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    Malaise à la RATP après une expulsion de Roms

    LEMONDE.FR | 01.09.11 | 20h26   •  Mis à jour le 01.09.11 | 20h53

     

    Des Roms sont évacués par des CRS, le 6 juillet 2010 au campement du Hanul, à Saint-Denis.

    Des Roms sont évacués par des CRS, le 6 juillet 2010 au campement du Hanul, à Saint-Denis.AFP/PAUL SZAJNER

    C'est une évacuation d'un camp de Roms qui nourrit la polémique. Vers 6 h 30, ce mercredi 31 août, des CRS débarquent dans le campement de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), près de l'hôpital Delafontaine, où sont installés 150 Bulgares et Roumains. Munis de gaz lacrymogènes, selon les associations, les forces de l'ordre détruisent les baraques et font sortir les familles. Motif : le tribunal de grande instance de Bobigny a délivré, le 18 juillet, une ordonnance d'expulsion de ce terrain, qui appartient à l'Etat. De telles évacuations ont lieu plusieurs fois par semaine dans le département, depuis la circulaire du 5 août 2010 du ministère de l'intérieur sur l'évacuation des campements illicites.

    Mais la situation devient plus exceptionnelle lorsque les CRS forcent une centaine de Roms à se rendre à la station Cosmonautes toute proche, sur la ligne 1 du tramway. Par groupes de cinq ou dix, la police les fait entrer dans les rames, avec des bagages, des vélos et des caddies, aux côtés d'autres usagers. Direction la gare RER de Noisy-le-Sec, toujours en Seine-Saint-Denis.

    "SITUATION D'URGENCE"

    Vers 8 h 30, des cadres de la ligne du tramway, alertés de la situation par des machinistes, se rendent sur place. "L'encadrement local a constaté que l'évacuation des Roms semblait se dérouler avec difficulté et gêner les voyageurs dans les rames", assure la RATP. Le personnel de la régie des transports parisiens et les forces de l'ordre décident alors, d'un commun accord, d'affréter une rame spécialement pour les familles, en dehors du service commercial, depuis le centre de dépôt de Pavillons-sous-Bois.

    "La décision a été prise localement, dans une situation d'urgence, face à un quasi-blocage de la ligne à une heure de pointe. Or, notre rôle d'exploitant est d'acheminer les voyageurs jusqu'à leur destination en temps et en heure", explique encore la RATP, qui assure n'avoir répondu à aucune réquisition de la police.

    VASTE ESCORTE POLICIÈRE

    Le tramway finira par quitter la station Cosmonautes à 10 h 40. Pendant quarante minutes, jusqu'à 11 h 20, il circule sous haute surveillance policière : une dizaine de policiers et de CRS encadrent les Roms à l'intérieur des wagons, en plus de quatre employés de la RATP, tandis que neuf cars de CRS suivent le convoi sur l'ensemble du trajet. Enfin, à chaque arrêt, des policiers se tiennent sur les quais pour empêcher les Roms de sortir. Et ce, jusqu'à l'arrivée à Noisy-le-Sec, où les familles sont encore escortées jusque dans le RER E, en direction de Chelles ou de Tournan, selon un agent RATP.

    Où ces familles sont-elles allées ? Ont-elles quitté le train en cours de route ? Sont-elles retournées à Saint-Denis ? C'est ce que cherche à savoir l'association Médecins du monde, qui se dit "inquiète" de l'état de santé de ces populations. "Des familles nous ont appelés pour avoir des nouvelles de leurs enfants mineurs dont ils avaient été séparés, avant l'entrée dans le tram, assure Livia Otal, coordinatrice du programme Roms au sein de l'ONG. Cette façon de perdre les gens dans la nature pour les décourager de revenir est choquante."

    "DÉRAPAGE DE LA RATP"

    Au sein de la RATP aussi, l'événement émeut. "C'est clairement un dérapage, lâche Philippe Touzet, délégué central SUD-RATP. On est un service commercial, et non un service de transport pour les opérations de police. Sans compter que cela a rappelé à nombre d'agents les convois de déportation de juifs, depuis la gare de Bobigny, pendant la Seconde Guerre mondiale."

    Pour ce délégué syndical, cette "boulette interne" s'explique par le "manque de consignes claires" pour ce genre de situation : "Ce n'est pas aux agents de l'encadrement local de prendre de telles décisions. Nous avons interpellé la direction de la RATP et la préfecture afin que les transports franciliens ne soient plus utilisés pour ce genre d'opérations."

    Car si l'escorte policière de Roms pendant des transports semble être une première, leur rapatriement jusqu'à des gares n'est en revanche pas nouveau. Mardi déjà, des familles évacuées d'un camp situé à Bobigny avaient été emmenées par groupes de 20 ou 30 jusqu'à la station de tramway la plus proche. "Mais elles n'avaient pas été escortées pendant le trajet. Elles faisaient alors demi-tour au bout de deux arrêts", explique Philippe Touzet. En 2008 aussi, des Roms évacués d'un parking de Massy-Palaiseau (Essonne) avaient été conduits dans les RER C, à destination de Corbeil, avec interdiction de descendre avant le terminus.

    OPÉRATION DE POLICE ILLÉGALE

    Cette fois, les forces de l'ordre ont franchi un nouveau seuil dans l'illégalité. "Il n'y a aucun texte qui autorise à transporter des personnes contre leur gré et à les empêcher de sortir où elles le souhaitent", assure Grégoire Cousin, juriste au sein du Centre européen de défense des droits des Roms.

    "La police, réquisitionnée par la préfecture, avait seulement pour ordre d'expulser des Roms d'un terrain. Elle n'avait pas d'ordonnance d'expulsion du territoire, qui aurait conduit à leur acheminement vers un centre de rétention, poursuit le juriste. Les CRS devaient donc se contenter de laisser ces personnes dans la rue, et en aucun cas les emmener dans des transports en commun et encore moins les escorter au cours de ces transports vers une destination qu'elles n'ont pas choisie." Cette opération, qu'il qualifie "d'absurde", lui rappelle les brigades mobiles de Clemenceau qui avaient pour ordre, dans les années 1907-1914, d'amener les Tziganes à la limite du département.

    "La préfecture voulait visiblement faire du chiffre : évacuer un terrain squatté et s'assurer que les Roms n'aillent pas s'installer dans une commune voisine en les éloignant géographiquement, décrypte Claudia Charles, juriste au Groupe d'information et de soutien des immigrés, le Gisti. Elle souhaite montrer qu'elle lutte contre une délinquance théorique des Roms, mais en réalité, elle ne fait que déplacer le problème."

    Audrey Garric


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