque. A titre de comparaison, c'est deux fois plus que l'impôt sur le revenu et pratiquement autant que la TVA.
Cela va de la contribution à l'audiovisuel public aux taxes sur les nuisances sonores aéroportuaires en passant par les taxes sur les primes d'assurance automobile. La plupart du temps, les taxes affectées servent à financer les organismes de sécurité sociale (48% des montants collectés en 2011) ou les agences de l'Etat comme le Centre national du cinéma (12% des recettes des taxes affectées).
Des taxes coûteuses à gérer
Or, cela pose plusieurs problèmes de taille. En premier lieu, il existe de nombreuses taxes affectées dont l'assiette apparaît minuscule. On citera notamment la taxe sur les prémix, ces boissons alcoolisées mélangées avec du soda, qui a rapporté moins de 500.000 euros en 2013! Et la gestion de ces "micro-taxes" est onéreuse car elle implique des coûts de recouvrement importants par rapport au montant des recettes. Dit autrement, leur rendement est parfois très faible.
Ces recettes fiscales augmentent en outre rapidement par rapport aux autres recettes de l'Etat. De 84 milliards d'euros en 2007, elles devraient passer à plus de 120 milliards d'euros cette année. Leur croissance est même quatre fois plus importante que l'ensemble des prélèvements obligatoires (+27,6% contre +7% de 2007 à 2011). Ce qui pousse les entités qui en bénéficient à adopter une gestion budgétaire peu rigoureuse voire déconnectée de leurs besoins réels. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, qui a présenté le rapport, a mis les pieds dans le plat, parlant clairement d'un "encouragement à la dépense".
Aussi, entre 2007 et 2012, le Conseil des prélèvement obligatoires a constaté que les opérateurs de l'Etat qui bénéficient de taxes affectées ont vu leurs effectifs gonfler de 10,4%, contre une augmentation de 4,1% pour les opérateurs qui ne disposent pas de ces financements et un recul de 5,8% parmi les personnels de l'Etat. La croissance de la masse salariale a suivi la même trajectoire : +14% par tête entre 2008 et 2011, contre +9% par tête dans le Budget général de l'Etat.
Un faible contrôle des députés
Un phénomène d'autant plus grave que les taxes affectées échappent en partie au contrôle du Parlement et laissent les coudées franches à leurs bénéficiaires. Après avoir voté ces dernières, les députés ne peuvent pas minorer directement les recettes des bénéficiaires. Ou alors, il est nécessaire de les compenser financièrement. Aucun ajustement budgétaire en cours d'année n'est par ailleurs possible, contrairement à ce qui relève des dotations de l'Etat. L'encadrement budgétaire a certes fait quelques progrès. Le plafonnement des taxes affectées à des opérateurs est ainsi inscrit dans la charte de budgétisation pour la période 2012-2017. Mais cet encadrement est encore largement perfectible.
D'autre part, l'Etat semble avoir aussi les plus grandes difficultés à exercer sa tutelle sur les organismes bénéficiaires de ces taxes. Ainsi, 40% seulement des opérateurs de l'Etat disposaient en 2012 d'un contrat de performance avec leur autorité de tutelle.
Pour rationaliser cette fiscalité parallèle, le Conseil des prélèvements obligatoires suggère un contrôle budgétaire systématique de ces taxes affectées et la généralisation du plafonnement de leurs recettes. Le CPO estime également que certaines "micro-taxes" devraient être purement et simplement supprimées. Il préconise également de réintégrer au budget général de l'Etat, à moyen terme, près de 80 de ces taxes et de les remplacer par des dotations budgétaires. Enfin, pour éviter qu'elles ne se multiplient progressivement à l'avenir, le CPO souhaite modifier la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour "mieux encadrer les affectations externes au budget général".
Pas sûr cependant que les recommandations du Conseil soient reprises à leur compte par les autorités. Car c'est par ce mécanisme alambiqué que le pouvoir a pu contourner les contraintes budgétaires ces dernières années. En effet, les gouvernements successifs peuvent afficher une maîtrise des dépenses au niveau du budget général, tout en augmentant les taxes affectées. Celles-ci, assimilées à des recettes, ne sont pas prises en compte dans les normes de dépenses retenues. Aussi, au lieu d'augmenter le budget de l'Etat puis de reverser des dotations aux agences concernées, l'exécutif a préféré sortir artificiellement ces dépenses supplémentaires du budget général en créant des taxes affectées, facilitant ainsi le respect des engagements budgétaires de l'Etat.