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En images : les visages de la pauvreté dans les campagnes françaises
Dernière modification : 22/11/2013lien
En images : les visages de la pauvreté dans les campagnes françaises
© Alain Keler / MyopParce que la pauvreté en milieu rural est aussi silencieuse que méconnue en France, l'agence Myop, missionnée par le Secours catholique, lui a donné un visage. Ou plutôt des visages et des voix réunis dans l'exposition "Oubliés de nos campagnes".
Par Sarah LEDUC (texte)"On cache sa misère à la campagne. En ville non. Parce que le regard des autres, il n’est pas joli par ici !" Claire donne le ton. Cette femme de 56 ans est l’un des personnages poignants de l'exposition "Oubliés de nos campagnes".
Face à la pauvreté dans le milieu rural français, aussi invisible que méconnue, le Secours catholique-Caritas a sonné le signal d’alarme et fait appel aux yeux de Myop. L’agence a envoyé, pendant plusieurs semaines, cinq photographes sillonner la France jusque dans ses recoins les plus reculés pour y documenter la précarité et casser au passage une vision idéalisée de la campagne.
"Il y a beaucoup de fantasmes sur la campagne en France, explique à FRANCE 24 Lionel Charrier, directeur et co-fondateur de Myop. On l’associe souvent à une forme de nostalgie, de bien-être, de mode de vie choisi. Mais ce n’est pas parce qu’on est à la campagne qu’on peut vivre de rien", ajoute-t-il.
Le cercle vicieux de la pauvreté
À chaque regard, son point de vue. Parmi les cinq auteurs, les uns ont entrepris d'explorer le territoire tandis que d'autres ont centré leur reportage sur une unité de lieu ou de personne. Lionel Charrier et son binôme Alain Keler ont parcouru 7 000 kilomètres, des Ardennes, dans le nord-est de la France, aux Pyrénées, dans le sud-ouest, en longeant ce qu'ils appellent "la diagonale du vide", soient des zones particulièrement touchées par l'exode rural.
Dans un contexte géographique où l’habitat est dispersé, les transports quasi inexistants et le tissu social décousu, les personnes les plus fragiles se sont retrouvées confrontées à un isolement géographique, psychologique et social. "Il y a moins de réseaux, moins d’associations, moins d’entraide. Les gens ne vont pas chercher de l’aide, il faut qu’ils attendent qu’elle vienne à elle", précise Lionel, citant l’exemple de Manfred, chômeur de 27 ans dans les Ardennes, qui résume ainsi son "cercle vicieux" de la pauvreté : "Avec un RSA, comment payer un permis, l’assurance, l’essence , la voiture ? C’est un cercle vicieux. Pour avoir le boulot, il faut avoir la voiture, pour avoir la voiture, il faut avoir l’argent, pour avoir l’agent, il faut avoir le boulot !"
"La précarité , c’est pas savoir ce qu’on va manger le soir"
Quand elle n’est pas stigmatisée, la misère est oubliée. Comme dans cette vallée de la Somme, photographiée par Ulrich Lebeuf. Depuis 30 ans, les usines y ferment les unes après les autres. D’abord Saint-Frères qui a fermé ses portes en 1984, laissant 9 000 personnes sur le carreau. Aujourd’hui, c’est Goodyear qui a annoncé sa fermeture pour l’année prochaine. Et après trois générations de chômeurs, les problèmes d’alcool et de drogue font leur apparition.
"Je suis tombée dedans [l’alcool] ; le père de ma fille est tombé dedans ; ça me fait peur pour ma fille", témoigne Isabelle, 52 ans, qui vit à Berteaucourt. Elle avoue son impuissance à payer ses factures comme à arrêter de boire. "J’ai été neuf ans abstinente et j’ai replongé. Son père est resté vingt ans abstinent et il a replongé. J’essaye de pas retomber dedans carrément mais, de temps en temps, je bois un coup".
Christelle, elle, compte ses coups. "La précarité c’est vivre au jour le jour. C’est pas savoir ce que tu vas manger le soir. Le matin tu te réveilles et tu calcules ce qu’il te faut… Là j’ai quelques bières, de quoi manger et j’ai ce qu’il faut pour mon chien. Mais demain ce sera autre chose : y’aura plus de bière, plus de viande hachée, plus de tabac. C’est ça la précarité." À 41 ans, elle vit, ou plutôt elle survit, à Saint-Girons, dans les Pyrénées ariègeoises, l’un des départements des plus dépeuplés et plus précaires de France. C’est sur ce village que s’est concentré Pierre Hybre. Le photographe y a rencontré des hommes et des femmes en "rupture" : autant de jeunes sans qualification que de victimes de la désindustrialisation, du chômage, de l’isolement ou des adeptes de la décroissance.
Olivier Jobard a, quant à lui, suivi Ester et Armando, victimes de la crise espagnole. Ils se sont séparés de leurs deux enfants pour trouver un travail de saisonnier en France, dans la cueillette de fruits, à Tain-l'Hermitage. Pour ne pas rentrer chez eux les mains vides, ils sont prêts à tout subir.
Une pauvreté "moyenne"
Photographier les oubliés, c’était une gageure. Au vu de l’ampleur de la tâche, Lionel Charrier reste lucide : "Nous n’avons pas fait une thèse sur la pauvreté. Nous n’avons pas non plus montré l’extrême pauvreté, juste une pauvreté "moyenne". Nous avons seulement cherché à combattre des idées reçues, à montrer des moments de vie et les différents aspects de la misère, qui n’est pas que financière".
Un écho au témoignage frappant de Florent, 82 ans, qu'Alain Keler a photographié dans son village de Saint-Pé-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées : "Tout ce que je demande c’est une aide morale. Qui n’a pas besoin d’une aide financière ? Je touche une retraite qui me permet tout juste de ne pas crever de faim. Que voulez-vous que je vous dise de plus ?". Il n’y a rien à dire de plus. Juste une exposition à voir et à écouter jusqu’au 1er décembre seulement au Point Éphémère, à Paris.
"Oubliés de nos campagnes"
Du 20 novembre au 1er December 2013
Le Point Éphémère
200 Quai de Valmy
75010 Paris
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