• bandeau bibliobs

    Actualité > Actualités > « Harry Potter est un bâtard »

    <header>

    « Harry Potter est un bâtard »

    </header>

    <time datetime="2013-09-21T11:06:31" itemprop="datePublished">Publié le 21-09-2013 à 11h06</time>

    François Comba donne cette année un cours à Sciences Po sur les enjeux politiques, psychanalytiques et littéraires du best-seller de J.K. Rowling. Entretien fouillé

    lien

    "Harry Potter et l’Ordre du Phénix" est le tome V de la série à succès de J.K. Rowling parue en France chez Gallimard. (Gallimard)

    "Harry Potter et l’Ordre du Phénix" est le tome V de la série à succès de J.K. Rowling parue en France chez Gallimard. (Gallimard)

    <aside class="obs-article-brelated" style="margin-left:20px;"> <header class="obs-blocktitle">Sur le même sujet</header>

    A lire sur Internet
    </aside>

    Peut-on lire du Rowling comme du Kipling ? C'est le pari de François Comba, professeur à Sciences Po, qui ouvre cette année un cours sur les enjeux politiques, psychanalytiques et littéraires d'«Harry Potter». Ça méritait bien quelques explications. 

    BibliObs Vous êtes historien de formation, et vous vous retrouvez à donner cours sur «Harry Potter» à Sciences Po. Ça peut sembler étonnant, non?

    François Comba J’espérais depuis longtemps que Sciences Po me laisserait créer cet enseignement sur «Harry Potter». Je perçois un double intérêt dans cet ensemble romanesque. D’abord, quoi qu’on en dise, c’est un texte et une œuvre d’art – je n’ai pas le sentiment de déroger en m’occupant de ce livre. Ensuite, c’est un objet qui est encore en friche. Certes, énormément de travaux lui ont été consacrés, de nombreuses thèses ont été écrites ainsi que quelques ouvrages à destination d’un public élargi. Mais tous ces ouvrages peuvent être subdivisés en deux catégories.

    Les premiers sont à destination du grand public et plus précisément de la presse et des parents affolés. Ils avaient pour objectif de rassurer en expliquant un phénomène de société. Beaucoup de journalistes, comme Isabelle Smadja, ont travaillé sur les chiffres de vente. Leur souci était de proposer une analyse globale du texte pour expliquer son succès en librairie. C’est une démarche que je trouve ahurissante, on sent dès qu’elle est énoncée qu’elle est fautive. Le succès d’un livre ne démontre en rien sa qualité. En l’occurrence, le succès de ce cycle «Harry Potter» a été une malédiction. Surtout en France, où il est dit que si un ouvrage se vend, c’est parce qu’il est mauvais: un préjugé qui ne repose, à mon sens, sur aucune réalité. Ainsi, personne n’a été amené à considérer qu’on avait affaire à un objet littéraire.

    La deuxième catégorie d’ouvrages consacrés à «Harry Potter» reste les thèses. Le problème de ces thèses est qu’elles ont fragmenté l’objet, en choisissant d’en étudier des aspects extrêmement spécialisés qui ne permettaient pas non plus de proposer une interprétation globale de l’œuvre. Dans les deux cas, le texte est manqué, il attend toujours. D’où le sens de mon cours.

    Ceux qui se sont penchés sur le texte ont été obligés de concéder que ce livre avait des mérites. Certes, disaient les uns, ce roman recycle avec adresse toute une culture de la fantaisie, du roman gothique; les autres reconnaissaient que ce «livre pour enfants» était habile, trouvaient aux héros des ancêtres comme les personnages du Club des Cinq… Chacun y est allé de son petit compliment, non sans condescendance.

    Le problème est que personne n'a osé se dire, tout simplement, que ce livre pourrait égaler, dans son genre, des ouvrages comme «Robinson Crusoé», «David Copperfield» ou «le Livre de la jungle», c’est-à-dire des livres qui ont d’abord passionné les enfants, mais qui ont aussi très rapidement rencontré un public d’adultes. Si Kipling reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1907, à l’âge de 42 ans, c’est bien qu’il n’y a pas eu que les enfants pour le lire ! «Harry Potter» peut aussi être lu comme une œuvre littéraire, comme une œuvre savante, subtile et magnifiquement agencée. Un travail de critique littéraire peut être fait sur ce livre. Pourquoi à Sciences Po ? Parce que le texte contient des enjeux politiques que je voudrais analyser avec mes élèves.

    20 09 13 François Comba Nathalie Deuil
    François Comba, historien de formation, donne cette année un cours à Sciences Po sur les enjeux politiques, psychanalytiques et littéraires d'"Harry Potter". (DR Nathalie Deuil)

    On va y venir, mais d'abord, qu’est-ce qui donne à ce roman une valeur littéraire?

    La valeur du livre de J.K. Rowling, à mon sens, tient dans les choix qu’elle a faits dès le début de son projet d’écriture : la position du narrateur par exemple, avec dans l’ensemble une focalisation interne sur Harry, de sorte qu’elle est toujours avec lui, un œil sur ses pensées, un œil sur ses actes, et en même temps dans une sorte de distance ironique vis-à-vis de lui. Il y a là une tenue de la narration. La question de la voix narrative est absolument décisive. Il n’y a pas un grand roman qui n’ait effectué un arbitrage subtil sur ce sujet. Cette focalisation sur Harry donne une axialité, une force directrice au texte qui a ce héros comme origine, thème et fin. Ce choix de focalisation transforme le cheminement d’Harry en une véritable anabase, une montée vers sa vérité intérieure.

    L’autre intérêt de ce livre, et sa grande originalité, tient à la façon dont l’auteur met en forme le temps: elle obtient le sentiment de la durée en faisant mûrir son écriture à mesure que son héros grandit. Lorsqu’il est enfant, elle choisit une écriture enfantine, elle s’exprime en termes clairs et entiers, et à mesure qu’il grandit, elle complexifie sa pensée. Elle augmente la part d’analyse dans son récit, parce que les capacités d’analyse de son héros (et de son lecteur, s’il a grandi avec elle) ont augmenté. On a donc ici une mise en forme du temps qui est sans exemple dans l’histoire de la littérature de jeunesse. Son livre est également le roman le plus long de la langue anglaise, plus long encore que le «Quatuor d’Alexandrie» de Lawrence Durrell. 

    Harry Potter reste aujourd’hui catégorisé «littérature de jeunesse». Qu’en pensez-vous?  

    J’ai lu récemment dans la presse: «Sciences Po va s’occuper de la littérature de jeunesse». C’est mignon, mais c’est une erreur fondamentale ! Ce qui me frappe justement dans ce livre, c’est que l’auteur a essayé d’écrire un livre pour la jeunesse, qu’elle s’y est tenue pendant les 2-3 premiers volumes, et qu’ensuite elle n’y arrive plus!

    L’écriture et l’intrigue se complexifient de plus en plus, et on ne me fera pas croire qu’un enfant de 13 ans a réellement lu le tome 5, «Harry Potter et l’Ordre du Phénix», qui est très long, poisseux, aride, on est pris dans une brume froide, grise, oppressante et les descriptions s’allongent sensiblement, de sorte qu’un enfant ne peut pas s’amuser à toutes les pages, il ne peut lire ce tome qu’en sautant des pages. Ce sont les grands adolescents et les adultes qui s’y sont intéressés. Ce cycle «Harry Potter» a tout de la littérature de jeunesse dans les premiers opus, mais il cesse rapidement de l’être. On a affaire a de la littérature tout court.

    On m’a raconté que J.K. Rowling a été filmée il y a quelques années alors qu’elle faisait une lecture de son roman à une classe d’enfants âgés de 10-11 ans, en Angleterre. Elle a fait une petite introduction à cette lecture, et cette introduction était littéralement terrifiante : «La vie est dure, disait-elle, il faut se battre, il faut travailler.» Son discours avait quelque chose de très angoissant, on sentait une guerrière, une femme en lutte. Bien sûr, à l’écrit, elle enrobe cette réalité d’une certaine grâce et surtout de beaucoup d’humour, mais l’âpreté dans son écriture fait régulièrement surface.

    La mise en abîme de l’écriture est omniprésente dans le cycle, particulièrement avec le thème de la presse, que Rowling ne ménage pas. Une scène dans le tome 1 montre que l’actualité tombe littéralement sur les élèves à l’heure du petit-déjeuner, sous la forme de journaux jetés par les hiboux arrivant de la ville. Et tout au long de la saga, le héros est dans un bras de fer constant avec 'La Gazette du sorcier'. N’est-ce pas une façon de mettre en garde les jeunes lecteurs contre la façon dont les médias régentent leur vision du monde ?

    Oui, de toute évidence. Non seulement elle les met en garde, mais surtout elle leur donne la clef, en leur disant : «vérifiez que c’est bien écrit». Regardez les articles de Rita Skeeter [personnage de journaliste corrompue, ndlr], ou les extraits de sa biographie diffamante de Dumbledore: on sent que J.K. Rowling pastiche pour l’occasion un certain style de presse et dénonce cette façon d’écrire.

    De même quand elle prête sa plume à Percy Weasley, orgueilleux préfet-en-chef à Poudlard et sous-fifre du malhonnête Ministre de la Magie à partir du cinquième opus. Son écriture dans sa correspondance, pleine d’infatuation vaniteuse, rappelle celle de Mr Collins dans «Orgueil et Préjugés». J.K. Rowling demande donc à ses lecteurs de se méfier de leurs informateurs : ils reconnaîtront l’imposture car ce sera mal écrit. Il y a ici une restauration de l’idée de l’écriture noble, exigeante, honnête. Le message est clair: avec une bonne éducation littéraire, on démasque les faiseurs de phrases qui sont des faiseurs de mensonges.

    Le thème de la désobéissance civile sous-tend toute l’évolution du héros, particulièrement dans les derniers volumes. Diriez-vous comme Isabelle Smadja qu’Harry Potter est le premier héros anticapitaliste, antimondialiste, dans la ligne des émeutes de 1999 à Seattle ?

    Quand on cherche du politique dans un texte, on en trouve. J.K. Rowling ne nous vend pas de carte de parti. C'est avant tout une romancière. Elle met en scène des personnages fictifs. Ils ne sont certes pas dépourvus d’une dimension politique. Mais elle ne contrôle pas la lecture politique qui peut être faite de ses œuvres, et le risque de surinterprétation qui l’accompagne.  

    D’ailleurs, assez significativement, dans le trajet qu’Harry doit accomplir, il est amené à réévaluer Dumbledore, sacré dans le premier opus comme une référence absolue et quelque peu idéalisée. Autrement dit, il se retrouve sans leader. On lui demande expressément  dans le volume 7 de sortir d’un culte du chef qui lui serait fatal. J.K. Rowling est trop attachée à cette idée de l’indépendance de l’esprit pour qu’on puisse réduire son héros à un anarchiste ! Cela dit, je peux me tromper.

    Connaissez-vous cette formule de Gide à propos de Maupassant ? «Maupassant est à chacun de ses lecteurs la même chose et ne parle à aucun en secret.» Autrement dit, il n’est pas un écrivain ! Je rejoins Gide totalement: un écrivain est quelqu’un qui n’est à aucun de ses lecteurs la même chose et qui parle à chacun en secret. C’est pourquoi la critique est possible.

    A Poudlard, le rôle initiatique du sport prend des proportions hallucinantes pendant les fameux matchs de «Quidditch». Une façon de singer l’importance hypertrophiée donnée par les Anglo-Saxons à certains rites collectifs?

    Il faut le dire, ces pages sur le Quidditch sont absolument extraordinaires ! D’inventivité, d’abord, car J.K. Rowling invente un sport de toutes pièces : un sport évidemment totalement idiot, ce qui permet déjà de répondre à votre question ! L’enjeu est le renforcement et la réaffirmation de la virilité. Le choix fait est celui du corps sur l’intelligence. Harry lui-même, pourtant si réfléchi, cesse de l’être quand il joue au Quidditch, et laisse l’instinct de survie conduire ses choix. Il a besoin non plus d’un cerveau, mais d’un corps et d’un balai plus rapides et réactifs que ses adversaires. J.K. Rowling décrit un mouvement d’identification, d’oubli de soi provoqué par la présence de la foule. Le lecteur est affolé, surtout s’il n’a pas l’habitude des stades, car chaque personnage semble descendre au plus bas de lui-même quand il joue un match de Quidditch, le regarde ou le commente. La compétition devient haine de l’adversaire et nourrit le patriotisme de chaque maison dans cette mini-société qu’est Poudlard.

    La grande ironie de cette trouvaille formidable qu’est le Quidditch, c’est que J.K. Rowling nous sert un ou deux matchs par volume jusqu’au troisième opus ; à partir de là, on sent qu’elle n’a envie que d’une chose: s’en débarrasser ! Le tournoi des trois sorciers prend le pas sur le Quidditch dans le 4e opus, Dolores Ombrage interdit à Harry de jouer au début du 5e, et c’est Rogue qui prend le relais dans le 6e en infligeant à Harry des heures de retenue sur ses heures d’entraînement.

    Mais elle ne parvient qu’à moitié à se défaire de ce sport, car ses personnages sont, comme Sartre le voulait, vraiment libres : elle, maîtresse-écrivain, réussit cette prouesse stylistique d’inventer un sport et d’y faire croire, si absurde soit-il, mais elle peine ensuite à en détourner ses personnages. Ils veulent jouer, et de plus en plus ! Ils lui imposent le retour du jeu au fil des opus, elle ne sait plus comment les arrêter : les punitions des professeurs arrêtent Harry, mais la fièvre a gagné d’autres personnages, Ron par exemple, qui rejoint ses frères Fred et George. 

    La métaphore de la discrimination raciale est très présente avec les notions de «Moldus», de «Sang-mêlés», de «Sang-purs»… 

    Un message politique est parfaitement repérable : « ne soyez pas raciste ». Mais surtout, J.K. Rowling met en garde contre le racisme inconscient, celui de Ron notamment, qui peine à traiter les Elfes de maison en égaux. J.K. Rowling sait à quel point l’adolescence est une période décisive, pendant laquelle chacun est invité à atteindre un niveau de conscience propre à abandonner de tels réflexes. Ron constitue un parfait exemple de l’évolution qu'elle voudrait voir chez chacun de ses petits lecteurs.

    Mais le grand paradoxe de son roman, c’est qu’il prend place dans un monde extrêmement élitiste et fermé. Poudlard fonctionne comme une école d’élite, ouverte seulement à quelques élus, parce qu'ils sont dotés d’un don de sorcellerie. On n'est pas si loin de l’enseignement supérieur anglais, lui aussi extrêmement exclusif, avec des coûts de scolarité de plusieurs dizaines de milliers de livres.

    Symboliquement, elle aurait pu imaginer un lieu plus propre à servir son message d’égalité ! J.K. Rowling a dû sentir ce décalage gênant, car dans son roman suivant, «Une place à prendre», elle rectifie le tir et fait l’éloge des écoles publiques anglaises au sens français du terme, c’est-à-dire ouvertes à tout le monde et y compris aux plus démunis. Elle y rappelle que la mission d’une société est de former et de donner une chance à tous les enfants, quelles qu’en soient les répercutions fiscales. 

    Harry est dans une quête permanente de ses origines et de son identité, et les différents volumes lui livrent au compte-goutte des indices de ce qui s’est vraiment passé le soir de la mort de ses parents… Comment expliquez-vous la fascination qu’exercent les héros orphelins sur les adolescents?

    Marthe Robert a répondu à cette question dans «Roman des origines et origines du roman». Il y a deux statuts pour le héros : soit c’est un orphelin, soit c’est un bâtard. Harry, à mon sens, est un peu des deux. Certes, il est orphelin. Mais comme le professeur Severus Rogue a été très amoureux de sa mère, Harry est aussi un bâtard, symboliquement, en ce que Rogue le protège comme un fils sans se l’avouer à lui-même.

    Le héros prend conscience de cette filiation symbolique dans le dernier opus et nommera d’ailleurs son fils Albus-Severus, lui donnant ainsi les noms des deux hommes qui l’auront le plus protégé. Une façon pour Harry de congédier son parrain Sirius, qu'il a pourtant beaucoup pleuré à sa mort. Ce retournement est très intéressant. 

    Il s’organise d’ailleurs un trouble dans les derniers instants de Rogue : «Regardez-moi dans les yeux», répète-t-il à Harry, qui a hérité des yeux de sa mère. Je n’ai pas la réponse, mais je pose la question: est-ce qu’à cet instant précis, Rogue ne comprend pas enfin quelque chose à sa propre existence? Rogue est celui qui sait admirablement fermer son esprit et dissimuler sa pensée, si bien qu’il ne comprend rien lui-même à sa pauvre vie. Il semble avoir adopté Harry complètement inconsciemment, malgré lui.

    Admettre cette filiation permettrait d’expliquer la compétition très oedipienne qui oppose Harry et Rogue…

    En effet, d’ailleurs remonter au mythe d’Œdipe permet de mieux comprendre l’évolution d’Harry : la pièce de Sophocle décrit un roi cherchant à débarrasser sa cité de la peste. Il sait qu’il doit pour cela trouver le meurtrier du précédent roi, Laïos, et découvre au terme de l’enquête que le meurtrier n’est autre que lui-même.

    Harry connaît une trajectoire sinon similaire, au moins parallèle : voulant débarrasser le monde de Voldemort, il réalise au terme de ses pérégrinations qu’il lui faut se sacrifier lui-même. Non seulement il finit par réaliser qu'il est le fils spirituel de Rogue, mais il découvre aussi qu'une très ancienne généalogie fait de Voldemort son cousin, de sorte qu’on est encore dans une histoire de famille. Au fil des tomes on remonte donc plus profondément dans le temps, car Harry comprend, comme Œdipe, qu’il ne pourra avancer sainement vers l’avenir sans avoir élucidé le passé.

    Propos recueillis par Clémence Faber

     Quelle est la valeur littéraire de «Harry Potter»?

     Revenir à la Une de BibliObs


    votre commentaire
  • <header>

    Cubisme: une rétrospective pour

    redécouvrir Georges Braque

    </header>

    <time datetime="2013-09-17T08:45:02" itemprop="datePublished">Publié le 17-09-2013 à 08h45</time> - <time datetime="2013-09-17T23:55:32" itemprop="dateModified">Mis à jour à 23h55</time>

    lien

    Pour la première fois depuis 40 ans, Paris offre une ample rétrospective à Georges Braque, initiateur du cubisme avec Picasso et inventeur des papiers collés.
(c) Afp

    Pour la première fois depuis 40 ans, Paris offre une ample rétrospective à Georges Braque, initiateur du cubisme avec Picasso et inventeur des papiers collés. (c) Afp

    Paris (AFP) - Pour la première fois depuis 40 ans, Paris offre une ample rétrospective à Georges Braque, initiateur du cubisme avec Picasso et inventeur des papiers collés. Une redécouverte pour cet artiste très célébré dans l'après-guerre avant de connaître un passage à vide.

    Riche de quelque 200 peintures de Georges Braque (1882-1963), l'exposition, qui ouvre ses portes mercredi au Grand Palais, embrasse toute la carrière du peintre français. Depuis ses débuts fauvistes jusqu'à "La sarcleuse" funèbre qui était sur son chevalet à la mort de cet "homme discret, introverti, fidèle en amitié", indique Brigitte Léal, directrice adjointe du Musée national d'Art Moderne et commissaire de l'exposition.

    Braque n'avait pas eu de rétrospective complète à Paris depuis celle de l'Orangerie en 1973. L'exposition, qui se tiendra jusqu'au 6 janvier, "plaide en faveur d'une indispensable réhabilitation, amorcée depuis peu en France et bien engagée outre-Atlantique", souligne Mme Léal. L'oeuvre de Braque est "sous-estimée" car elle est "exigeante", "rétive à toute anecdote" et "pudique".

    Né à Argenteuil près de Paris, Georges Braque est petit-fils et fils de peintres en bâtiment. La Maison Braque, au Havre, décore les façades, réalise des surfaces en faux-bois, peint des lettres sur les boutiques. Braque y apprend les ficelles du métier.

    En 1900, il s'installe à Paris pour terminer son apprentissage de peintre décorateur. Il découvre les peintres "fauves" au Salon d'automne de 1905 et leur emboîte le pas avec talent. Il peint les paysages marseillais de l'Estaque, chers à Paul Cézanne.

    "Braque rentre vraiment dans la peinture sur les pas de Cézanne, qui sera un modèle pour lui toute sa vie", déclare Mme Léal.

    "Après l'impressionnisme, la leçon de Cézanne, qui meurt en 1906, est de revenir à la géométrie et à la construction", souligne-t-elle.

    "Petits cubes"

    Braque retourne peindre l'Estaque en 1908 mais son style a changé. Le paysage est réduit à des volumes, la perspective traditionnelle est oubliée, l'anecdote refusée.

    Découvrant l'exposition sur Braque présentée par Guillaume Apollinaire à la galerie Kahnweiler en 1908, Henri Matisse parle de "petits cubes". Un critique reprend l'expression. Le mot cubisme est né.

    L'année précédente, en 1907, Braque a rencontré Picasso, grâce à Apollinaire. L'Espagnol travaille aux "Demoiselles d'Avignon", toile révolutionnaire, considérée comme le premier tableau cubiste.

    Braque répond à l'immense toile de son ami par "Le grand nu" (hiver 1907-juin 1908). Une expérimentation car les figures sont rares dans l’œuvre de Braque.

    Il n'existe aucun portrait de sa femme ni aucun autoportrait de lui. Pendant la Deuxième guerre mondiale, il peint certes "L'homme au chevalet". Mais l'homme est de dos.

    Picasso et Braque vont avancer côte à côte jusqu'en 1913, comme une "cordée en montagne", dira le second. Ils émiettent la forme en facettes, réduisent la couleur à des camaïeux de gris-beige. Mais ils refusent l'abstraction. Certains éléments figuratifs demeurent.

    En 1912, Braque invente le papier collé. Dans "Compotier et verre", il utilise des bandes de papier faux bois et les conjugue à des dessins et des mots tronqués. Formes et couleurs sont dissociés.

    Mobilisé en 1914 et grièvement blessé en 1915, Braque parvient à reprendre ses pinceaux en 1917. "La musicienne" est un tableau magistral, marqué par le retour de la couleur.

    Dans les années 1930, ses natures mortes deviennent plus décoratives. Pendant l'Occupation, il se replie à Varengeville-sur-mer, peignant son atelier, des Vanités et de sombres poissons.

    Les dernières années, il peint de long panoramas: une bande de terre, le ciel, quelques oiseaux.

    Dans l'après-guerre, l'écrivain Jean Paulhan voit en Braque "le patron" de l'art moderne français. Le Louvre lui commande en 1955 un plafond. En 1963, il a droit à des funérailles nationales et André Malraux prononce son éloge funèbre.

    "Son statut d'artiste officiel de la France gaullienne lui a incontestablement porté ombrage auprès de la génération montante contestataire", relève Mme Léal.


    votre commentaire
  • Actualité > TopNews > Journées du patrimoine: plus de 12 millions de visiteurs

    <header>

    Journées du patrimoine:

    plus de 12 millions

    de visiteurs

    </header>

    <time datetime="2013-09-15T20:00:01" itemprop="datePublished">Publié le 15-09-2013 à 20h00</time> - <time datetime="2013-09-15T23:16:15" itemprop="dateModified">Mis à jour à 23h16</time>

    lien

    Le succès des Journées du patrimoine ne s'est pas démenti cette année avec, comme en 2012, plus de 12 millions de visiteurs qui, de l’Élysée à l'ancienne chocolaterie Meunier, se sont rendus ce week-end dans plus de 16.000 sites, indique dimanche à l'AFP le ministère de la Culture.
(c) Afp

    Le succès des Journées du patrimoine ne s'est pas démenti cette année avec, comme en 2012, plus de

    12 millions de visiteurs qui, de l’Élysée à l'ancienne chocolaterie Meunier, se sont rendus ce week-end

    dans plus de 16.000 sites, indique dimanche à l'AFP le ministère de la Culture. (c) Afp

    Paris (AFP) - Le succès des Journées du patrimoine ne s'est pas démenti cette année avec, comme en

    2012, plus de 12 millions de visiteurs qui, de l’Élysée à l'ancienne chocolaterie Meunier, se sont rendus ce week-end dans plus de 16.000 sites, a indiqué dimanche soir à l'AFP le ministère de la Culture.

    Cette édition était placée sous le thème "1913-2013 : cent ans de protection", afin de rendre hommage

    à la loi du 31 décembre 1913, pilier de la protection des monuments historiques en France.

    Quelque 16.955 lieux étaient ouverts au public, contre 16.000 lors de la précédente édition. Et comme

    chaque année, les lieux de pouvoir ont rencontré un franc succès.

    À Paris, ils ont été 20.000 à se rendre au Palais de l’Élysée, où certains d'entre eux ont été accueillis

    samedi matin par le président François Hollande et sa compagne Valérie Trierweiler qui se sont prêtés

    au jeu des autographes et des photos.

    Le public a pu y voir pour la première fois une trentaine de présents offerts au président de la

    République par des chefs d’État étrangers.

    Malgré la pluie, 26.000 visiteurs ont également patienté longuement avant d'entrer au Sénat et

    15.500 devant l’Assemblée nationale où deux volumes de la célèbre encyclopédie de Diderot

    étaient exposés.

    Rue de Valois, au ministère de la Culture, le public a pu découvrir le manuscrit de "Du côté de

    chez Swann", que Marcel Proust a publié à compte d'auteur il y a cent ans, faute d'avoir trouvé

    un éditeur (prêt de la Bibliothèque nationale de France).

    Des milliers de personnes ont également découvert les locaux de l’ancienne usine textile Tase

    à Vaulx-en-Velin dans le Rhône, l’ancienne chocolaterie Menier à Noisiel en Seine-et-Marne,

    ou la prison de Montluc de Lyon, ancien lieu de torture et d'exécutions durant l'Occupation

    allemande, qui ouvrait pour la première fois ses caves.

    Avec pour la première fois un accès au tunnel de service et aux installations britanniques,

    plus de 1.100 personnes s'étaient également inscrites pour arpenter le tunnel sous la Manche.

    Autre forme de patrimoine... Enfants et "grands" tournoyant comme Rabbi Jacob ou imitant

    les gendarmes de Saint-Tropez, ont rendu hommage à Louis de Funès dans le village de

    Cellier (Loire-Atlantique), sa villégiature d'élection.

    Grâce à la loi de décembre 2013, la France compte plus de 43.000 immeubles protégés au

    titre des monuments historiques, dont 14.000 classés et 29.999 inscrits. Quelque 260.000 objets

    sont également classés ou inscrits.


    votre commentaire
  • Actualité culturelle par Les Inrocks

    Entretien intime et chaleureux avec Etienne Daho

    11/09/2013 | 10h30      
    lien
    Etienne Daho (photo Nicolas Hidiro)

     

    Daho sera cet automne sur le devant de la scène avec un album ample et groovy suivi d’une série de concerts en février. Dans un entretien intime et chaleureux, il évoque sa carrière et une oeuvre dont l’influence ne cesse d’irriguer les jeunes générations.

    Ton nouvel album, Les Chansons de l’innocence retrouvée, donne le sentiment de boucler quelque chose, d’être la somme de beaucoup de directions que tu as empruntées. Comme s’il voulait contenir toute ton oeuvre…
    Etienne Daho – J’identifie mes périodes successives à l’écoute de ce nouvel album. La trilogie Paris ailleurs, Eden, Corps et armes, plus particulièrement. Groove, énergie, symphonie. Mais le sentiment dominant est néanmoins celui d’entamer une aventure, d’ouvrir un nouveau chapitre, allégé de certains sujets de prédilection, de certains spectres… Avoir quitté ma maison de disques historique (Virgin/EMI – ndlr) contribue à cette sensation de renouveau. Je suis porté par des énergies toutes neuves.

    Parfois, ce retour à d’anciens états de toi paraît délibéré et ludique, comme sur le single Les Chansons de l’innocence, qui adresse un clin d’oeil à Epaule Tattoo
    Ce n’est pas du tout délibéré. Certaines chansons ont la vocation de trouver une forme, que l’on ne peut pas modifier. Dans cet album, cela a été le cas avec deux d’entre elles, Les Chansons de l’innocence et La Peau dure, qui sont, en définitive, les deux premiers singles de l’album. Je voulais éliminer ces deux chansons, car je les trouvais trop évidentes, mais Jan Ghazi, directeur artistique chez Polydor, nous en a dissuadés. Il a eu raison. Nous les avons triturées dans tous les sens, mais les chansons nous résistaient. Elles voulaient être des tubes. J’ai baissé les bras (rires).

    Tu te méfies des tubes, maintenant ?
    Nooon, j’adore les tubes ! C’est l’essence même de la pop. Les Beatles, les Beach Boys, les Supremes, entre autres, avaient le génie du tube. C’est ma culture. Depuis quelques années néanmoins, j’essaie de prendre des chemins plus escarpés, des zones plus secrètes. Mais la nature reprend toujours le dessus. Une chanson qui doit être un tube le devient quoi que tu lui infliges. J’ai souvent l’impression que les chansons ont leur propre existence et que je ne suis qu’un instrument qui leur permet de se matérialiser.

    Cet album reflète-t-il une certaine sérénité ?
    Je ne dirais pas “sérénité” parce que je ne serai jamais serein dans un monde comme celui-ci (rires), mais certainement une forme d’apaisement. Je suis moins vulnérable à mes propres démons, aux sables mouvants. Une solidité s’est mise en place lentement, sans que je m’en rende compte véritablement. Autrefois, j’étais taraudé par la question de l’Autre avec un grand A, ça prenait tout l’espace. A présent, je vois mieux les autres. J’ai enlevé la majuscule, mis un “s” à la fin et voilà… (rires).

    L’innocence du titre, c’est quoi ?
    C’est le sentiment grisant de la légèreté retrouvée, d’avoir à nouveau devant soi des possibilités aguichantes. Je ne peux pas l’expliquer. Ma vie est faite de cette alternance de phases où il y a le vertige du gouffre et l’exaltation d’en ressortir. Il y a aussi bien sûr dans le titre de l’album ce clin d’oeil à William Blake… (le recueil Les Chants de l’innocence et de l’expérience, paru en 1789 – ndlr).

    Tu vis de nouveau à Londres. Ça participe de cette légèreté ?
    Je suis à Londres depuis plus d’un an pour écrire cet album. J’ai vécu plusieurs fois pendant des périodes assez longues à l’étranger. Lisbonne, Barcelone, New York, Ibiza… Les voyages me remettent dans la réalité. Depuis l’âge de 14 ans, j’ai une adoration pour Londres. J’ai toujours l’impression d’avoir des antennes lorsque je suis en Angleterre. Je vais voir des tas de concerts, je suis happé par des rencontres imprévues qui m’emmènent ailleurs, je prends le métro, je peux passer du laboratoire, l’écriture, le studio à la vraie vie. Je me sens comme un électron libre qui peut se poser partout. Je n’ai aucune sensation d’enracinement. Ou tellement de racines qu’elles n’enracinent plus. Je suis breton, algérien, français, londonien… J’ai le sentiment que rien ne me soumet jamais à une seule définition : ni l’endroit où je vis, ni la couleur de ma peau, ni ma sexualité, ni ma religion…

    Tu parles rarement de politique…
    Je me méfie de la politique et des politiciens. Et je n’aime pas les façons partisanes dont cette politique est relayée. Je trouve souvent hyper inconfortable de parler publiquement de sujets quand l’information que l’on me donne est au mieux une communication incomplète, au pire un mensonge. Mais chaque geste pour protéger l’environnement est un acte politique. Chaque tentative pour se protéger de la crétinisation ou de la consommation à outrance est un acte politique. Je crois que si l’on écoute mes chansons, on sait vite où je me situe quand même (rires).

    Tu t’informes comment ?
    A part les magazines culturels, je lis Le Monde tous les jours, j’écoute les infos sur France Culture… Je n’ai pas de télé et je n’aime pas du tout les chaînes d’info continue, avec leur côté perroquet, où tu te rends compte très vite que tu as entendu quatre fois les mêmes news sans la moindre tentative d’analyse. Le culte des personnalités, des petites phrases-scandales qui masquent l’essentiel, le cynisme, la désinformation. Déprimant.

    Si tu as beaucoup vécu à l’étranger ces dernières années, c’est parce que tu trouvais difficile le climat social et politique en France ?
    Je voyage car je ne tiens pas en place. Je perçois en effet une dépression générale ici, un manque de motivation que j’ai déjà ressenti par le passé, mais souvent, la créativité permettait de dépasser la morosité. Aujourd’hui, à Paris, les milieux créatifs sont très cloisonnés. Quand tu es dans la musique, ça demande de vrais efforts de rencontrer des gens de l’art contemporain par exemple. Historiquement, dans tous les grands mouvements culturels français, c’est la circulation, le mélange des disciplines qui font bouger les lignes.

    Tu as vu l’expo Bowie à Londres ?
    Oui, déjà deux fois, et j’ai l’intention d’y retourner avec des amis. Je retiens de tout cela le mélange parfait de l’art et de la pop, qui donne toujours des chansons fantastiques, inoxydables. J’ai été très ému de voir le trousseau de clés de l’appartement de Berlin… On voit aussi à quel point il a eu très tôt conscience de l’importance de son travail. Il a tout archivé, le moindre bout de papier où il écrivait ses textes.

    Toi, tu as tout balancé ?
    J’ai oublié et laissé des choses chez des tas de gens chez lesquels j’ai vécu. J’ai commencé à archiver depuis quelques années. Et puis il y a des choses qui réapparaissent miraculeusement : des manuscrits de Mythomane, des textes avec des dessins…, des maquettes oubliées.

    De ce point de vue, la réédition Deluxe de ton premier album Mythomane était très impressionnante, avec toutes ces archives. J’adore cette réédition. Richard Dumas, avec qui j’avais enregistré ces premières maquettes, les a retrouvées et me les a apportées. On nous entend rire, parler, chercher des chansons… J’avais l’impression de pénétrer à nouveau dans ma chambre d’étudiant, de respirer le même air. J’ai également ressenti que je suis absolument la même personne.

    Il y a des moments où tu en as douté ? Où tu ne te sentais plus la même personne que le jeune homme de Mythomane ?
    Oui. Je travaille énormément. Je suis une turbine permanente. Trop de travail, de voyages, de nuits de studio, de tournées. Trop peu de sommeil, de recul, et puis d’un coup ça lâche, on se perd de vue. Ça peut faire très peur.

    Possèdes-tu des rituels quand tu écris ?
    J’ai une méthode assez spartiate, car j’ai besoin de régularité pour être performant. Je me lève à six heures du matin, à l’heure où les idées sont très claires, je travaille plusieurs heures, puis je vais marcher. Je n’ai pas véritablement de rituel, mais pendant l’écriture de cet album, j’avais un lieu sacré. C’est l’ancien atelier de Francis Bacon, où il a vécu avec son amant et muse George Dyer. Quand j’étais en panne d’inspiration, j’y allais comme pour me nourrir. Je me plantais devant la façade et je pensais à eux. A leur vitalité destructrice. J’ai même interrogé des voisins et j’en ai trouvé certains qui les avaient connus… Je peux être assez obsessionnel.


    Bacon, ça remonte à loin chez toi. Déjà en 1988, le clip de Des heures hindoues s’y référait…
    C’est vrai. C’est Gainsbourg qui m’avait offert un livre de ses reproductions et j’avais été saisi par la force de son trait que j’avais déjà découvert pendant mon bref séjour en cours d’arts plastiques. Plus tard, quand je me suis retrouvé en présence de ses tableaux, je les ai ressentis physiquement. Comme une brûlure, quelque chose qui crépite. A Brighton, dans une boutique DVD d’occasion, j’ai trouvé Love Is the Devil, le film sur la relation entre Bacon et Dyer (lire p. 85). Dyer était une petite frappe de l’East End et avait pénétré chez Bacon pour le cambrioler, et finalement il est devenu son amant. La cruauté de la relation artiste et muse m’a toujours fasciné. J’ai écrit une chanson là-dessus qui s’appelle Bleu Gitanes.

    Fais-tu un lien entre Bacon, son amant cambrioleur et Genet, qui a beaucoup érotisé lui aussi la figure du voleur et dont tu as adapté Le Condamné à mort ?
    Ce sont deux personnages différents, mais il y a en commun le désir inassouvi et la mort inéluctable. C’est magnifique, car très pur et radical. Le Condamné à mort a beaucoup nourri cet album. Quelque chose s’est passé avec ma voix, probablement parce que je ne chantais pas mes textes. Je me retrouvais parfois en pleine voix, ce qui ne m’arrive quasiment jamais avec mes propres chansons. Peut-être parce que je suis trop pudique avec mes propres textes. Avec Genet, c’était plus facile. J’avais l’impression de voler.

    Es-tu nostalgique ?
    Pas du tout. Pendant longtemps, je n’avais pas le temps de me retourner, toujours pris dans des tas de projets. Il fallait toujours courir vers l’avenir. Ça n’a pas beaucoup changé, mais je suis plus indulgent avec mon passé. Je repense maintenant avec affection à tous ces moments. Ça m’emplit d’une douceur nostalgique de repenser à Rennes, à mes envies de jeune homme qui n’avait pas d’ambition, ne voulait pas se montrer, voulait juste écrire des chansons parce qu’il en avait plein la tête et que ça débordait. Je ne tirais aucun plan sur la comète. J’évoluais dans un milieu post-punk rennais où Marquis De Sade étaient les rois, et avec raison, car c’était vraiment un grand groupe. Philippe Pascal ou Dargelos étaient les showmen très charismatiques de cette scène et je ne me projetais pas du tout dans cette lumière. Je me souviens de ma première télé, un Platine 45 sur Il ne dira pas… Je n’ai décroché qu’un furtif regard caméra en trois minutes. Une leçon de shoegazing.

    Et quand tu repenses au Daho jeune trentenaire de Pop Satori à Paris ailleurs, pour qui tout semble facile, évident, qui court de succès en succès ?
    C’était un tourbillon de parties et d’excès en tout genre. L’hédonisme à l’état pur dans un Paris en fête. Je faisais la musique que j’aimais, j’avais la réponse massive d’un public qui me ressemblait, me portait. Il y a des moments de grâce, comme cela… Pop Satori est vraiment un album qui marque, car au-delà du son, des chansons, il y a quelque chose de générationnel et d’irrationnel, qui fait sa force, sa place dans le temps. Je n’avais pas le temps ou le recul pour réaliser quoi que ce soit à l’époque et c’était très bien comme ça.

    Et Eden, l’album de tes 40 ans, plus sombre et qui a moins bien marché, c’est un moment auquel tu repenses de façon plus douloureuse ?
    J’ai dû affronter durant les années 90, dans la période qui a suivi le succès de Paris ailleurs, le sentiment accablant que le meilleur de ma vie était derrière moi, que j’avais déjà vécu ce que j’avais de mieux à vivre. J’avais aussi la sensation d’être dans un malentendu médiatique et public. On colle à ce sentiment comme un insecte a les pattes collées à une surface adhésive. Et puis un jour, on ne sait pas du tout comment, on s’en détache. J’adore Eden, et je pense qu’il fait partie de mes deux moments de créativité les plus forts. Le fait qu’il ait moins marché que les précédents était plus paniquant pour la maison de disques que pour moi-même. J’en étais tellement fier ! J’aime beaucoup cette période de ma vie, car malgré la complexité de mon état mental et des rumeurs stupides qui m’ont pourri la vie, je sentais que j’en sortirais grandi. Je vivais à Londres, je préparais la suite de mon existence en grandissant. Et puis j’ai découvert un truc essentiel : j’avais moins besoin d’être aimé que d’être compris.

    Avec Eden puis l’album suivant Corps et armes, des émotions plus profondes, quelque chose de plus déchiré se fait jour dans ton travail…
    Certainement… Mais j’ai une ligne. Toujours évoquer la gravité avec légèreté. C’est une règle. Ne pas chialer. J’aime aussi les doubles lectures. La Baie ou Le Grand Sommeil sont des chansons dont on peut ne pas du tout percevoir la noirceur. Et c’est bien comme ça. On peut parler du désespoir amoureux et du suicide dans une forme de bulle pop. J’espère que j’ai en moi suffisamment de légèreté car je trouve ça très séduisant chez les autres.

    En tout cas, c’est semble-t-il comme ça que Dominique A te voit puisque la chanson qu’il t’a écrite sur ce nouvel album commence par “J’étais léger, si léger”…
    Je me voulais léger, léger. Le plaisir sans me retourner.” Dominique m’a proposé quatre chansons dont celle-ci qui est superbe et que j’ai gardée pour l’album. Il y a une luminosité incroyable chez cet homme. Il a projeté ce qu’il perçoit de ma personnalité en y appliquant sa propre sensibilité, qui est immense. La chanson me va bien, même si elle n’est peut-être pas complètement moi. Je l’aime beaucoup et peux l’incarner très confortablement. Nous avons aussi enregistré une version de la chanson en duo qui est vraiment bien.

    Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Jean-Louis Piérot sur la production de l’album ?
    Dans le tandem Les Valentins, j’avais au départ beaucoup plus d’affinités avec Edith (Fambuena – ndlr) qu’avec Jean- Louis. Il avait bossé avec nous sur toutes les maquettes de Paris ailleurs, et pour l’enregistrement, j’ai filé seul à New York avec Edith. Pris dans la frénésie et les problèmes de ma première grande production à New York, je ne m’étais pas rendu compte à l’époque que mon attitude l’avait blessé. Mais j’ai eu l’intuition qu’il fallait qu’on se rapproche et je l’ai appelé. J’avais en tête que certaines des chansons de mon répertoire récent comme L’adorer ou Ouverture – qui étaient mes préférées – avaient été faites avec lui. Nous avons programmé des séances de travail test et nous nous sommes immédiatement trouvés sur des envies communes et la motivation de se surprendre l’un l’autre.

    Comment avez-vous travaillé ?
    Je voulais faire un disque de groove car depuis quelques années je me suis mis à réécouter pas mal de disco en partant de la soul. J’aime beaucoup le moment de bascule de l’un à l’autre, entre 1973 et 1975, ce moment où on entend de plus en plus de cordes. Je voulais qu’il y ait dans mon album ces cordes pré-disco. De son côté, Jean-Louis donne tout de suite beaucoup d’ampleur et d’harmonie avec les claviers. C’est aussi, et je l’ai découvert avec stupeur, un fantastique guitariste rythmique. Nous avons donc programmé de très nombreuses séances très productives pour composer les musiques et écrire les arrangements. Les premières chansons étaient L’homme qui marche et Un nouveau printemps. Puis j’ai rencontré Richard Woodcraft, qui avait mixé l’album de The Last Shadow Puppets. Il nous a amenés à Rak Studios, à Londres, nous a présenté l’orchestratrice Sally Herbert, dont le rôle est si important dans ce disque. Il a enregistré les rythmiques notamment, sur bandes analogiques, et a designé le son de façon générale. Nous avons donc décidé de l’inclure à la réalisation du disque. Il a mixé l’album d’une façon très hi-fi. Je voulais un album ample, sophistiqué et dense, tout en conservant le son roots et rugueux des maquettes.

    Tu pratiques un instrument ?
    I wish… (rires). Non, je joue vraiment très très mal. Je pars toujours de la voix et gratouille des accords rudimentaires. Je construis les mélodies à la voix et j’ai l’idée des arrangements et des harmonies. Le challenge est de trouver la personne qui va concrétiser ce qui dans ma tête est fini depuis bien longtemps.

    Tu as perdu des mélodies qui ne sont pas sorties de ta tête ?
    J’ai en permanence une musique dans la tête. Il m’est arrivé de trouver une mélodie, de la développer, de me dire “ça pourrait donner une très bonne chanson”, et puis une heure plus tard, je l’avais complètement oubliée. Vive les smartphones avec le dictaphone intégré (rires).

    Penses-tu qu’une des forces de ta musique est d’être une musique de non-musicien ?
    Certainement. Ça me donne probablement une liberté de ne pas avoir de cadre. Mais je crois aussi que c’est le fait d’être profondément du côté de la pop qui me donne une force et un centre. Je peux décider de faire un album de soul, ce sera de la pop. Si je fais du rock, ça restera de la pop. Quoi que je fasse, ce sera de la pop. Je suis en zone libre.

    En France, selon les décennies, les termes “pop” ou “chanson française” dominent. Les années 60, avec les yé-yé, étaient pop. Les années 70 y ont opposé la nouvelle chanson française. Puis avec les années 80, la pop a de nouveau été valorisée, mais dans les années 90/2000, l’idée d’une nouvelle nouvelle chanson française s’est imposée… Au-delà des étiquettes, il y a surtout des artistes qui se sont imposés par leur grand talent. Avec dans cette fameuse vague, l’émergence de deux artistes majeurs, Benjamin Biolay et Keren Ann.

    Dans les années 2010 est née une génération néo-pop, d’Aline à La Femme, de Lescop à Granville. Et tu es devenu une figure très influente. Ça te réjouit ou ça te pèse ?
    Ah mais non, bien au contraire ! Encore ! Ça s’est intensifié et officialisé à mon insu ces dernières années. J’ai rencontré beaucoup de ces musiciens qui m’ont avoué s’être nourris de mon travail, de mon style, bien connaître mes albums… C’est le rêve ultime de chaque artiste d’arriver à réaliser qu’il a contribué à faire bouger les lignes. C’est-à-dire amener quelque chose dont les gens vont s’inspirer et qu’ils vont transformer à leur tour. Je me suis moi-même beaucoup nourri de mes aînés, et qu’on se nourrisse de ma musique maintenant me comble. C’est une chaîne de transmission.

    Quand tu entends La Forêt de Lescop, la ressemblance avec certaines de tes chansons te trouble-t-elle un peu ?
    Je sais que d’autres que toi le pensent, mais moi je n’arrive pas à l’entendre. Il m’a dit qu’il appréciait mon travail, mais il se revendique aussi beaucoup de Daniel Darc. En tout cas, son album produit par Johnny Hostile est super.

    Tu vas entériner sur scène, en février prochain, ce côté godfather de la pop française… Tu as hésité ?
    Pas une seconde. Quand tu fais de la musique, tu as envie de la transmettre. Lorsque j’étais ado, à l’école, on se refilait des cassettes. Maintenant, on échange des clés USB. Quand on aime la musique, on a envie de la partager. Donc quand j’ai la possibilité de partager, je le fais. Emmener tous ces jeunes gens à Pleyel, ça me réjouit. C’est de la transmission, des rencontres. Je me sens très à l’aise avec cette génération. Ils ont capté l’artiste et l’homme que je suis.

    Ces deux dernières années, des figures majeures de ta génération ont disparu…
    Oui, il y a eu Fred (Chichin), Daniel (Darc), Denis (Jacno). Nous avons tous poussé en même temps. Daniel et moi partagions la culture du fantasme, la même base littéraire, musicale, mais dans les extrêmes. J’étais plus Sunday Morning et lui plus Sister Ray. J’ai produit son single La Ville. Il m’a ensuite proposé de produire son album suivant, Nijinsky, mais je ne pouvais pas, car je produisais aussi l’album de Bill Pritchard. Pour me convaincre, il disait : “Sois mon Bowie, je serai ton Iggy”… C’était très tentant ! (rires) Fred, je l’ai connu à l’époque où nous avons démarré, en 1982, chez Virgin.

    Ta proximité avec Fred Chichin est moins connue…
    Nous étions les premières locomotives de Virgin et nous partions tous les trois, Catherine, Fred et moi, faire des promos improbables aux quatre coins de la France. C’était souvent surréaliste et pour compenser, nous avions developpé une solidarité entre nous. Puis nous avons eu nos deux grands hits en même temps. Marcia Baila et Tombé pour la France ont été les tubes de l’été 1985. Dans tous les clubs, les deux titres étaient systématiquement enchaînés. Fred m’avait aussi invité à faire des jam sessions chez lui. Nous jouions de la guitare et il enregistrait tout. Je ne sais pas ce que c’est devenu. Il n’y a pas eu de vraie proximité, probablement de mon fait, car Catherine et Fred m’impressionnaient. Nous nous sommes ensuite perdus de vue pendant très longtemps. Un jour, nous étions au Studio Plus Trente et je suis passé les embrasser. Lorsque j’ai pris congé, Fred m’a suivi jusqu’à l’entrée du studio et m’a dit tout le bien qu’il pensait de ma ligne, de ma musique, de la radicalité qu’il avait finalement perçue chez moi. Il était très avare de compliments donc ses mots avaient encore davantage de poids. Nous avons parlé de choses personnelles pendant une heure et nous nous étions promis de nous revoir. Mais le temps a fait son sale travail.

    Avant l’album de Lou Doillon, tu avais un peu délaissé la production d’autres artistes, non ?
    Le précédent album que j’avais produit, c’était celui d’Elli Medeiros en 2006. Parce que j’en avais juste marre qu’elle ne fasse plus de disques. J’adore réaliser des disques pour les autres. Même si ça prend beaucoup de temps, je fais toujours le choix du coeur, donc en général, des flops commerciaux.

    Le triomphe commercial de l’album de Lou Doillon, tu l’avais anticipé ?
    Ah non, pas du tout ! La combinaison parents célèbres et actrice qui chante peut être absolument fatale. Je savais qu’il y aurait des obstacles, mais je m’en foutais, j’aimais les chansons, la voix très terrienne, comme du bois, la femme… Nous avons travaillé en secret, sans pression ni projections. Et ce petit miracle est arrivé. Elle a retourné toutes les hostilités avec son seul talent. Je suis fier et heureux pour elle.

    Pour ce numéro, tu as voulu rencontrer Alex Turner. Son groupe, les Arctic Monkeys, a pu faire une carrière internationale tout en restant sur un petit label. Tu trouves ça enviable ?
    Lorsque j’ai démarré chez Virgin, c’était un peu ça, un petit label très familial et un peu bordélique où nous grandissions ensemble. Nous étions une famille. Quand Virgin a été vendu à EMI, ça a été vraiment l’horreur pour la plupart des artistes, car la créativité a été remplacée par le cynisme et l’absence de vision, de priorité artistique. Tout cela s’est soldé par l’énorme gâchis que l’on sait. Pour en revenir à ta question, je pense que la puissance des labels indépendants anglais, vu leur potentiel international, est sans commune mesure avec celle des labels indépendants français, hélas.

    Au moment de signer avec Universal, tu as eu des états d’âme ? Aucun. Mon contrat avec EMI était fini, et même s’il y avait toujours des gens que j’aimais beaucoup là-bas, j’avais vraiment hâte de me barrer. J’ai fait un passage chez Naïve à l’occasion du Condamné à mort, car je souhaitais retrouver Patrick Zelnik et faire l’essai d’un label indépendant. J’ai pris le temps de faire mon choix parmi beaucoup de très bonnes propositions. J’ai aussi retrouvé Alain Artaud, avec qui j’avais démarré chez Virgin. Il connaissait bien la personne et l’artiste que je suis et son envie hyper insistante de me signer chez Polydor (label d’Universal – ndlr) a finalement balayé mes dernières hésitations.

    Tu as connu trois patrons depuis ta signature chez Polydor. Comment le vis-tu ?
    Sur mon précédent album, L’Invitation, j’en ai vu passer quatre. L’industrie du disque n’est plus un secteur affectivement stable. Surtout ne pas s’attacher (rires).

    Comment vois-tu ta place dans le paysage musical français ?
    Je suis à une place singulière depuis toujours et ça me convient. Les dernières années ont été vraiment cool, car j’ai ressenti que le public et les médias ont finalement capté l’artiste et la personne que je suis. Les malentendus se sont dissipés, on respecte mon travail et mes silences. C’est la seule chose qui compte.

    Tu ne te poses jamais la question de la crédibilité ? Tu as pu par exemple aller faire de la promo à la Star Ac…
    Quand j’étais enfant, lorsque dans les émissions de variété ultrapopu apparaissaient Dutronc, Birkin, Hardy ou Gainsbourg, c’était la fête. Je me disais “c’est eux que je veux être. Ils sont beaux, ils ont du talent, ils ont de l’attitude.” L’écran s’éclairait. La crédibilité ne devient un problème que si tu pervertis ta rigueur ou ton authenticité. Ce n’est pas une question de choix d’émission de télé. Je suis aussi d’accord avec John Waters, qui préfère être un “insider” pour mieux dicter ses propres règles et conserver sa liberté artistique. Si tu te sors toi-même du système, tu ne peux plus rien contrôler, tu as perdu l’affaire.

    Je me souviens que dans les années 80, dans une émission de télé grand public, tu avais montré des images du Velvet.
    Oui, je m’en souviens, c’était un spécial Mon Zénith à moi sur Canal en 1985. J’avais demandé des images du Velvet au Bataclan, des images des Jesus & Mary Chain, etc. Je voulais partager ça, mais aussi me faire plaisir. A l’époque, nous n’avions pas YouTube, donc c’était rare de voir certaines images, particulièrement à la télé. Passer dans des médias mainstream me permettait de montrer ce que j’étais en montrant ce que j’aimais. Des gens m’ont très souvent dit avoir découvert des livres ou des disques qui leur sont devenus essentiels grâce à mes interviews. C’est hyper satisfaisant, car c’est aussi mon rôle, non ?

    album Les Chansons de l’innocence retrouvée (Polydor), sortie prévue le 18 novembre
    concerts les 14, 15 et 18 février à Paris (Cité de la Musique)

    le 11 septembre 2013 à 10h30

    votre commentaire
  • lien


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique