2h30. C'est à peu près ce qu'aura duré le discours de Mohammed Morsi, prononcé mercredi devant une assemblée d'islamistes et d'officiels. Le président en a profité pour dresser un bilan globalement positif de sa première année de mandat tout en reconnaissant des erreurs. Il a même présenté ses excuses aux "jeunes qui n'ont trouvé que la rue pour s'exprimer", leur promettant de tout faire pour les intégrer aussi vite que possible à la vie politique nationale. Il s'est en revanche montré très offensif et même menaçant à l'égard de ceux, non nommés, qui tenteraient de déstabiliser l'Égypte. 2h30, c'est aussi le temps moyen qu'il faut en ce moment aux automobilistes égyptiens pour faire un plein d'essence, à cause des pénuries qui transforment les stations service en théâtres vivants, où, le long d'interminables files de voitures, on échange à coups de klaxons, d'insultes et parfois de poings.
Ce qui lie ces deux réalités bien éloignées, c'est une même angoisse autour d'une même échéance : le 30 juin. C'est en effet dimanche que doit se tenir la grande manifestation anti-Morsi, prévue un an exactement après son investiture et qui doit se tenir devant le palais présidentiel et sur la place Tahrir. Les opposants libéraux et de gauche, qui affirment avoir rassemblés 15 millions de signatures contre le pouvoir dans le cadre de leur campagne Tamarod (rébellion), se sentent pousser des ailes et rêvent de faire de cette date le point de départ d'une seconde révolution qui aboutirait à l'éviction de Mohammed Morsi et à la tenue de nouvelles élections présidentielles. En province, plusieurs affrontements entre sympathisants et opposants du président ont déjà fait 2 morts et 300 blessés, mercredi soir à Tanta et Mansoura. Les Egyptiens craignent que ce type de heurts se généralise, provoquant une paralysie dans tout le pays. En anticipation des événements, beaucoup ont déjà fait des stocks de nourriture, de cigarettes, d'argent ou de bidons d'essence, aggravant ainsi la pénurie déjà existante et participant à alourdir un peu plus une atmosphère déjà pesante.
La logistique révolutionnaire se remet en place
Sur la place Tahrir, jeudi soir, on se préparait doucement à la manifestation. A peine quelques centaines de personnes étaient rassemblées devant l'estrade centrale mais déjà, les intervenants se succédaient au micro en scandant des slogans hostiles à Mohammed Morsi, repris par une petite foule enthousiaste, portant des drapeaux égyptiens et des portraits du président, barrés d'une croix. Il y avait peu d'innovation dans les slogans, identiques à ceux scandés contre Hosni Moubarak en janvier 2011 ou contre l'armée pendant les événements de Mohammed Mahmoud, avec pour seul différence le destinataire : "Morsi dégage", "le peuple veut la chute du régime", "Tombe, tombe, guide suprême (chef des la confrérie des Frères Musulmans à laquelle appartient Mohammed Morsi)". Tout autour, la logistique révolutionnaire, tant de fois mise en œuvre sur la célèbre place, reprenait forme : des tentes sont plantées sur le terre-plain central, les vendeurs de drapeaux, de thé ou de pop-corn installent leurs étals, tandis que des enfants des rues, pour certains âgés de moins de dix ans, concassent des cailloux pour les bagarres à venir.
Non loin de là, les chars de l'armée se sont déployés dans la capitale, ainsi que dans toutes les zones à risque du pays. Survolant vendredi matin le ciel cairote, les bruyants hélicoptères soulignent un peu plus cette présence difficile à interpréter. La semaine passée, les militaires sont sortis de leur réserve et la ministre de la Défense, le général Al Sissi, a assuré que "les forces armées (avaient) le devoir d'intervenir pour empêcher l'Egypte de plonger dans un tunnel sombre de conflits et de troubles." Un message que chacun a compris comme il le souhaitait : les pro-Morsi y voyant la confirmation que l'armée resterait solidaire du pouvoir, les anti qu'elle se préparait à un coup d'État, espéré par les nombreux nostalgiques de l'ancien régime.
Se sentant menacés, les partisans du président vont tenter vendredi une dernière démonstration de force. A l'appel de nombreux partis islamistes, ils ont prévu de se réunir dans l'après-midi, à Medinat Nasr en banlieue du Caire, pour "défendre la démocratie et la légitimité du président." Ce rassemblement n'a pas prévu de se disperser à la fin de la journée et devrait se transformer en sit-in. Une façon pour les islamistes de dire qu'ils se tiennent prêt à intervenir en cas de débordement au Palais présidentiel, situé non loin de là.
Marwan Chahine - Le Nouvel Observateur