L'agriculture raisonnable passe aussi
par la mer
Créé le 06/07/2013 à 13h47 -- Mis à jour le 06/07/2013 à 19h35
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Un technicien du laboratoire de Goëmar contrôle les effets d'un produit utilisé sur des plantes, le 5 juillet 2013 à Saint-Malo Damien Meyer AFP
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Saint-Malo - Stimuler, protéger, renforcer les plantes. Une petite entreprise de Saint-Malo, sur la côte bretonne, propose aux agriculteurs les algues comme auxiliaire de culture, respectueux de l'environnement, avec un succès grandissant sur tous les continents.
Pour affronter le double défi alimentaire et environnemental du 21e siècle, Goëmar, PME de 70 salariés (et 19 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 60% à l'étranger) fondée en 1971, inaugurait vendredi ses propres laboratoires (Goëmar Phytopolis) en bordure de champ. Ils lui permettront de «multiplier par trois les capacités de recherche», se réjouit son président, Jean-Pierre Princen, «convaincu qu'on n'est qu'au début d'un énorme potentiel».
Goëmar a déjà mis sur le marché en 2002 le premier vaccin pour plantes à base d'algues grâce à une longue laminaire (laminara digitata) dont une molécule, la laminarine, stimule les défenses naturelles face aux agresseurs.
Le Vacciplant, utilisé entre autres sur les céréales, les pommes, les fraises, est homologué dans une dizaine de pays sur huit cultures et contre neuf pathogènes. Il faut recommencer la procédure, longue et coûteuse, pour chaque culture et agents en Europe, quand les Etats-Unis l'utilisent sur l'ensemble des plants, remarque au passage Jean-Pierre Princen.
Cures d'algues
L'entreprise, qui a déposé une dizaine de brevets, s'est spécialisée dans les physio-activateurs qui stimulent les capacités de croissance, de résistance et la qualité de la plante, le bio-contrôle des maladies et des ravageurs et la «nutrition innovante», ou comment «augmenter les rendements et utiliser moins de produits à effets secondaires», résume-t-il.
Dans ses nouvelles installations, Anne Guiboileau, la responsable du laboratoire, couve ses plants de tomates, ses blés et ses colzas auxquels elle inflige les pires sévices. Pour voir comment y remédier.
«On accentue plus que jamais les recherches sur l'algue, mais on élargit», indique la jeune femme qui a passé en revue avec ses équipes 500 plantes pour n'en retenir qu'une ou deux, efficaces et inoffensives, de chaque catégorie -fongicides, pesticides, herbicides et répulsifs.
Des essais sont ainsi en cours contre la septoriose du blé, le mildiou de la vigne ou l'oïdium du concombre.
Les biostimulants qui améliorent les performances naturelles des plantes -«elles absorbent jusqu'à 20% de nutriments naturels en plus», selon M. Princen- ont conquis de nombreux marchés extérieurs, dont la Chine qui en fait un large usage sur ses vergers et potagers. De même que l'Afrique du sud et le Chili sur leurs vignes, l'Amérique et l'Australie sur les céréales, le Brésil sur le soja et le coton... Au total plus de 40 pays en importent et de nouveaux usages sont en préparation sur la canne à sucre et certaines noix notamment.
«L'agriculteur qui l'expérimente constate qu'il fait plus, avec moins de produits. Mais il faut y passer plus de temps» confie l'entrepreneur. Surveiller, scruter, pour agir avec précision et parcimonie.
A 330 km de là, à Viabon (Eure-et-Loir), Pascal Imbault, comme son père avant lui, teste et utilise les algues en traitements de substitutions aux intrants classiques. Depuis plus de 20 ans au coeur de la Beauce, son blé, maïs, colza font des cures d'algues comme on prend des vitamines.
En cette veille de week-end qu'on annonce torride, l'agriculteur évoque un risque d'échaudage -un coup de chaleur qui grillerait les épis. Sans le craindre vraiment, admet-il en caressant les blés encore verts: «Grâce aux apports, la plante est restée plus verte plus longtemps en augmentant sa biomasse (les feuilles). Elle offrira une meilleure résistance à la chaleur» affirme-t-il.
Simultanément, il a réduit les apports d'azote tout en augmentant ses rendements: «quatre quintaux de plus par hectare en maïs».
Mais cet exploitant curieux, adepte d'une agriculture raisonnée, se sent bien seul en Beauce, où la majorité des producteurs et coopératives s'en remettent prioritairement à la chimie conventionnelle. Aucun de ses voisins ne l'a suivi et son fils, en lycée agricole, se voit abreuvé du même enseignement que lui au même âge.
Alerte, remarque Jean-Marie Joubert, directeur de la R&D à Goëmar, pour qui il va bien falloir «motiver le monde agricole», alors que «le continent américain et le Brésil ont déjà pris un avantage considérable» dans ce domaine.
© 2013 AFP