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En Tchétchénie, au Pakistan ou au Niger, des mobilisations anti-"Charlie Hebdo" sous influence
En Tchétchénie, au Pakistan ou au Niger, des mobilisations anti-"Charlie Hebdo"
sous influence
Dans des pays comme le Pakistan, la Tchétchénie ou le Niger, les manifestations hostiles à la France et à "Charlie Hebdo" ont été instrumentalisées à des fins politiques.
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<figcaption>Des milliers de musulmans manifestent contre les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, dans le centre de Grozny (Tchétchénie), le 19 janvier 2015. (MUSA SADULAYEV / AP / SIPA)</figcaption></figure><section class="byline clearfix"> Par Christophe Rauzy </section>
"Nous n'insultons personne." François Hollande a assuré lundi 19 janvier que la France n'avait pas offensé le monde musulman en soutenant la liberté d'expression et Charlie Hebdo. Une réponse aux nombreuses manifestations de musulmans dans plusieurs pays du monde, pour dénoncer la nouvelle caricature de Mahomet en une de l'hebdomadaire, une semaine après l'attentat meurtrier qui a visé le journal satirique. Si certains musulmans ont spontanément exprimé leur colère, dans d'autres pays, le mouvement a été dirigé et instrumentalisé à des fins politiques.
En Tchétchénie, le président Kadyrov à la manœuvre
Les chiffres avancés par les autorités tchétchènes sont effarants : 800 000 personnes ont manifesté lundi 19 janvier dans les rues de Grozny, la capitale de la Tchétchénie, pour proclamer leur amour du prophète et appeler à punir les dessinateurs de Charlie Hebdo. Au centre du rassemblement géant, Ramzan Kadyrov, le président tchétchène, a dénoncé "les journalistes et les hommes politiques européens", avant de verser quelques larmes devant l'ampleur de la mobilisation. Car si les chiffres officiels peuvent paraître douteux - le pays ne comptant pas plus de 1,2 million d'habitants -, les manifestants pouvaient effectivement se compter par dizaines de milliers.
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(EVN)
</figcaption></figure>Kadyrov n'avait pourtant pas lieu d'être surpris. Car c'est lui-même qui a appelé le pays entier à venir manifester à Grozny. Mais surtout, comme le relaie Le Figaro, la mobilisation n'avait, semble-t-il, rien de spontané. "Certains Tchétchènes, heurtés par les caricatures de Charlie Hebdo, ont bien dû manifester volontairement, mais la plupart des gens ont dû être obligés de s'y rendre", affirme Aude Merlin, chercheuse spécialiste du Caucase et enseignante au Cevipol à Bruxelles, contactée par francetv info.
Une pratique banale pour le régime qui a, par exemple, l'habitude d'obliger écoliers et fonctionnaires à défiler chaque 5 octobre pour célébrer l'anniversaire du président Kadyrov. "Le pouvoir tchétchène ne perd jamais une occasion de mobiliser la population pour qu'elle lui témoigne son allégeance, estime Aude Merlin, auteure de Tchétchénie : une affaire intérieure ? (Autrement, 2005). Les réfractaires s'exposent à de sévères sanctions."
Au-delà de la célébration du président, il s'agit surtout de donner une leçon géante sur ce qu'est "le bon islam". "Cette manifestation de défense de Mahomet était une occasion en or, pour Kadyrov, de flatter les musulmans, et de couper l'herbe sous le pied du maquis clandestin, composé de jihadistes radicaux qui luttent pour renverser le régime tchétchène", explique Aude Merlin.
L'objectif était également de se mettre dans les pas du grand frère russe, dont Kadyrov est un allié fidèle. La manifestation de Grozny a dû recevoir un accueil favorable du Kremlin, sur fond de conflit ukrainien et de sanctions occidentales contre la Russie. "A Moscou, des personnes ont été arrêtées pour avoir sorti des pancartes "Je Suis Charlie", rappelle Aude Merlin. La manifestation de Grozny s'inscrit dans ce même rejet de la liberté d'expression et des valeurs occidentales."
Au Pakistan, les partis religieux défient le gouvernement
Les premières manifestations hostiles à Charlie Hebdo n'ont pas éclos au Pakistan par hasard. Dès mardi 13 janvier, soit la veille de la publication de la nouvelle caricature de Mahomet, des dizaines de militants islamistes avaient déjà battu le pavé de Peshawar, pour scander le nom des frères Kouachi, les auteurs de l'attaque contre Charlie Hebdo.
<figure id="image_928415"><figcaption>Des islamistes radicaux rendent hommage aux frères Kouachi, les auteurs de l'attaque contre Charlie Hebdo, le 13 janvier 2015 à Peshawar (Pakistan). (MOHAMMAD SAJJAD / AP/ SIPA )</figcaption></figure>
Cette fureur soudaine rappelle les mobilisations monstres contre des attaques visant l'islam venues de l'étranger, notamment la diffusion du navet américain L'Innocence des musulmans en 2012, ou l'autodafé d'exemplaires du Coran par le pasteur Terry Jones en 2011.
L'équipement des manifestants, qui brandissaient cette fois des bâches et des pancartes soigneusement imprimées de slogans hostiles à la France et à Charlie Hebdo, laisse penser que des organisations parfaitement armées pour ce genre de manifestations sont à la manœuvre. Le Jamiat-e-Islami et le Jamiat Ulema, deux des partis islamistes légaux représentés au parlement pakistanais, n'ont pas caché leur participation à cet appel à "sanctionner la France" et à "punir les dessinateurs de Charlie Hebdo".
<figure id="image_928397"><figcaption>Des militants d'un parti religieux pakistanais protestent contre la caricature de Mahomet publiée par Charlie Hebdo, le 17 janvier 2015 à Karachi (Pakistan). (FAREED KHAN / AP/ SIPA)</figcaption></figure>
Dans un pays où le blasphème peut être puni de mort, l'objectif est de se démarquer du gouvernement modéré, qui a, lui, condamné les attentats de Paris. "Ces partis islamistes profitent de la situation pour créer des troubles et dire : 'Regardez, nous défendons ceux qui ont défendu le prophète, alors que le gouvernement les condamne', explique Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris), contacté par francetv info. Mais il ne faut pas donner trop d'importance à ces manifestations de radicaux. On a compté environ 6 000 personnes à Lahore, ou encore 2 000 personnes à Karachi. Il ne faut pas oublier que le Pakistan compte presque 200 millions d'habitants."
Au Niger, l'opposition en embuscade
Les autorités nigériennes n'ont, semble-t-il, rien vu venir. Vendredi 16 et samedi 17 janvier, des manifestations ultraviolentes ont éclaté d'abord à Zinder, ville du sud du pays, puis à Niamey, la capitale. Le bilan de ces protestations, qui ont tourné à l'émeute antifrançaise, est lourd : 10 morts, 173 blessés, des dizaines d'églises et de magasins arborant des marques françaises comme Orange ou le PMU incendiés.
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L'origine de ces violences réside dans deux problématiques. Selon Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique contacté par francetv info, c'est d'abord la conséquence du "sentiment antifrançais" qui couve depuis quelques années au Niger. Notamment à cause de la forte présence militaire de la France, "une présence d'autant plus incomprise que l'aide au développement, elle, n'a cessé de diminuer depuis vingt ans". L'autre facteur serait la progression des idées fondamentalistes dans les régions les plus défavorisées de ce pays voisin du Nigeria, où sévit la secte Boko Haram.
Mais le mouvement antifrançais a indirectement servi une autre cause. Dès le lendemain des violences, des militants de l'ARDR, une alliance de partis d'opposition, ont décidé de maintenir la manifestation qu'ils avaient prévue de longue date, malgré l'interdiction prononcée par les autorités pour des raisons de sécurité. A peine regroupés, ils ont dû faire face aux gaz lacrymogènes des forces de l'ordre, comme le raconte RFI. Dans la foulée, les représentants de l'opposition ont dénoncé une décision prise, selon eux, par le président Mahamadou Issoufou, qualifié de "petit fasciste qui ne pense qu'à lui".
A un an de la prochaine présidentielle, l'occasion était belle de mettre en difficulté le chef de l'Etat. "L'opposition va insister sur le fait qu'Issoufou est un ami personnel, et de longue date, de François Hollande, pour le disqualifier", estime Antoine Glaser. Ou comment surfer sur des questions religieuses pour faire pencher la balance politique.
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