• En Europe du Sud, jeunes et diplômés rêvent d'un ailleurs

    En Europe du Sud, jeunes et diplômés rêvent d'un ailleurs

    LEMONDE | 10.10.11 | 15h29   •  Mis à jour le 10.10.11 | 15h31

    Le département d'Etat et l'ambassade d'Australie ont organisé deux jours de sessions d'informations, les 8 et 9 octobre, pour ceux qui veulent aller travailler aux Antipodes. Des centaines de Grecs sont venus à l'hôtel Hilton, mais ils sont des milliers à avoir essayé de s'inscrire sur Internet : docteurs, infirmières, mécaniciens, plombiers.

    L'Australie avait, au préalable, établi la liste de la main-d'oeuvre qualifiée qu'elle recherche dans le monde entier. Dans une Grèce en dépression, la demande trouve une résonance particulière.

    Denise (qui n'a pas souhaité communiquer son nom) est venue de Patra, dans le Péloponnèse, pour lever ses derniers doutes, car elle a décidé de partir. "J'ai trois enfants de 8 à 14 ans. Il n'y a pas d'avenir pour eux ici. Ils ne trouveront pas de travail et, s'ils en trouvent, ne seront pas payés. C'est une décision difficile à prendre. Je laisse mes parents, mes frères et soeurs. Mais ma famille, ce sont mes enfants et je ne veux pas que, dans dix ans, ils me disent : maman, tu avais la possibilité de partir et tu l'as laissée échapper." Cette infirmière à la prison de Patra, quadragénaire élégante, mariée à un retraité de l'armée de l'air, est prête à s'envoler avec toute sa famille. Destination : Perth, où elle connaît des gens, même si elle n'a jamais mis les pieds en Australie.

    Tout le monde n'est pas aussi décidé, mais tous font le même constat. "Il n'y a pas d'espoir en Grèce", explique Dimitris Athanassias, un cardiologue de 44 ans, qui exerce dans un hôpital privé. "J'ai de l'argent, du travail, mais je veux partir. C'est une forme de psychothérapie. Nous avons besoin de partir loin de l'Europe. Ils jouent avec nous comme si nous étions des Indiens. Comme médecin, je crois que j'ai de bonnes chances de réussir."

    Vasso (qui a souhaité garder l'anonymat) veut aussi partir "n'importe où". "Je ne veux pas être en colère du matin au soir à cause des grèves, qui n'apportent aucune solution, sauf la dissolution de la société. Je ne veux pas être dé-sespérée à cause du manque de politique alternative", explique cette médecin dans un hôpital public d'Athènes. Elle vient pourtant, après cinq années d'attente, d'être titularisée. Elle a 41 ans, deux enfants. Son mari est architecte. "Cela veut dire qu'il est pratiquement sans emploi." Le marché de la construction est en chute libre en Grèce. Si la tentative australienne échoue, elle tentera sa chance ailleurs. Mais pas en Allemagne. "En tant que Grecque, je vis trop mal l'hostilité des pays du Nord."

    Constantin Loukovitis est venu de Salonique, la deuxième ville de Grèce, dans le nord du pays. C'est un jeune médecin de 30 ans. "Mon rêve, c'était d'exercer dans mon pays. Mes parents ont emprunté pour me payer mes études. J'ai réussi, j'ai eu mon diplôme et je ne peux y travailler." L'Australie lui semble loin. Il s'est renseigné, mais il a commencé des démarches pour aller en Grande-Bretagne, où il a étudié.

    Elisabeth Karkala est aussi un peu effrayée par la distance. Son futur mari travaille à Paris. Elle est médecin anesthésiste. Elle enchaîne des contrats de dix mois dans les hôpitaux publics. A 34 ans, elle va chercher la stabilité en Angleterre ou en Allemagne. "C'est très difficile de travailler, il n'y a plus d'argent pour la santé en Grèce", explique Panayotis Kokkalis, 33 ans, médecin hospitalier à Athènes et candidat lui aussi au départ.

    Mais il n'y a pas que des médecins. Un jeune plombier a tenté sa chance au Hilton, mais il maîtrise mal l'anglais. Leonidas Kollaros, quant à lui, est technicien spécialisé dans les systèmes d'air conditionné - il travaille sur des bateaux de croisière -, pense pouvoir trouver un travail en Australie, où il a déjà fait escale.

    Environ 150 000 personnes s'installent chaque année en Australie. Mais ces dernières années, seulement une centaine d'émigrants par an venait de Grèce. L'Australie est une terre d'émigration hellène depuis la seconde guerre mondiale : 500 000 Australiens sont d'origine grecque.

    L'ambassadrice d'Australie en Grèce en est un exemple. Jenny Bloomfeld est née à Salonique en 1969. Elle a quitté la Grèce en 1981 avec ses parents, pour s'installer en Australie, et y est revenue, trente ans après, comme ambas-sadrice.

    C'est elle qui n'a pas ménagé sa peine pour promouvoir le programme de recherche d'emplois qualifiés, multipliant les entretiens dans les journaux et à la télévision.

    L'Australie est un cas extrême, mais l'engouement qu'a suscité cette expérience montre la volonté de nombreux Grecs éduqués de quitter leur pays. "C'est une fuite des cerveaux", explique le professeur Lois Lambrianidis de l'Université de Macédoine, qui vient de réaliser une étude auprès de jeunes diplômés partis faire leurs études hors de Grèce et qui, le plus souvent, y restent. "Dans les années 1950, ce sont les ouvriers ou les paysans qui partaient travailler à l'étranger. Aujourd'hui, ce sont les personnes éduquées."

    Il est difficile de mesurer l'ampleur du phénomène. "Le gouvernement ne tient pas ce genre de statistiques", regrette M. Lambrianidis. En 2006, 6 000 jeunes Grecs s'étaient inscrits au programme européen Eures pour faciliter la recherche d'emploi en Europe. Ils sont plus de 20 000 aujourd'hui.

    "Les diplômés grecs ne peuvent pas trouver un travail, car l'économie grecque n'est pas tournée vers la recherche et les hautes technologies, relève M. Lambrianidis, mais la fuite de ces cerveaux est un coup terrible au développement du pays."

    Alain Salles Article paru dans l'édition du 11.10.11

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