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Alors que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a adopté, vendredi 27 septembre, le premier volet de son cinquième rapport, un texte plus alarmant que sa précédente version de 2007, le climatologue Hervé Le Treut juge ses conclusions "les plus factuelles possibles".
"Il est très important que la communauté scientifique joue son rôle de référent et de référence. Elle est en devoir de dire les choses, d'alerter, mais certainement pas de préconiser des décisions", prévient le directeur de l'Institut Pierre Simon Laplace, a répondu aux questions des internautes sur Le Monde.fr
Lire notre compte-rendu du rapport : Réchauffement climatique : les experts du GIEC durcissent leur diagnostic
Marianne : Quelles sont les principales conclusions du nouveau rapport du GIEC ?
Hervé Le Treut : Le rapport du GIEC confirme les conclusions des rapports précédents et les renforce. A la fois concernant le réchauffement actuel, dont il estime qu'une moitié au moins est de manière quasi certaine liée aux activités humaines ; et concernant les perspectives de réchauffement futur, qui nous font envisager un horizon de plusieurs degrés de réchauffement si nous émettons trop de gaz à effet de serre.
Le réchauffement s'accompagnera aussi d'un relèvement du niveau de la mer qui, selon les émissions de gaz à effet de serre, peut se situer dans une fourchette de 25 cm à 1 mètre en fin de siècle.
Dufour : Quels sont les risques les plus importants du réchauffement climatique en Europe au cours de ce siècle ?
Le risque le plus certain, c'est celui de vagues de chaleur qui pourront être importantes, et, associés à ce réchauffement, des reculs de glaciers, des modifications de l'enneigement en montagne. Par ailleurs, les zones littorales seront sensibles au relèvement du niveau de la mer.
Mais on a aussi beaucoup d'autres conséquences qui sont plus difficiles à déterminer, qui vont des changements hydriques aux impacts sur la végétation ou l'agriculture, ou encore sur la santé. Il y a une part de risques qui sont plus difficiles à préciser à l'échelle régionale, mais qui appellent malgré tout des politiques préventives dès maintenant.
Aurele : Le rapport prévoit-il une fonte totale de la banquise, si oui à quel horizon ?
Les glaces de l'océan Arctique ont déjà commencé à fondre. A la fin de l'été, leur étendue est actuellement de l'ordre de 30 % plus faible que juste après la deuxième guerre mondiale. Cette fonte est appelée à se poursuivre, et selon les scénarios, on peut s'attendre à voir disparaître presque complètement la glace de mer en été d'ici à la fin du siècle.
alcede : Le risque d'emballement du réchauffement lié au relâchement de méthane par le permafrost est-il pris en compte dans le rapport ?
Il s'agit d'un sujet où les évaluations sont encore difficiles. Le méthane reste un sujet dont le caractère important et sensible a été renforcé par l'arrivée des gaz de schiste.
Marie-Jeanne : Quelle importance donnez-vous aux modifications à venir des courants marins ? Quelles conséquences sont les plus à craindre ?
Pour répondre de manière générale, l'océan est en quelque sorte le métronome du système climatique, qui stocke la plus grande part de l'énergie reçue du soleil, et les fluctuations du comportement de l'océan ont toujours un impact très fort. Ces fluctuations ont une importance d'autant plus grande que l'océan est aussi une réserve de biodiversité, de sources alimentaires, et donc c'est un milieu qui est vraiment important pour nous et qu'il faut protéger.
Regarder la carte interactive sur les impacts du réchauffement climatique
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Ousseni : Le phénomène du changement climatique touche-t-il toutes régions du globe de la même manière ?
Le réchauffement touche toutes les régions du globe, mais ses conséquences sont très différenciées selon les régimes climatiques. Elles peuvent être beaucoup plus graves dans la zone intertropicale, en particulier dans les zones où il n'y a qu'une saison des pluies - si la pluie disparaît, les choses deviennent vite dramatiques. Elles sont aussi très fortes dans les régions de montagne, dans les régions polaires et les régions littorales.
Ces différences de sensibilité au climat peuvent affecter les processus de décision politique. Mais toutes les régions du monde sont quand même sensibles au changement climatique, car c'est une perturbation globale de notre économie.
Visiteur : La géo-ingénierie introduite dans le rapport ne risque-t-elle pas de trouver rapidement le soutien aveugle des lobbies de l'industrie et des secteurs émetteurs de gaz à effet de serre ?
C'est un risque à prendre, mais la communauté scientifique dans son ensemble a estimé qu'il était préférable de se confronter de manière précise et de développer un argumentaire tout aussi précis par rapport à des idées qui circulaient sans être sustentées par des faits. La communauté scientifique a repris à son compte l'examen des techniques de géo-ingénierie [dispositifs de manipulation du climat] pour précisément permettre une mise à plat des limites possibles de toutes ses préconisations.
ggbal : Hormis tous les problèmes (encore non résolus) d'extraction du gaz de schiste, cette énergie est-elle sans risque pour l'effet de serre ou au contraire doit on la considérer comme les autres énergies fossiles ?
Le gaz de schiste est le même gaz que le gaz naturel, c'est du méthane, et sa combustion produit du CO2. Simplement, elle en produit un petit peu moins que le charbon et le pétrole. Par contre, un des risques importants associés au gaz de schiste - du point de vue des gaz à effet de serre - est le risque de rejet direct de méthane dans l'atmosphère, le méthane étant un gaz à effet de serre très puissant.
Lire le reportage Pour sa survie, le Vanuatu apprend à s'adapter au changement climatique
JPE : On observe un ralentissement de la hausse de la température moyenne lors de la dernière décennie que les modèles n'avaient pas prévue. Comment interprète-t-on ce phénomène et que prévoit le rapport concernant son évolution ?
On sait que le réchauffement climatique lié aux activités humaines s'accompagne d'un phénomène de variabilité naturelle du climat qui a toujours existé et qui n'est pas supprimé par le réchauffement. Donc il est normal que le réchauffement soit plus ou moins rapide selon les décennies.
La phase actuelle de réchauffement moins rapide semble due à des phénomènes de fluctuation des températures du Pacifique, qui seront peut-être prévisibles, mais ces prévisions sont pour le moment prématurées dans l'état de la science. Et le rapport n'en fait donc pas état.
Brice : Pensez-vous que ce nouveau rapport va faire changer autant les consciences que les politiques des Etats sur le changement climatique ?
Si on regarde depuis une vingtaine d'années, on peut penser que les rapports ont toujours fait progresser les états d'esprit par rapport à ce problème, et j'espère que ce sera le cas pour celui-ci, car c'est une manière de rafraîchir de façon très approfondie le diagnostic sur les évolutions du climat. Maintenant, la prise de décision se heurte à des difficultés qui vont au-delà des problèmes climatiques eux-mêmes.
Régis : Sait-on déjà ce que pensent du rapport les dix principaux pays émetteurs (Etats-Unis, Chine, Russie, Allemagne, etc) ?
Ce sont des pays où il y a beaucoup de gens, qui ne pensent pas tous la même chose... On a une certaine idée de ce que pensent les gouvernements actuels. En tant que climatologue, j'ai des collègues dans presque tous ces pays, et la communauté scientifique a une position qui transcence les problèmes de frontières.
Lire le décryptage Les climato-sceptiques toujours en embuscade
Faustine : Le rapport du GIEC préconise-t-il des mesures à prendre ou tout du moins des directives sur les différents facteurs anthropiques qui perturbent le climat ?
Il ne s'agit que du rapport du groupe 1 du GIEC qui concerne les aspects physiques du changement climatique. Les aspects d'adaptation au changement climatique ou de réduction des gaz à effet de serre seront traités dans les rapports des groupes 2 et 3 au printemps 2014.
Yves : En tant que citoyen et scientifique, que voyez-vous comme vraies mesures possibles, à part les taxes sur les carburants fossiles ?
Il y a beaucoup de mesures possibles. Certaines concernent le choix des filières énergétiques, d'autres qui sont directement en amont du problème de diminution des gaz à effet de serre. Il y a tout ce qui concerne nos infrastructures de transport ; tout ce qui concerne aussi l'habitat. Une partie des changements inévitables est le problème de l'adaptation à des climats plus chauds, et implique toute une série de mesures sur le type de développement urbain ou agricole le plus compatible avec le réchauffement.
Daniel : Je fais partie de ceux qui estiment qu'il faut agir au quotidien. Dès lors, je réduis ma vitesse en voiture et suis rigoureux sur le chauffage de l'habitation, avec des résultats tangibles. C'est dur en famille de faire passer le message, encore pire hors de la cellule familiale. Avez-vous des conseils à ce sujet ?
Visiteur : Le GIEC produit un rapport pour les politiques. Mais à notre échelle que pouvons-nous faire pour qu'il ait une plus grand prise de conscience du danger du réchauffement climatique ?
Je pense qu'il y a effectivement une très longue distance entre l'échelle individuelle et celle des grandes négociations politiques et que probablement un des lieux d'action qui peut être plus près des gens, c'est le contexte municipal, régional, où il y a de nombreuses actions qui peuvent être prises pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre ou s'adapter au réchauffement. Donc je conseille de s'intéresser à ces lieux d'élaboration politique.
Lire les réactions Appels au sursaut et à des actions immédiates à la suite du rapport du GIEC
Marie-Jeanne : Au délà de votre travail de scientifique, vous êtes amené à intervenir dans la presse pour présenter le résultat de vos recherches. Etes-vous parfois tenté d'adopter un langage plus militant face à l'urgence du défi climatique et face à l'apparente indifférence quasi-générale ?
Je crois que face à ce problème il est très important que la communauté scientifique joue son rôle de référent et de référence. Elle est en devoir de dire les choses, d'alerter, mais certainement pas de préconiser des décisions. Cela relève de débats démocratiques, et je pense qu'il faut faire attention à maintenir une séparation entre le diagnostic et la prise de décision citoyenne, militante ou politique, qui doit prendre en compte d'autres facteurs.
Mimi : Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de catastrophisme ?
On a essayé justement d'être le plus factuel possible pour éviter ce reproche. Je pense que le document du GIEC n'est pas non plus catastrophiste. Les conclusions sont les plus factuelles possibles, elles peuvent être au contraire jugées comme trop techniques, mais c'est justement pour essayer de jouer un rôle de référence.
Cinetielle : Sur les réseaux sociaux, bon nombre de citoyens ne croient pas en la qualité scientifique des rapports du GIEC (n'ayant probablement jamais ouvert une page de ces rapports). Les rapports se succédant et se confirmant, quelles seraient les pistes pour rendre cette science et ses résultats compréhensibles et facilement accessibles pour tous ?
Je pense que c'est un travail de fond. Nous sommes nombreux à avoir essayé d'écrire des livres, de faire des conférences. Je crois que cela peut peut se faire dans le domaine de l'éducation publique. En France, il y a effectivement un problème de formation scientifique qui ne prend pas tellement en compte l'étude de la planète dans le cursus scolaire.
Giuseppe : Pourquoi avoir peur d'une hausse des températures ? La terre n'a-t-elle pas déjà connu des périodes bien plus chaudes que celles actuelles ? N'est-ce pas un mouvement naturel de réchauffement et de refroidissement ?
Je ne souhaite pas propager le mot "peur", mais plutôt celui d'anticipation et de meilleure gestion des ressources de la planète. Il s'agit d'avoir une attitude réaliste et constructive. Je pense effectivement que ce n'est pas la peur qui nous fera avancer dans ce dossier.
Raymond : Croyez-vous à la proximité d'une prochaine glaciation au regard des cycles naturels de la planète (tout les 11 000 ans environ)
En fait, les cyclicités sont plus compliquées que cela. On est dans un interglaciaire assez long. Les calculs déjà réalisés n'envisagent pas de glaciation avant quelques milliers d'années.
Cinetielle : La concentration en CO2 augmente, ce qui favorise l'effet de serre. Mais cela favorise également la croissance des organismes phototrophes, la base de notre alimentation. Les rétroactions négatives et positives du changement climatique peuvent-elles être modélisées par les travaux du GIEC ?
Oui, les études de bilan du carbone dans l'atmosphère prennent en compte ces différents effets, et en particulier la capacité des espèces végétales sur le continent à reprendre une partie du CO2 émis dans l'atmosphère.
Raymond : Que peut avoir de bénéfique le changement climatique ?
Il y a, comme dans toute situation de changement, y compris les guerres et les épidémies, des gens qui en bénéficieront certainement. Mais en même temps, je pense que le plus important, c'est que ces changements soient maîtrisés, et ne soient pas porteurs d'injustices graves.