L'hebdomadaire satirique "Charlie Hebdo" publie dans son numéro à paraître mercredi 18 septembre, en pages intérieures, des dessins représentant le prophète Mahomet, qui, selon son directeur Charb, "choqueraient ceux qui vont vouloir être choqués en lisant un journal qu'il ne lisent jamais". Une prise de position accueillie très froidement par Jean-Marc Ayrault et Laurent Fabius. Charb estime que les dessins publiés ne sont pas plus provocants que d'habitude. "La liberté de la presse est-elle une provocation ?", a-t-il lancé. "Je n'appelle pas les musulmans rigoristes à lire 'Charlie Hebdo', comme je n'irais pas dans une mosquée pour écouter des discours qui contreviennent à ce que je crois", a argumenté le dessinateur.
"Tout est parti d'une inquiétude des services français qui craignaient, dans le contexte, que 'Charlie' fasse sa couverture avec une caricature de Mahomet. Il n'est en rien : la couverture représente un musulman lambda avec un juif lambda", a-t-il expliqué. La couverture, signée par lui, représente un musulman dans un fauteuil roulant poussé par un juif orthodoxe, avec chapeau et papillote, sous le titre "Intouchables 2", allusion au film éponyme.
"Je ne vois pas l'utilité quelconque d'une provocation"
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, interrogé alors qu'il se trouvait au Caire, sur l'éventualité de dessins représentant Mahomet, s'est dit "contre toute provocation", tout en rappelant l'existence en France de la liberté d'expression. "Après, le soufflé est retombé et je pense que M. Fabius n'avait pas vu la Une quand il a parlé en Egypte", a estimé Charb.
"Je suis contre toutes les provocations, c'est clair, c'est net, surtout dans une période aussi sensible que celle-là", a déclaré Laurent Fabius dans l'après-midi. "Maintenant, il y a des lois en France, qui ne sont pas les mêmes que les lois ailleurs, qui permettent un certain nombre de choses et qui excluent un certain nombre de choses", a-t-il ajouté. Avant de poursuivre : "La liberté d'expression existe, mais je suis absolument hostile à toute provocation". "Je ne vois pas du tout l'utilité quelconque d'une provocation et même je la condamne d'une façon très nette et en même temps je respecte la liberté d'expression", a encore dit le ministre.
"Rien ne peut justifier l'insulte et l'incitation à la haine"
Rejoint par Jean-Marc Ayrault. Le Premier ministre a en effet fait savoir, "dans le contexte actuel", sa "désapprobation face à tout excès" et appelé à "l'esprit de responsabilité de chacun". Il souligne, dans un communiqué, que "la liberté d'expression constitue l'un des principes fondamentaux de notre République". "Cette liberté s'exerce dans le cadre de la loi et sous le contrôle des tribunaux, dès lors qu'ils sont saisis", ajoute-t-il. Jean-Marc Ayrault rappelle en outre "le principe de laïcité qui est, avec les valeurs de tolérance et de respect des convictions religieuses, au coeur de notre pacte républicain". "Et c'est pourquoi, dans le contexte actuel, le Premier ministre tient à affirmer sa désapprobation face à tout excès. Il en appelle à l'esprit de responsabilité de chacun", conclut Matignon dans son communiqué.
Le président du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui, a dit avoir appris avec "une profonde consternation" la publication par l'hebdomadaire "de dessins insultants à l'égard du prophète de l'islam". Dans un communiqué, le CFCM, organe représentatif des différents courants musulmans en France, condamne "avec la plus grande vigueur ce nouvel acte islamophobe qui vise à offenser délibérément les sentiments des Musulmans". "Profondément attaché à la liberté d'expression", le CFCM exprime néanmoins "sa profonde inquiétude face à cet acte irresponsable qui, dans un contexte très tendu, risque d'exacerber les tensions et de provoquer des réactions préjudiciables". "Rien ne peut justifier l'insulte et l'incitation à la haine, souligne le président du CFCM, qui "lance un appel pressant aux musulmans de France à ne pas céder à la provocation" et les "exhorte à exprimer leur indignation dans la sérénité avec des moyens légaux".
"Ne pas verser de l'huile sur le feu"
Même son de cloche du côté du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, qui a lancé un "appel au calme". Il a déclaré "apprendre avec beaucoup d'étonnement, de tristesse et d'inquiétude une publication qui risque d'exacerber l'indignation générale du monde musulman". "J'appelle à ne pas verser de l'huile sur le feu", a-t-il ajouté. "Mais, je regrette que l'incitation à la haine religieuse ne soit pas réprimée par la loi comme l'est l'incitation à la haine raciale. Nous avions fait appel au Tribunal d'Instance de Paris, après les caricatures qu'avait publiées Charlie Hebdo en 2006, mais notre plainte n'avait pas été retenue".
Le recteur de la Grande mosquée estime qu'un tel interdit "pouvait donner un coup de frein à l'exacerbation que risque de provoquer la publication de nouvelles caricatures, après la diffusion de la vidéo sur le Prophète qui est à l'origine de l'indignation générale du monde musulman".
"D'ores et déjà, j'incite au calme, à la paix, mais je suis très inquiet devant les débordements qui risquent de se produire samedi, lors des manifestations dans plusieurs villes de France, pour protester contre la diffusion du film "Innocence of Muslims".