Visages crispés, regards furtifs : au lendemain de l'attentat-suicide meurtrier qui a frappé le marché central de N'Djamena, l'inquiétude régnait dimanche au milieu des rares étals où quelques commerçants avaient repris leur activité.
Sous l'oeil vigilant des policiers armés jusqu'aux dents, certains fouillent parmi les débris et les flaques de sang toujours visibles, pour retrouver leurs maigres biens. Paniers de vivres ou ballots de vêtements, ils ont tout abandonné à la hâte pour fuir lorsque l'explosion a retenti.
Samedi matin, un kamikaze déguisé en femme a déclenché sa ceinture d'explosifs dissimulée sous son voile intégral, faisant au moins 15 morts et 80 blessés à l'entrée du marché central, en plein coeur de la capitale.
La tête voilée de l'auteur présumé de l'attentat, arrachée par l'explosion, a été retrouvée près du lieu de l'attentat, et montrée à des journalistes sur place.
Le groupe islamiste nigérian Boko Haram a revendiqué sur Twitter ce nouvel attentat, le deuxième en moins d'un mois dans la capitale tchadienne, après les attaques suicides simultanées qui avaient fait 38 morts le 15 juin à l'école de police et au commissariat central.
"Je suis indigné par ce qui vient de se passer, c'est inhumain, un musulman ne peut pas se permettre de tuer des innocents en ce mois saint de ramadan", se lamente le sultan de Ndjamena, Kachallah Kasser, dont la maison jouxte l'entrée du marché.
"Nous les chefs traditionnels, allons sensibiliser nos populations à la vigilance et à dénoncer toute personne suspecte", assure-t-il à l'AFP.
Pour le gouverneur de la ville de N'Djamena, Issa Adjide, "le moment n'est pas à la réjouissance, il faut éviter les attroupements et demeurer vigilant".
Dimanche à la mi-journée, ni le président tchadien Idriss Déby Itno, ni le gouvernement n'avaient encore fait de déclarations suite à ce nouvel attentat.
- "Ennemi invisible" -
Le Tchad, en première ligne dans la guerre contre Boko Haram au côté de ses voisins nigérian, camerounais et nigérien, a déjà été menacé à plusieurs reprises par les islamistes. En conséquence, le dispositif sécuritaire avait été considérablement renforcé dans la capitale tchadienne depuis le début d'année.
Forces de police et soldats sont déployés dans toute la ville, sur les grandes artères, aux carrefours, dans les marchés et devant les mosquées.
Mais la peur de voir les attentats se multiplier, pouvant frapper n'importe où à n'importe quel moment, terrorise les habitants de ce pays qui n'avait encore jamais connu une telle menace.
"Ce qui se passait ailleurs et qu'on entendait dans les médias, ça se passe maintenant chez nous, j'ai trop peur pour moi et mes enfants", explique Zénaba, la quarantaine, qui vend des beignets aux abords du marché. Neuf commerçantes ont péri dans l'explosion de samedi.
Pour le porte-parole de la police nationale, Paul Manga, "cet attentat vient confirmer que l'interdiction du port" du voile intégral est "une mesure salutaire pour tous et doit être respectée plus que jamais par toute la population".
Après le double attentat de juin, le gouvernement avait interdit par mesure de sécurité le port du voile intégral dans ce pays majoritairement musulman, mais l'interdiction n'était que partiellement respectée. Le port du voile islamique intégral était devenu relativement courant depuis quelques années dans les rues de N'Djamena.
"Désormais, toute personne qui refuse de se soumettre à la loi sera automatiquement arrêtée et traduite devant la justice", prévient Paul Manga.
"C'est triste ce qui vient de se passer, estime pour sa part un médecin, le Dr Moussa Ali. Personne n'est à l'abri des terroristes, et notre seule arme face à cet ennemi invisible, c'est la vigilance".
12/07/2015 15:20:53 - N'Djamena (AFP) - Par Stéphane YAS - © 2015 AFP