Au printemps, la France s’était engagée à ramener son déficit public dans les normes européennes d’ici à 2017. Mais la Commission européenne n’y croit guère. D’après ses nouvelles prévisions, publiées jeudi 5 novembre, le déficit public français devrait encore atteindre 3,3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2017, après 3,8 % cette année et 3,4 % l’an prochain.
Dans son programme de stabilité budgétaire, transmis au printemps à Bruxelles, le gouvernement français avait pourtant affirmé être en mesure de ramener le déficit à 2,7 % du PIB à l’issue d’un nouveau délai de grâce, âprement négocié.
En février, la Commission avait en effet accordé à Paris un nouveau délai de deux ans, jusqu’en 2017, pour ramener son déficit public à 3 % du PIB. Mais à condition d’élaborer un programme de réformes ambitieux. Et de réduire forcement le déficit structurel.
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- Paris et Bruxelles n’ont pas la même appréciation de la croissance
La Commission est un peu moins optimiste que les autorités françaises à propos de la croissance. Celle-ci devrait se situer à 1,1 % cette année, puis 1,4 % l’an prochain, et 1,7 % en 2017. Du côté de Bercy, on table sur une croissance de 1,5 % en 2016. Or, l’ampleur des recettes attendues varie avec le niveau de la croissance.
- Bruxelles a des craintes sur la mise en œuvre du plan d’économies
Ensuite, entre Paris et Bruxelles, les avis divergent sur la façon d’apprécier certaines mesures d’économies. La Commission incite le gouvernement de Manuel Valls à respecter, d’ici la fin du quinquennat, le plan de réduction des dépenses publiques (50 milliards d’euros) mis sur les rails pour tenter de sortir de la « procédure de déficit excessif ». « Clairement, la poursuite de ce plan contribuerait à réduire l’écart » entre les prévisions françaises et bruxelloises, note un expert.
La Commission constate que le déficit structurel, celui qui ne dépend pas de la conjoncture, devrait à peine s’améliorer : de 0,1 point de pourcentage cette année, puis 0,3 point de pourcentage en 2016, soit loin des standards en principe fixés pour des pays en situation de déficit excessif.
C’est pourtant le terrain sur lequel le gouvernement français se targuait de tenir ses objectifs au début du quinquennat.
À ce stade, certains regrettent presque à Bruxelles que la France ne tire pas davantage partie d’une conjoncture en voie d’amélioration pour conforter le redressement de ses comptes. Et l’on craint que le budget 2017 ne permette pas de corriger le tir en raison de l’élection présidentielle.
Pour Bruxelles, les cibles de dépenses publiques « deviennent plus difficiles à respecter », et les investissements des collectivités locales « pourraient être plus forts qu’escompté ».
- La Cour des Comptes dénonce, elle aussi, le flou du plan d’économies
Le 24 juin, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des Comptes s’était elle aussi interrogée - encore - sur la capacité de la France à tenir ses objectifs. « Confrontée, comme ses partenaires, à la nécessité de consolider ses finances publiques au sortir de la crise financière, la France a effectué un effort structurel moindre », jugeait la Cour.
Principal doute : le flou planant sur le programme d’économie du gouvernement, d’environ 14,5 milliards d’euros par an. Celui-ci repose sur des hypothèses « peu documentées à ce jour », jugeait la Cour.
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Ce constat est partagé par Gilles Carrez, président ( Les Républicains) de la Commission des finances à l’Assemblée nationale. « Je suis plutôt optimiste pour 2015, où l’on devrait atteindre sans mal la cible de 3,8 % pour le déficit, explique-t-il. J’ai en revanche de sérieux doutes pour 2016, ne serait-ce parce que de nouvelles dépenses engagées ces derniers mois joueront à plein, telles que les embauches dans la sécurité, l’accueil des migrants, les emplois aidés ».
Comment Paris compte-t-elle revenir dans les clous ? La question est délicate, d’autant que le gouvernement vient de reculer sur plusieurs mesures fiscales. À l’exemple de réforme du calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), retirée du projet de budget 2016. Ou encore le choix de rembourser les retraités modestes désormais assujettis à l’impôt local, dont ils étaient dispensés jusqu’ici en vertu de la « demi-part des veuves ».
- La dette publique va encore grossir
Cette réduction moindre que prévu du déficit public va se traduire par une progression de l’endettement de la France, certes « à un rythme ralenti », mais pour atteindre quand même 97,4 % du PIB d’ici à deux ans.
La courbe du chômage, elle, ne devrait pas s’inverser avant 2017, pour s’infléchir légèrement, avec un taux de demandeurs d’emploi passant alors de 10,4 % à 10,2 % de la population active.
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- Des sanctions peu probables
Tous les ans, ou presque, le même scénario se répète : prévisions de croissance trop optimistes, révision à la baisse, visite à Bruxelles afin d’obtenir la mansuétude de la Commission.
Le 2 juillet, Bruxelles s’était résolue à suspendre sa procédure de déficit excessif engagée contre la France, jugeant que celle-ci respectait la trajectoire de déficit public fixée. Mais soulignant, une fois encore, que les efforts structurels étaient insuffisants, et seraient réévalués à l’automne. C’est désormais chose faite.
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Comme d’habitude, les services de Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques, précisent que leur pronostic, dévoilé aujourd’hui, est calculé « à politique constante », sans prendre en compte d’éventuelles inflexions d’ici là.
Cette approche « a conduit par le passé à sous-estimer l’effort finalement réalisé par la France, mais nous jugerons sur pièce », explique-t-on dans l’entourage de l’ancien ministre français des finances.
Reste à savoir si Bruxelles va juger bon de relancer cette procédure de déficit excessif contre la France. À ce stade, il ne semble pas qu’il soit question de brandir de nouveau la menace de sanctions, comme il y a un an.
« Dans tous les cas, Paris obtiendra sans doute un nouveau délai, comme tous les ans », ironise un économiste.