Pour le compte du G20, qui l'avait mandatée en 2013, sur fond de crise économique et de disette budgétaire, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a dévoilé, mardi 16 septembre, à 14 heures (heure de Paris), un plan d'action international anti-abus précis et ambitieux, baptisé « projet BEPS » (pour Base erosion and profit shifting, érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices).
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Précis, car il s'attaque à la zone grise de l'optimisation fiscale, c'est-à-dire à ces instruments fiscaux légaux (prix de transfert au sein d'un groupe, produits dits « hybrides », c'est-à-dire complexes…), mais détournés de leur objet ou utilisés à l'excès par les grandes entreprises, pour ne payer aucun impôt nulle part.
UN PLAN AMBITIEUX
Précis aussi, parce qu'il s'en prend aux pratiques jugées déloyales de ces grands groupes. Notamment au chalandage fiscal, qui consiste à sélectionnerles pays les mieux-disants fiscalement, pour y domicilier un siège social ou yloger certains investissements ou opérations financières. Les groupes stars de l'économie numérique (Google, Apple, Starbucks, Amazon…), auxquels l'OCDE consacre d'ailleurs un rapport particulier, sont notamment ciblés.
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Ce plan est en outre ambitieux car il devra, pour être traduit en lois et en actes, partout sur la planète, surmonter les résistances s'exprimant dans les pays à fiscalité faible voire nulle, et qui ont fait de l'accueil des multinationales un argument commercial et un avantage compétitif : notamment l'Irlande, leLuxembourg, la Suisse… ou encore le Royaume-Uni.
LES ETATS-UNIS VEULENT AVANCER PROGRESSIVEMENT
Selon nos informations, ce dernier a d'ailleurs pesé, lors de l'élaboration de ce plan et des discussions de ces derniers mois entre grandes puissances, et aux côtés des Pays-Bas et du Luxembourg, pour que ne soient pas stigmatisées les fameuses « patent boxes » – ces régimes fiscaux notamment généreusement offerts Outre-Manche, qui permettent à une entreprise exploitant des brevets debénéficier d'importants abattements fiscaux.
De leur côté, les États-Unis, sous la pression permanente d'un lobby industriel particulièrement puissant, ont insisté sur la nécessité d'avancerprogressivement.
Sur les quinze mesures (très techniques) dévoilées mardi, et qui devraient êtreplébiscitées lors des prochains sommets internationaux prévus en Australie (le G20 des ministres des finances de Cairns des 20 et 21 septembre et le G20 des chefs d'Etat et de gouvernement des 15 et 16 novembre), quatre d'entre elles, les plus importantes et lourdes d'impact, méritent un focus particulier.
- Publication d'informations pays par pays (de l'anglais, reporting)
L'OCDE veut exiger des multinationales qu'elles transmettent, aux administrations fiscales des pays où elles opèrent, des informations détaillées, pays par pays sur : leur chiffre d'affaires, leurs profits, leurs actifs, leurs effectifs, les impôts acquittés…
Un pas important vers la transparence – et la possibilité de contrôle, donc –, qui pourrait s'accompagner d'un bilan à l'horizon 2020.
- Lutte contre chalandage fiscal (de l'anglais, treaty shopping)
L'OCDE veut mettre fin aux pratiques de chalandage fiscal (par des investisseurs qui veulent éviter des retenues à la source) et autres stratégies d'utilisation abusive des conventions fiscales liant les États entre eux, qui, souligne l'organisation internationale, privent les pays de recettes.
En clair, il s'agit d'intégrer des règles anti-abus dans les conventions fiscales afin d'empêcher que les territoires se livrent entre eux une concurrence fiscale préjudiciable avec des statuts fiscaux trop avantageux
L'OCDE admet pourtant que certains types d'instruments fiscaux « adaptés à la situation particulière [des États] » pourront être utilisés, afin de ne pas entraverl'investissement et la croissance. Les « patent boxes » entrent dans ce cas de figure.
- Neutralisation des montages dits « hybrides »
L'OCDE propose un modèle de législation fiscale qui pourrait mettre fin à l'utilisation abusive des produits hybrides.
Utilisés par les grandes entreprises pour minorer artificiellement leur facture fiscale, ces produits financiers ont connu un développement exponentiel ces dernières années.
Ils sont notamment mis en place entre les maisons mères et leurs filiales, dans le seul but de profiter à plein des avantages fiscaux qui leur sont attachés. Par exemple : vente d'obligations convertibles en actions d'une maison mère à une filiale fortement bénéficiaire, qui se traduit par une double déduction fiscale, la filiale déduisant de ses impôts le paiement des intérêts et la maison mère percevant pour sa part des dividendes non imposables.
- Réformer les prix de transfert (pour les biens incorporels)
L'OCDE veut réformer un système totalement dévoyé, qui voit certains grands groupes créer des filiales dans des territoires offshore sans fiscalité (notamment aux Bermudes ou aux Îles Caïman), pour y développer un nouveau produit, en réalité conçu par des équipes de recherche et développement au sein de la maison mère.
Ces filiales sont dénuées d'activité économique réelle.
- Aller vite sur le calendrier de mise en place
L'OCDE préconise d'engager sept de ces quinze mesures dès 2014, les huit autres en 2015.
Parmi les principales mesures à adopter dès 2014 figurent : l'adoption de nouvelles normes internationales permettant de neutraliser les montages hybrides ; l'alignement des règles d'imposition sur la substance économique des entreprises (pour que l'impôt soit payé là où il devrait être dû) ; la réforme du système des prix de transfert, afin que ceux-ci soient calculés conformément à la création de valeur (pour les biens incorporels).
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