Après la joie, une belle gueule de bois. Les communistes avaient à peine fini de fêter mardi soir l’adoption du mariage pour tous qu’ils se sont réveillés hier matin avec un violent coup sur le crâne : l’amnistie pour les syndicalistes et militants associatifs qu’ils défendent au Parlement depuis février est proche d’être enterrée. La première gifle est venue de France Info, à l’heure du café : «La position du gouvernement dans ce débat sera non, nous ne sommes pas favorables à cette amnistie, ni à aucune autre», tranche Alain Vidalies, ministre des Relations avec le Parlement. Bruno Le Roux, patron des députés PS, ne laisse guère plus d’espoir quelques minutes plus tard, sur RMC: «Quand il y a la loi, cette loi s’applique à tout moment sur notre territoire.» Coup de grâce en fin de matinée en commission des lois, à l’Assemblée : article par article, le texte est rejeté par les socialistes et la droite. Seuls le député écologiste Sergio Coronado et l’élu PS marseillais Patrick Menucci soutiennent Marc Dolez, rapporteur du Front de gauche. Au même moment, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, rappelle que celui-ci «a toujours considéré que l’amnistie était une façon de revenir sur la chose jugée […]. Nous sommes contre toute forme d’amnistie».
Tranchant. Pourtant, en février, au Sénat, cette proposition de loi avait été votée par toute la gauche. Les socialistes l’avaient alors déjà dépiautée : délits concernés ramenés à ceux «passibles de cinq ans et moins d’emprisonnement» ; violences physiques ou insultes contre les dépositaires de l’ordre public sorties du champ d’application ; exit aussi les enseignants, militants anti-OGM ou du Réseau Education sans frontières… Ne sont plus concernées que les personnes condamnées pour des dégradations lors de «conflits liés au travail» ou de luttes en faveur du «logement». «Qui est concerné ? s’agace Pierre Laurent, patron du PCF. Des personnes qui ont tenu un barrage devant un péage d’autoroute ! Ou peint un mot d’ordre sur le mur d’une préfecture !» Loin du refus tranchant du gouvernement, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, s’en était remise à la «sagesse» des sénateurs et avait qualifié d’«œuvre utile» le travail des parlementaires…
Alors qu’est-ce qui a changé ? «Le débat a cheminé», répond-on à Matignon. Les violences et interpellations liées aux manifestations contre le mariage pour tous sont passées par là. Celles des Goodyear d’Amiens aussi. Même si ces derniers, comme les jeunes adeptes de Frigide Barjot, ne sont pas concernés : la proposition de loi concerne uniquement des faits s’étant déroulés entre le 1er janvier 2007 et le 1er février de cette année. Peu importe pour l’exécutif : le refus de l’amnistie a pris un «caractère d’évidence», selon la formule consacrée à Matignon.
Plutôt que donner des gages à un électorat de gauche déjà déprimé, François Hollande fait le choix de se poser en garant républicain, d’empêcher la droite d’instruire contre lui un nouveau procès en «laxisme» et envoie un signal au patronat, vent debout contre la mesure. «Quel message adresserions-nous aux investisseurs internationaux ?» s’est interrogé Pierre-Yves Le Borgn’, député PS des Français du Benelux, en commission des lois hier.
Cette «volte-face» du gouvernement fait autant plaisir à la droite qu’elle afflige les communistes. «Le fossé est déjà béant avec leur base sociale et ils le creusent tous les jours», se désole Pierre Laurent. Même du côté des députés socialistes, les sorties matinales de Vidalies et de Le Roux ont surpris. «Ça suffit, cette façon de nous traiter ! Il n’y a même pas eu de discussion en réunion de groupe ! a tonné Menucci en pleine commission des lois. Nous faisons une erreur politique. Si nous sommes des sociaux-démocrates, nous devons être d’accord.» «Jeudi noir ? Les grévistes qui, avec un parquet aux ordres ont reçu des peines importantes sans avoir commis de violences ? On est allés les soutenir ! On a pris des photos avec eux ! Le soutien, ça ne s’arrête pas lorsqu’on franchit les portes du Palais-Bourbon», proteste Razzy Hammadi. L’élu de Seine-Saint-Denis promet de porter des amendements lors de l’examen du texte en séance, le 16 mai. «Vu comme le débat est parti, ça va bouger», annonce un député. Au finale, dans l’hémicycle, la proposition de loi pourrait être renvoyée en commission. «Pour que le Sénat en fasse ensuite son affaire», assure un élu. Mais si le gouvernement reste aussi ferme, on voit mal les députés accepter la seconde copie sénatoriale…
«Bateau ivre». Vote bloqué au Sénat sur le projet de loi «sécurisation de l’emploi», rejet hier, en commission, à l’Assemblée, d’une proposition de loi sur les licenciements boursiers… La séquence risque de précipiter la rupture entre socialistes et communistes humiliés. «Le gouvernement n’est pas un bateau ivre, c’est pire que ça, s’indigne André Chassaigne, chef des députés PCF. Il s’agit d’un navire qui a mis un cap et ce n’est pas celui qu’attendait le peuple de gauche.»
A quelques mois de la constitution des listes pour les municipales de 2014, le PS en profite pour montrer ses muscles. Mais résultat, au Front de gauche, la ligne de conciliation portée par les communistes pour «arracher tout ce qui peut l’être» s’en trouve affaiblie. Or, choyer sa gauche, «c’est du niveau première section des Jeunes Socialistes», lâche un pilier de la majorité. Autre conséquence : la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, répétant qu’il ne faut rien attendre de Hollande et du PS, en sort renforcée. L’ex-candidat à l’Elysée ne pouvait rêver meilleur cadeau pour motiver ses troupes lors de la manifestation parisienne du Front de gauche, le 5 mai.
Publication: 10/12/2012 14:43 CET | Mis à jour: 10/12/2012 14:46 CET