Comment « redessiner » les contours d’Areva ? Quelle forme donner à un rapprochement avec EDF, qui s’est officiellement déclaré intéressé, mais par une partie seulement du groupe nucléaire ? Quel rôle attribuer à Engie, l’ex-GDF Suez ?
Autant de questions qui seront au centre d’une réunion qui se tiendra à l’Elysée mercredi 3 juin, présidée par François Hollande, en présence du premier ministre, Manuel Valls, et des ministres concernés par le nucléaire (Ségolène Royal, Emmanuel Macron et Laurent Fabius).
Si ce rendez-vous « sera un moment important » pour l’avancée du dossier, comme l’a indiqué le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, le 22 mai, il ne devrait, a priori, pas être décisif. Le gouvernement, actionnaire à 87 % d’Areva et à 84,5 % d’EDF, n’a pas encore totalement tranché. M. Macron a évoqué une décision gouvernementale permettant « d’ici l’été » d’assurer « une pleine visibilité ». Tout en assurant qu’il ne s’agit pas « de faire du Meccano financier, en découpant des bouts d’entreprise. »
Areva doit présenter sa feuille de route stratégique le 30 juillet lors de la publication des résultats du premier semestre.
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Par quoi EDF est-il intéressé et quel prix est-il prêt à payer ?
Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a adressé, le 22 mai, au président et au directeur général d’Areva, Philippe Varin et Philippe Knoche, une « offre indicative », un peu supérieure à 2 milliards d’euros, pour racheter Areva NP, spécialiste de la conception, de la fabrication et de la maintenance des réacteurs nucléaires. Cette offre sur l’ex-Framatome exclut le passif du groupe, notamment les risques liés au chantier de l’EPR finlandais d’Olkiluoto.
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M. Lévy s’était officiellement porté candidat au rachat d’Areva NP, le 19 mai, lors de l’assemblée générale des actionnaires d’EDF, prévenant qu’il proposerait « un prix de marché ». Sous-entendu : un prix inférieur à la valeur inscrite dans les comptes d’Areva (2,7 milliards).
Le PDG d’EDF avait fait part à ses actionnaires de sa « préoccupation » sur le niveau d’endettement d’une entreprise à la veille des très lourds investissements : au moins 55 milliards d’euros pour le « grand carénage », le plan de modernisation et de sécurisation des 58 réacteurs français d’ici à 2025.
Le rachat d’Areva NP présente néanmoins, selon lui, « une logique industrielle » en renforçant EDF dans les métiers qu’il maîtrise déjà. Elle se traduirait par la création d’une filiale indépendante dans laquelle entreraient des partenaires industriels et financiers, français et étrangers – notamment chinois.
« Cette société aurait une grande autonomie industrielle et de gestion, mais elle serait proche de son actionnaire majoritaire EDF pour être plus efficace », a précisé M. Lévy.
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La solution avancée par EDF fait-elle consensus ?
L’Etat plaide depuis des mois pour le rachat de la totalité d’Areva NP, pour sauver la filière nucléaire française après la perte de 4,8 milliards d’euros enregistrée par Areva en 2014.
Mais les dirigeants du groupe nucléaire restent hostiles à une cession de la totalité de ce pôle qui représente environ 40 % du chiffre d’affaires et des effectifs, et à un recentrage sur le seul cycle du combustible (mines d’uranium, chimie, enrichissement, traitement-recyclage des combustibles usés), confié jusqu’en 2000 à la Compagnie générale des matières atomiques (Cogema).
Pour leur part, les syndicats d’Areva dénoncent un « démantèlement sans logique industrielle. » Mardi 2 juin, les salariés d’Areva se sont d’ailleurs mobilisés (à travers des barrages filtrants, des arrêts sur les sites de production, des manifestations) pour défendre les emplois (3 000 à 4 000 suppressions de postes prévues en France) et dire non à un démantèlement. « Le message est clair : on veut que le groupe soit préservé et pérenne », a déclaré Jean-Pierre Bachmann (CFDT) devant le siège du groupe à la Défense (Hauts-de-Seine).
Sur l’ouverture aux industriels chinois, sujet sensible, le gouvernement ne souhaite visiblement pas que les actuels partenaires d’EDF et d’Areva, China National Nuclear Corporation (CNNC) et China General Nuclear (CGN), prennent dans un premier temps plus de 10 % de cette filiale.
Il réclamera, en échange, un renforcement des coopérations et des partenariats avec la filière chinoise pour participer au développement du programme nucléaire de l’empire du Milieu, le premier marché au monde, et l’accompagner dans son ambitieuse politique d’exportation.
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La question du prix à payer Areva NP fait par ailleurs débat. En l’état, la proposition d’EDF couvre à peine un tiers des 7 milliards de besoins d’Areva, notamment pour financer des activités dans le cycle du combustible très gourmandes en capital.
Le gouvernement s’est certes engagé à aider financièrement le groupe en difficulté : « L’Etat prendra ses responsabilités en tant qu’actionnaire, y compris jusqu’aux recapitalisations en temps voulu » d’Areva, a prévenu M. Macron, dès le 13 mai. Mais, plus EDF fera d’efforts et moins la puissance publique aura à débourser d’argent.
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Comment Engie peut-il s’insérer dans le « jeu » ?
Gérard Mestrallet, le PDG d’Engie ne veut pas laisser passer l’occasion de se renforcer dans le nucléaire. Il a réaffirmé, mardi 2 juin, l’intérêt de son groupe pour les services de maintenance nucléaire à l’international d’Areva, mais jugé qu’il était trop tôt pour évoquer la valorisation de ces activités. « On n’en est pas là », a-t-il indiqué en marge du Congrès mondial du gaz.
La semaine dernière il avait déclaré qu’il n’envisageait pas une acquisition d’actifs, ni une entrée directe au capital du groupe, mais plutôt « une prise de participation dans les activités de maintenance nucléaire à l’international d’Areva, tout en gardant Areva impliqué dans ces activités ».
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Si Gérard Mestrallet et Isabelle Kocher (directrice générale déléguée) évoquent les activités internationales d’Areva, c’est qu’ils savent qu’EDF n’acceptera jamais qu’Engie accède aux secrets de ses 58 réacteurs exploités en France et à la quinzaine de tranches d’EDF Energy au Royaume-Uni.
En revanche, Engie pourrait intervenir sur le parc des électriciens étrangers, un secteur qui se développera dans les prochaines décennies avec le vieillissement des installations et le durcissement des normes de sûreté.