Le Premier ministre tunisien, Ali Larayedh, a exclu lundi la démission de son gouvernement et a proposé la tenue d’élections le 17 décembre 2013, comme issue à la crise politique provoquée par l’assassinat d’un opposant.
«Ce gouvernement continuera d’assumer ses fonctions, nous ne nous accrochons pas au pouvoir mais nous avons un devoir et une responsabilité que nous assumerons jusqu’au bout», a-t-il dit à la télévision nationale proposant le 17 décembre comme date des prochaines élections. «Nous pensons que l’Assemblée nationale constituante (ANC) achèvera le code électoral le 23 octobre prochain, dernier délai, pour que des élections se tiennent le 17 décembre», a-t-il affirmé, estimant que 80% du travail en vue de l’adoption de la constitution avait déjà été effectué.
La date du 17 décembre est hautement symbolique car il s’agit du jour en 2010 où le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, donnant le coup d’envoi à la révolution tunisienne, la première du Printemps arabe. Sur un ton très ferme, Larayedh s’est aussi dit prêt à en appeler au peuple. «Nous n’en avons pas appelé à la rue par souci de l’intérêt public mais s’il le faut nous demanderons son choix au peuple par référendum», a ajouté Larayedh sans préciser quelle question serait posée lors d’un éventuel plébiscite.
Larayedh a ensuite assuré que le «gouvernement reste ouvert au dialogue pour améliorer son efficacité», considérant qu’il s’agissait «du seul moyen de trouver des solutions aux problèmes actuels». Il a lancé un appel «à tous les Tunisiens, partis, associations afin d’éviter de se laisser entraîner dans des appels vers l’inconnu, le chaos et la violence». Concernant l’assassinat du député d’opposition Mohamed Brahmi la semaine dernière, il a dénoncé un acte de «terrorisme» mais «fustigé ceux qui ont instrumentalisé ce drame pour des intérêts partisans étroits appelant à la chute du gouvernement».
Il s'agissait de la première réunion de crise du cabinet dirigé par l’islamiste Ali Larayedh, objet d’une contestation grandissante depuis le meurtre de Mohamed Brahmi. Abattu jeudi de 14 balles tirées à bout portant devant son domicile, Mohamed Brahmi, 58 ans, est le deuxième opposant anti-islamiste à être tué par balles en cinq mois, après Chokri Belaïd, le 6 février 2013.
A lire aussi : «Il y a trop de violence dans cette Tunisie !»
Ce premier assassinat avait provoqué des troubles en Tunisie et abouti à la chute du premier gouvernement islamiste. Lundi matin, à Sidi Bouzid, ville natale de l’opposant assassiné, la police a tiré des gaz lacrymogènes destinés à disperser des manifestants réclamant la chute du gouvernement. La police a fait usage de gaz lacrymogènes lorsque les manifestants lui ont lancé des pierres en tentant d’interdire l’accès aux fonctionnaires au siège du gouvernorat protégé par l’armée.
Cette ville berceau de la révolte de 2011 a entamé samedi un mouvement de désobéissance encadré par le Front populaire (gauche et nationalistes) et la section régionale de l’UGTT. Les proches des deux opposants accusent directement Ennahda et les manifestants qui réclament la chute du gouvernement répètent depuis cinq jours «Ghannouchi assassin», en référence au numéro un du parti islamiste.
Autres manifestations
Les autorités ont affirmé que la même arme a servi à tuer les deux hommes et désigné les auteurs comme étant des salafistes jihadistes proches d’Ansar al-Charia, une organisation dont des membres sont soupçonnés d’être liés à Al-Qaeda. Des accusations démenties dimanche par cette dernière.
A Tunis et un peu partout dans le pays, les manifestations continuent pour réclamer la chute du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée constituante (ANC) faisant craindre des violences. Des manifestations rivales ont eu lieu dans la nuit de dimanche à lundi et d’autres sont prévues dans la soirée par l’opposition laïque et les partisans du gouvernement, alors que le principal syndicat national s’apprête à tenir une réunion nocturne, décisive pour la suite de la crise.
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) s’est déjà dit prête à «jouer son rôle historique» pour «défendre le droit des Tunisiens à manifester et les libertés dans le pays». «L’organisation arrêtera sa position sur la crise lors d’une réunion de sa commission administrative prévue dans la nuit et assumera son rôle comme elle l’a fait le 14 janvier», a dit Sami Tahri son secrétaire général adjoint, en référence au ralliement de l’UGTT au soulèvement qui a chassé l’ex-président Zine El Abidine Ben Ali en janvier 2011. Syndicat historique très politisé, l’UGTT forte de 500 000 membres, a appelé à une grève générale qui a paralysé le pays vendredi, au lendemain de la mort de Mohamed Brahmi.
Lundi à l’aube, la police a fait modéremment usage de gaz lacrymogènes à Tunis pour séparer des pro et anti gouvernement qui ont campé séparément par milliers durant toute la nuit devant l’ANC, assiégée par l’armée. Les uns défendant la légitimité des urnes et les autres celle de la rue. Un «Front du salut national de la Tunisie» nouvellement créé par l’extrême gauche, a appelé dimanche les Tunisiens à se joindre à un sit-in «permanent» devant la Constituante, alors les partisans d’Ennahda mobilisent pour un nouveau rassemblement lundi soir.
Une soixantaine de députés de l’ANC ayant annoncé le boycott de l’ANC encadrent les manifestations, alors que le président de cette assemblée, Mustapha Ben Jaafar, a prôné «la retenue» et invité les élus à «occuper leurs sièges ce lundi pour finir le travail sur la Constitution» avançant fin août comme date limite à son adoption. L’opposition laïque espère atteindre le chiffre de 73, soit le tiers des 217 députés, la Constitution devant être votée aux deux tiers des élus, ce qui revient de fait à bloquer l’adoption du texte fondamental. Pour Ennahda, sur la défensive, ceux qui veulent la dissolution de l’ANC «trahissent la Tunisie», a dit à l’AFP le député Fethi Ayadi.