• EXCLUSIF. Affaire Navarro : la chute du dernier frêchiste

    Le Point.fr - Publié le 02/02/2012 à 07:10

    Le parquet de Montpellier vient d'autoriser l'élargissement de l'enquête sur le sénateur de l'Hérault Robert Navarro.

    Robert Navarro, le 25 janvier dernier.

    Robert Navarro, le 25 janvier dernier. © David Crespin / Maxppp

     

    Il était, dit-on, l'homme de main de Georges Frêche. Le premier que le grand timonier du Languedoc-Roussillon appelait quand il fallait monter au créneau, le seul à qui Georges Frêche faisait vraiment confiance.

    Un peu plus d'un an après la mort de celui qui l'a fait, le sénateur Robert Navarro se retrouve pris dans l'étau de la justice. Une juge d'instruction de Montpellier vient de demander sa levée d'immunité parlementaire après avoir mis en examen son épouse, Dominique, pour "abus de confiance". Le couple est, en premier lieu, visé par une plainte du Parti socialiste, déposée en avril dernier.

    Le litige ? Des billets d'avion indûment réglés à Robert Navarro et à ses proches par la fédération héraultaise, entre 2004 et 2008, alors que celui-ci cumulait les postes de premier fédéral et de député européen. Tout comme sa femme qui était, elle, permanente de la fédération et attachée parlementaire de son mari. Parmi les destinations concernées : Paris, Bruxelles, Strasbourg, Prague, Malte, Ljubljana, Marrakech et Budapest. Au total, plus de 70 voyages, pour un montant de près de 100 000 euros. Réglés par la fédération de l'Hérault, les billets auraient été aussi remboursés par le Parlement européen. C'est en tout cas ce qu'indique un rapport de l'Office européen anti-fraude (OLAF). "Demandez à mon mari", a répondu aux enquêteurs Dominique Navarro. Il faut dire que d'autres soupçons pèsent sur Robert Navarro. Comme le révèle Le Point, le parquet de Montpellier a récemment autorisé le magistrat d'instruction à élargir son enquête à d'autres faits présumés délictueux.

    Ordinateurs nettoyés

    En octobre dernier, le PS national avait de nouveau saisi la justice en lui remettant des "pièces complémentaires". Notamment un étrange devis de 4 778 euros effectué par la société Kroll Ontrack, spécialisée dans la récupération de données informatiques : un document daté du 21 juin 2010 et adressé, au nom de Dominique Navarro, au siège de la fédération de l'Hérault. La facture a été réglée rubis sur l'ongle deux jours plus tard, le 23 juin. En clair, la fédération socialiste de l'Hérault soupçonne d'avoir dû payer le fournisseur qui aurait fait disparaître les données informatiques de ses ordinateurs...

    C'est Dominique Navarro qui tenait la comptabilité jusqu'en février 2010, date de la reprise en main de la fédération par Solférino. Selon nos informations, l'épouse du premier fédéral disposait d'un ordinateur sur lequel étaient installés un logiciel de comptabilité générale et un logiciel de paie. C'est madame qui établissait les bulletins de salaire. Quand la nouvelle équipe a repris les manettes, les ordinateurs étaient vides. Plutôt embarrassant.

    Notes de frais

    D'autant que la fédération n'a jamais digéré d'avoir réglé ces dernières années pour 42 000 euros de pizzas au restaurant Les Hockeyeurs. Un établissement géré par un membre de la famille Navarro, par ailleurs militant de la section "hors sol". La section "hors sol", une invention de Robert Navarro ! En théorie, le PS local devait disposer de dix sections, une par canton. Mais Robert Navarro en avait créé une onzième : la section dite "hors sol". "On n'a jamais su vraiment combien elle comptabilisait de membres : 300, 700... Impossible d'en récupérer la liste", souligne un baron socialiste local. L'audit effectué par la nouvelle équipe, et à l'origine de la plainte, révèle que les militants PS de l'Hérault n'étaient pas égaux face au parti. La cotisation "normale" s'élevait à 60 euros, dont 16 euros reversés à Solférino. Or, semble-t-il, certains adhérents ne s'acquittaient que de 18 euros, quand d'autres en versaient 180 ou 300.

    En octobre dernier, selon nos informations, le PS a aussi transmis à la justice d'étranges notes de frais d'équipement et de fourniture de bureau. Au total, plus de 9 000 euros réglés, entre 2004 et 2008, par la fédération à la société Dactyl Buro de Montpellier. En fait, le PS local est soupçonné d'avoir financé l'ensemble du mobilier de Robert Navarro au Parlement européen. Sans compter les factures d'impression et de routage relatives à "l'eurolettre" du député.

    "Âme damnée"

    Est-ce la fin de l'aventure politique de Robert Navarro ? Me Claude Benyoucef, avocat montpelliérain du sénateur, dénonce "un procès stalinien où le seul but est de jeter l'opprobre". Et d'affirmer : "Quand Robert Navarro est arrivé à la fédération, il y a 20 ans, elle était dans le rouge. Quand il en est parti, c'est avec 800 000 euros de trésorerie dans les caisses et l'acquisition d'un bâtiment autofinancé qui sert à tous les militants." Pour l'avocat, le double remboursement des voyages sur le compte de la fédération et du Parlement européen, c'est faux ! La disparition des pièces comptables, c'est encore faux ! Les frais de bouche, ce n'est pas dans la plainte...

    "Robert était l'âme damnée de Georges Frêche, confie, sous le couvert de l'anonymat, un député PS. Il lui devait tout. Frêche l'a instrumentalisé, et Robert s'est laissé griser par le pouvoir, la vie facile. Il n'avait pas le bagage intellectuel et culturel suffisant." Un jugement sévère, à l'image, dit-on, des 21 ans de règne de Robert Navarro à la tête de la fédération PS de l'Hérault. C'est Georges Frêche qui avait donné, en mars 1990, à cet ancien guichetier de la SNCF les rênes du parti local. Robert Navarro s'était fait remarquer quelques années plus tôt en prenant la présidence des foyers ruraux de l'Hérault. Un poste arraché à Ghislaine Saumade, épouse de Gérard, président du conseil général de l'Hérault et ennemi héréditaire de Frêche au PS. Un fait d'armes suffisant pour être adoubé par le député-maire de Montpellier.

    Thénardier

    Robert Navarro a longtemps dirigé la fédération de l'Hérault avec un seul ordre de mission : liquider les saumadiens. Les cartes de 700 à 800 d'entre eux n'ont ainsi jamais été renouvelées. Au sein de la fédération, Robert Navarro se dépensait sans compter, multipliant les réunions, créant des sections dans tout le département. Un travail de fond qui a fait de la fédération socialiste de l'Hérault la quatrième ou cinquième de France. Au passage, le secrétaire général y a glané des noms pas très sympas : "le tueur", le "bourreur d'urnes" ou "le Thénardier"... "Malgré des demandes répétées, je n'ai jamais réussi à obtenir la liste des militants PS de ma circonscription", se souvient un député PS de l'Hérault.

    Robert Navarro est resté fidèle jusqu'au bout à son maître. "Même quand tous les rats ont quitté le navire", selon un de ses proches. "Robert admirait à la fois l'érudition et le côté trivial de Frêche." Cela lui a coûté son exclusion du PS, et peut-être beaucoup plus...

    Contre-attaque

    Depuis sa mise à l'écart du PS, Robert Navarro avait été repêché par François Hollande. Le rival de Martine Aubry avait intégré le sénateur dans son équipe, au cours de la primaire socialiste, comme... spécialiste des transports. Son épouse, elle, avait retrouvé un poste d'attaché parlementaire chez François Rebsamen, président du groupe socialiste au Sénat et ami du couple. Robert Navarro et François Rebsamen étaient tous deux premier fédéral quand Hollande était lui-même premier secrétaire du PS. De quoi créer des liens. Mais la machine judiciaire lancée, François Hollande a pris depuis ses distances.

    Mercredi 25 janvier, lors d'une conférence de presse, Claude Benyoucef, avocat montpelliérain du couple Navarro, a sorti les crocs : "On nous fait croire que l'on découvre aujourd'hui les dysfonctionnements, c'est faux", observe-t-il. Selon lui, "il existe une certification annuelle des comptes qui a été faite et dont Solférino a eu copie". La menace se veut ensuite plus précise : "Les griefs qui figurent dans la plainte concernent d'autres personnes. Certains qui, aujourd'hui, sont à la fédération et ont su mettre dans des assiettes où il y avait des morceaux de pizza." Ambiance...


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