• « En Grèce, il faut taxer les signes extérieurs de richesse »»

    14/02 | 18:52 | mis à jour à 19:15 | Nicolas Barre et François Vidal

    Jacques de Larosière : « En Grèce, il faut taxer les signes extérieurs de richesse »»

    Etat réel des banques européennes, gestion de la crise grecque, gouvernance de la zone euro : l'analyse de l'ancien directeur général du FMI, aujourd'hui conseiller de BNP Paribas.

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    François VIDAL
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    Regrettez-vous la manière dont a été gérée la crise grecque ?

    Oui car il aurait été beaucoup plus sage de traiter le problème dès 2010 en regardant la réalité en face au lieu de faire semblant de croire que la Grèce était capable de revenir sur les marchés dès 2013. C'était évidemment irréaliste. Et cela a produit deux effets négatifs : d'abord on n'a plus cru aux déclarations des gouvernements en ce domaine et ensuite la peur de la contagion a gagné du terrain. La crédibilité des Etats de la zone euro en a été affecté.


    L'accord politique annoncé par Athènes règle-t-il la crise ?

    Pour avoir mené ce genre de négociations plusieurs fois au cours de ma carrière, je sais à quel point cela peut être difficile. Il faut savoir naviguer entre plusieurs écueils. En fait, pour restructurer une dette publique, il faut réunir trois conditions. D'abord convaincre les créanciers privés de faire un effort très significatif. Mais, il ne faut pas dépasser les limites de l'acceptable, car sinon cela devient contre-productif. Ensuite, il faut s'assurer de la soutenabilité de la dette restructurée pour l'Etat concerné. C'est un paramètre également fondamental qui dépend de nombreuses hypothèses : croissance future, respect de la discipline budgétaire etc. Enfin, il faut définir le sacrifice que sont prêtes à faire les institutions publiques. C'est souvent conditionné par des mesures de redressement imposées au débiteur. Cette conditionnalité doit être socialement et politiquement réaliste. La navigation entre ces trois paramètres est un art difficile. La difficulté supplémentaire, dans le cas grec, c'est que l'Union Européenne ne parle pas toujours d'une seule voix.


    N'est-il pas choquant que la BCE ait dû contribuer au sauvetage de la Grèce en acceptant une décote sur les titres qu'elle détient ?

    Absolument pas. C'est même le contraire qui aurait été choquant. Si la BCE a acheté sur le marché de la dette grecque décotée, il me semble qu'elle ne devrait pas en titrer un quelconque profit. Il serait étrange que la BCE soit intégralement remboursée au pair au titre de la dette qu'elle détient, alors même qu'elle ne l'a pas acquise à sa valeur nominale. Les acteurs de la Troïka (BCE, UE, FMI) n'ont pas vocation à faire des profits à l'occasion de la restructuration d'un pays.


    Le cas grec est-il à part dans la zone euro ?

    Oui. Qu'il s'agisse des niveaux d'endettement, du déficit et de l'existence d'un vériable appareil fiscal, nulle part ailleurs on ne trouve de telles dérives réunies. D'ailleurs, je m'étonne un peu que les programmes de redressement de la Grèce soient beaucoup plus centrés sur la baisse des salaires minimum -en l'occurrence, ce n'est pas injustifié car les salaires en Grèce ont augmenté depuis dix ans sans rapport avec la productivité-que sur la hausse des recettes fiscales tirées des catégories plus aisées de la population. On pourrait à cet égard recourir à la méthode qui a fait ses preuves autrefois de la taxation forfaitaire des signes extérieurs de richesse (villas, yachts, piscines, voitures de luxe, patrimoines immobiliers ...). Cela impliquerait la simple application de barèmes. Il me semble que ce serait politiquement légitime pour l'homme de la rue et que cela mettrait un peu de justice dans le processus.


    La gouvernance européenne vous paraît-elle désormais satisfaisante ?

    Nous avons fait beaucoup de progrès. Les pays européens sont en train de se doter de textes visant à éviter les problèmes de divergence qu'ils ont connus dans le passé en matière de finances publiques. Chaque pays se verra assigner une trajectoire « personnalisée » pour revenir à un solde budgétaire de + ou -0,5% du PIB. Tous les pays n'auront pas la même trajectoire mais chaque Etat va accepter le retour à l'équilibre budgétaire. Ensuite cette trajectoire fera l'objet d'une surveillance permanente avec des corrections automatiques. On ne pourra donc plus vivre en état de déviation. Enfin si un Etat ne joue pas le jeu, il ne pourra plus, avec une simple majorité, s'extraire des contraintes. Il faudra une majorité qualifiée, ce qui sera très compliqué. Pour couronner le tout, le traité dit que ces principes seront élevés au niveau constitutionnel pour qu'il y ait une solennisation de ces accords. Enfin, l'accès au mécanisme européen de solidarité financière ne sera ouvert, bien sûr, qu'aux pays qui respectent les règles de gouvernance. Avec cet ensemble de textes, je pense que l'Europe a fait de très grands progrès. Il reste cependant à se pencher sur les conditions d'un retour à la croissance, ce qui implique une réflexion commune sur les problèmes des différences de productivité à l'intérieur de la zone et la manière de les traiter. C'est à mes yeux le sujet essentiel pour l'avenir à plus long terme de l'euro.


    Estimez-vous que les banques européennes sont aujourd'hui tirées d'affaire ?

    On sait désormais que la prétendue sous-capitalisation majeure des banques européennes, que certains évaluaient l'été dernier autour à 200 voire à 300 milliards d'euros, était sans rapport avec la réalité. Les stress tests les plus récents l'ont montré. En tenant compte de décotes exceptionnelles effectuées sur la valeur des dettes souveraines des pays périphériques de la zone euro, les besoins en fonds propres des banques s'élevaient à 114,6 milliards d'euros à fin septembre selon les calculs de l'EBA (European Banking Authority). Et encore ce besoin traduit la formidable accélération du calendrier de la mise en place de Bâle III. Alors que les banques étaient censées porter leurs fonds propres réglementaires à 9% en 2019, elles sont pressées de le faire dès le début 2013. C'est un effort considérable. Il faut bien en avoir conscience. Pour parvenir à atteindre cet objectif, elles disposent de 3 leviers, qu'elles sont en train d'actionner : la réduction des coûts, la baisse ou la suppression des dividendes et la réduction de la taille de leur bilan, le « deleveraging ». Ce processus est en cours.


    Mais il se fait au détriment de l'économie réelle à travers une réduction de l'offre de crédit...

    Pas partout. L'effort de « deleveraging » a surtout porté jusqu'ici sur les activités en dollars que l'on trouve pour l'essentiel dans la banque de marché, pas sur le financement de l'économie domestique. D'ailleurs si vous comparez la distribution de crédit des banques de la zone euro avec celle de leurs consoeurs américaines, vous vous rendrez compte que les premières font mieux que les secondes. En France notamment, je constate que le volume des crédits a continué d'augmenter ces derniers mois. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas surcharger les banques à un moment où la conjoncture est hésitante. A cet égard, il est urgent de revoir les nouveaux ratios prudentiels de liquidité, qui, s'ils étaient appliqués en l'état, nous conduiraient sûrement à une pénurie de crédit. Car ils obligeraient les banques à réduire dans des proportions très importantes la durée de leurs engagements.


    Estimez-vous que le financement illimité à trois ans accordé aux banques par la BCE règle la question de la liquidité ?

    C'est une décision importante, qui a changé le cours des choses. En portant de un à trois ans la maturité de la liquidité apportée par la BCE, Mario Draghi a sans doute permis d'éviter une asphyxie du secteur bancaire dans son ensemble. Cette décision, de caractère systémique et à laquelle ne s'attache aucune stigmatisation, a évité une situation de « credit crunch » mais elle ne règle pas à elle seule la crise de la zone euro.

    (Photo AFP)

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