Pratiquement depuis le premier jour où Twitter a été coté à Wall Street, le patron du groupe, Dick Costolo, a été sur la sellette. Mais, deux ans plus tard, ce qui n’était jusque-là qu’une hypothèse est devenu réalité, jeudi 11 juin. Le réseau social a annoncé son départ ; il sera effectif le 1er juillet.
Pourtant, jusqu’à récemment, M. Costolo, qui dirigeait Twitter depuis 2010, ne semblait pas croire à ce scénario. Fin mai, lors d’une conférence organisée par Re/Code, la cofondatrice du site spécialisé sur le high-tech, Kara Swisher, lui avait posé une question qui était sur beaucoup de lèvres : « Est-ce vous serez encore à votre poste en fin d’année ? » Et le patron de répondre : « Le conseil et moi-même sommes sur la même longueur d’onde à propos de ce que nous avons besoin de faire. Nous avons une stratégie très claire que nous avons formalisée et que nous suivons », avait-il assuré, avant de conclure : « Je ne suis pas inquiet sur le fait que je sois là à la fin de l’année. »
Coup de grâce
Visiblement, les administrateurs n’étaient pas si synchrones avec M. Costolo. En tout cas, la pression de Wall Street, qui est allé de désillusion en désillusion quant au réseau social ces derniers mois, a eu raison du sort du PDG. Le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, actuel président du groupe, assurera l’intérim en attendant de trouver un successeur.
Les résultats du premier trimestre, publiés fin avril, ont sans doute donné le coup de grâce à M. Costolo. Qu’il s’agisse de progression du chiffre d’affaires ou des bénéfices, Twitter n’a réussi à atteindre aucun des objectifs qu’il s’était fixés. L’action de la société a dégringolé de 18 % dans la foulée de l’annonce des résultats. Elle pèse plus de 23 milliards de dollars (20,4 milliards d’euros) en Bourse, mais ne gagne toujours pas d’argent : ses pertes au premier trimestre s’élevaient à 162 millions de dollars.
Tandis que les revenus publicitaires restent décevants, la progression de l’audience n’est pas à la hauteur des attentes. Même si Twitter a passé la barre des 300 millions d’utilisateurs actifs mensuels au cours des trois premiers mois de l’année, la hausse n’a en fait été que de 18 %. Une vitesse d’escargot face à un Snapchat, qui compte désormais 100 millions d’utilisateurs quotidiens et croît beaucoup plus vite, ou face à un Facebook, dont les abonnés sont cinq fois plus nombreux.
Et les spécialistes pensent qu’il ne s’agit pas d’un simple accident : sur l’ensemble de 2015, le nombre d’utilisateurs de Twitter ne devrait progresser que d’un peu plus de 14 %, selon les projections de la société d’études eMarketer, soit un rythme deux fois inférieur à ce qu’il était il y a seulement deux ans. Et si les choses continuaient sur cette lancée, le taux de croissance pourrait tomber à 6 % en 2019, toujours selon eMarketer.
Corollaire de la progression décevante du nombre des abonnés : celle des revenus publicitaires. Aux Etats-Unis, Twitter ne détient aujourd’hui que 3,6 % du marché publicitaire sur téléphone mobile, à des années-lumière de Facebook (18,5 %) ou de Google, leader incontesté avec 36,9 % de parts de marché. Les résultats au plan mondial ne sont guère plus brillants. Certes, la part de marché de Twitter a doublé entre 2013 et 2014, mais elle reste marginale à 0,87 %, contre 7,9 % pour Facebook et 31,4 % pour Google.
« M. Costolo n’a pas su résoudre le problème délicat de la croissance, estime l’analyste de Brandwatch, Will McInnes. Quand on voit que 75 % des utilisateurs ne sont pas actifs, c’est un sujet de préoccupation », ajoute-t-il. Scott Kessler, de S&P Capital IQ, lui, veut voir dans le départ du PDG des raisons d’espérer. « Cela montre que Twitter est prêt à d’importants changements. Nous notons aussi que le groupe a confirmé ses prévisions de résultats pour le deuxième trimestre, ce qui est un signe positif après des résultats mitigés sur les trois premiers mois. »
Cet optimisme est illustré par l’envolée de l’action de plus de 7 %, immédiatement après l’annonce du départ de M. Costolo, dans les échanges hors séance. Chris Sacca, l’un des investisseurs de la première heure, est persuadé que « l’entreprise s’améliore. Le marché n’y croit pas, parce que Twitter n’a pas réussi à raconter sa propre histoire aux investisseurs et aux utilisateurs », estime-t-il sur son blog.
Pas de véritable numéro deux
Qui saura raconter cette histoire ? « Jack Dorsey est le meilleur pour diriger Twitter pendant la période transitoire, assure M. Costolo. Il a une compréhension parfaite du produit et de la mission du groupe ainsi que des bonnes relations avec l’équipe dirigeante. » Mais après ? Car il est peu probable que M. Dorsey reprenne un poste qu’il a occupé de 2007 à 2008, avant de devenir président du réseau social. Par ailleurs, il dirige aujourd’hui Square, un groupe spécialisé dans le paiement électronique, qu’il ne semble pas prêt à abandonner.
L’un des problèmes de Twitter est que la société ne dispose pas d’un véritable numéro deux. Certes, l’équipe dirigeante a été renforcée en 2014 avec le recrutement d’Anthony Noto, qui travaillait auparavant dans la banque d’investissement chez Goldman Sachs. Mais arrivé en fanfare avec un package de 73 millions de dollars comme directeur financier, son étoile a pâli depuis, au fur et à mesure des présentations décevantes aux analystes financiers. Par ailleurs, la nomination de ce banquier, en avril, comme responsable des opérations marketing a laissé plus d’un observateur sceptique.
Aux avant-postes également, Adam Bain, un ancien de News Corp, qui est chargé du chiffre d’affaires mondial, ou encore Kevin Weil, le patron du produit. Mais il est très probable que le conseil d’administration ait envie d’un changement plus profond en allant dénicher quelqu’un à l’extérieur de l’entreprise. La chasse ne fait que commencer.