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Fadettes : la contre-attaque de Squarcini
Le Point.fr - Publié le 28/03/2012 à 16:45
Le patron de la DCRI estime avoir agi dans le strict cadre de la loi et demande l'annulation de sa mise en examen.
Bernard Squarcini (à droite avec François Fillon et son directeur de cabinet Jean-Paul Faugère le 28 septembre 2010. © Miguel Medina / AFP
La coïncidence peut troubler, mais elle n'est que le fait du hasard. C'est au lendemain de la tuerie de Toulouse, où l'action de son service a été à la fois saluée et critiquée, que Bernard Squarcini lance sa contre-attaque dans l'affaire des "fadettes". Le directeur du Renseignement intérieur, poursuivi depuis le 17 octobre 2011 pour avoir fait examiner les relevés téléphoniques d'un journaliste du Monde qui écrivait sur l'affaire Bettencourt, demande l'annulation de sa mise en examen. Sa requête, déposée le 26 mars, se fonde sur des documents pour lesquels le chef de la DCRI a obtenu la levée du secret-défense.
Pour dénouer cet imbroglio, il faut se reporter à l'été 2010, quand Le Monde révèle la teneur de l'audition de Patrice de Maistre, le gestionnaire de Liliane Bettencourt, devant la brigade financière. Éric Woerth, alors ministre des Affaires sociales, que l'on dit en piste pour Matignon, y est mis en cause. La rapidité de la "fuite" intrigue au sommet de l'État. Suspectant un conseiller de la chancellerie, Squarcini ordonne une "vérification technique courte et ciblée" sur ce magistrat et sur l'auteur de l'article.
"Intérêts nationaux"
Aucune écoute n'est effectuée, mais les factures détaillées des deux hommes sont examinées. Elles attestent leurs contacts. Le 2 septembre 2011, le chef de la DCRI en informe la justice - "la preuve évidente qu'il estime n'avoir commis aucune infraction", relève son avocat, Me Patrick Maisonneuve. Mais le journal a déposé plainte et les "fadettes" sont devenues le corps des délits reprochés à Squarcini : collecte illicite de données ; atteinte au secret des correspondances ; recel de violation du secret professionnel (des journalistes). Lui affirme avoir agi dans le cadre de sa "mission de protection de l'État" : il soupçonnait, dit-il, la "déstabilisation" d'un ministre important.
Le coeur de son argumentation tient à l'application de la loi de 1991 sur les interceptions téléphoniques. L'article 22 en fixe le cadre et le contrôle par une commission spécialisée, la CNCIS. Mais l'article 20 prévoit une exception si les "intérêts nationaux" paraissent menacés. C'est cette procédure qui a été invoquée à l'été 2010 - et dont la juge Zimmermann, qui a mis en examen Squarcini, conteste l'utilisation.
Cadre
Or les notes déclassifiées établissent qu'au moment des faits le gouvernement et les services validaient bel et bien l'usage de l'article 20. Ainsi, un courrier du directeur de cabinet de François Fillon, Jean-Paul Faugère, rappelait le 17 février 2010 les conditions requises par la CNCIS pour autoriser les demandes adressées aux opérateurs téléphoniques. "Ces dispositions ne concernent pas les prestations demandées dans le cadre de l'article 20", était-il écrit en conclusion.
Le 25 février suivant, le général Claude Baillet, chef du GIC (Groupement interministériel de contrôle, le centre des écoutes d'État), confirmait aux opérateurs que "des informations ou documents" pouvaient être recueillis en vertu du fameux article 20. Interrogé par la juge, le général a précisé que les "fadettes" entraient dans ce cadre, ajoutant même que, si une demande lui était faite en invoquant l'article 20, il n'avait "aucune légitimité à en vérifier le bien-fondé".
Bonne foi
Un autre courrier, signé par Squarcini, conforterait sa bonne foi : adressé le 29 mars 2010 au cabinet du ministre de l'Intérieur, il prouve que la DCRI avait elle-même réclamé une clarification dans l'application de la loi - et qu'elle l'avait obtenue. Le 26 avril suivant, le ministère de l'Intérieur désignait trois policiers habilités à demander "directement à l'opérateur des données d'identification ou de connexion en vertu de l'article 20" - ce qui confirme encore que le gouvernement approuvait l'existence de cette voie d'urgence.
C'est seulement le 13 octobre 2010 que Matignon a mis fin à cette pratique, par une note du cabinet de François Fillon. C'était trop tard pour protéger la source du Monde. Et pour empêcher le casse-tête juridique de dégénérer en scandale politique.
Tags : Justice, Fadettes, contre-attaque, Squarcini
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