• En Egypte, ouverture d’élections législatives très encadrées par l’armée

    En Egypte, ouverture d’élections législatives très encadrées par l’armée

    LEMONDE | 28.11.11 | 11h43   •  Mis à jour le 28.11.11 | 11h53

     

     

    Un homme, dans un bureau de vote du Caire, devant des portraits d'anciens dirigeants égyptiens.

    Un homme, dans un bureau de vote du Caire, devant des portraits d'anciens dirigeants égyptiens. REUTERS/AMR ABDALLAH DALSH

    Le Caire Envoyé spécial - En dépit des violences et de la poursuite du mouvement de contestation contre le régime militaire, la première phase des élections législatives égyptiennes s'est ouverte, lundi 28 novembre au matin. Les électeurs de neuf des vingt-sept gouvernorats égyptiens, dont ceux du Caire et d'Alexandrie, ont commencé à élire leurs représentants à l'Assemblée du peuple, la Chambre basse du Parlement égyptien.

    Si aucun incident majeur ne survient, une deuxième et une troisième phases se dérouleront les 14 décembre et 3 janvier 2012. Chaque phase consistant en deux tours, de deux jours chacun, espacés d'une semaine, ce n'est qu'à la mi-janvier, au plus tôt, que sera connue la composition de l'Assemblée.

    Organisée dans le plus peuplé des pays arabes, allié des Etats-Unis et interlocuteur d'Israël, cette élection promet d'avoir un retentissement supérieur aux scrutins organisés en Tunisie et au Maroc. Les chancelleries occidentales vont en scruter à la loupe les résultats, qui pourraient aboutir à la victoire des Frères musulmans et confirmer la poussée des islamistes, déjà vainqueurs dans les deux pays précités.

    Sur place cependant, la population a du mal à se passionner pour cette consultation qui, au vu des affrontements de la semaine passée, a bien failli être repoussée. Parmi les révolutionnaires qui occupent toujours la place Tahrir, beaucoup se rendront aux urnes à reculons. Convaincus que leur voix ne contribuera pas tant à construire une Egypte démocratique qu'à consolider le pouvoir du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis la chute d'Hosni Moubarak.

    Ce désenchantement est alimenté par le mode de scrutin. Deux tiers des 498 députés de l'Assemblée du peuple seront élus à la proportionnelle, sur la base de listes présentées par les partis, où une seule place est réservée aux femmes, le tiers restant étant élu par un scrutin majoritaire à deux tours, ouvert non seulement aux candidats des partis mais aussi aux "indépendants". Sous la pression de la Place Tahrir, inquiète que cela ne permette aux ex-barons du PND, le parti d'Hosni Moubarak, de se faire réélire, le CSFA a promulgué à la va-vite une loi qui interdit à tous ceux qui ont "corrompu la vie politique" de se présenter. Une formule vague propice à de nombreux contentieux.

    Après le décompte des voix, la commission électorale devra intervenir pour s'assurer qu'au moins la moitié des sièges revienne à des paysans ou à des ouvriers. Survivance de l'époque nassérienne, ces quotas professionnels ont souvent été contournés par le passé de telle sorte qu'il n'était pas rare qu'un chef d'entreprise soit enregistré comme ouvrier. Les ajustements qu'ils supposent peuvent profiter à des candidats qui ne sont pas en position éligible.

    "Les Egyptiens décrochent haut la main le prix de la loi électorale la plus absurde, résume un observateur étranger. Tout est fait pour que ce ne soient pas les gens les mieux élus qui se retrouvent sur les bancs des députés. On risque de se retrouver avec une Assemblée à la légitimité très faible, dont l'action sera entravée par un nombre interminable de réclamations."

    "UNE OPÉRATION DE DÉ-DÉMOCRATISATION"

    Le manque d'engouement de la population s'explique aussi par le flou entourant les attributions des futurs députés. Leurs pouvoirs législatifs seront en effet dépendant du bon vouloir du CSFA, qui dispose de fait des prérogatives présidentielles et peut à ce titre s'opposer à tout projet de loi qui lui déplaît. Dans l'esprit des militaires, la nouvelle Assemblée ne devrait pas non plus avoir de droit de regard sur la composition du gouvernement. Samedi, le général Mamdouh Chahine, responsable des questions juridiques au CSFA, avait affirmé sans ciller que "le futur Parlement n'aura aucune autorité sur le gouvernement". "Si le gouvernement n'est pas représentatif du Parlement, l'Assemblée bloquera toute décision", a rétorqué le lendemain un porte-parole des Frères musulmans, qui ambitionnent de décrocher le poste de premier ministre.

    En définitive, le travail des députés risque de se limiter à la désignation des membres de la commission qui sera chargée d'élaborer la nouvelle Constitution. Mais là encore, l'armée ne sera pas loin. Dans un document présenté début novembre par le vice-premier ministre Ali Al-Selmi, le CSFA s'était attribué le droit de s'opposer à des articles et de mettre sur pied une nouvelle commission en cas d'échec au bout de six mois. Attaqué par tous les partis, le "document Selmi" a été mis en veilleuse, mais il est peu probable que le CSFA ait renoncé à son esprit, révélateur des limites du pouvoir législatif égyptien.

    Certains analystes espèrent qu'avec leur mandat populaire, si fragile soit-il, les députés pourront desserrer l'emprise des militaires, qui ont promis de s'effacer en juin 2012, date de l'élection présidentielle promise sous la contrainte de la rue par le maréchal Mohammed Tantaoui, chef du CSFA.

    D'autres observateurs, plus sceptiques, sont sans illusions: "Il s'agit d'une opération de "dé-démocratisation", analyse le politologue Achraf Al-Chérif. L'enrobage est attrayant car les piliers de l'ancien régime sont partis et un scrutin pluraliste est organisé. Mais en coulisses, tout est fait pour que rien ne change. C'est du moubarakisme sans Moubarak."

    Benjamin Barthe


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