Depuis la victoire du 6 mai et la retraite anticipée de Martine Aubry, le PS est en roue libre. Son premier secrétaire intérimaire, Harlem Désir, souffre d’un manque de légitimité qui le rend inaudible. La réunion hebdomadaire du Bureau national ne distrait plus – et encore ! – que les dernières gâchettes du parti. Députés et sénateurs se moquent comme de leur première chemise des ordres de Solférino et s’assoient sans complexes sur leurs promesses d’antan, notamment en matière de cumul. Dans les sections, les reprises de cartes sont poussives et les militants ne se bousculeront pas jeudi 11 octobre lors du vote des motions du congrès de Toulouse. Celui-ci est prévu pour la fin octobre. Qui s’en soucie vraiment ?
Un sénateur socialiste de la Nièvre, Gaëtan Gorce, vient de se découvrir des talents d’humoriste en proposant que ce congrès inutile soit repoussé à des jours meilleurs. Dès lors que les jeux sont faits d’avance et que les places ont été distribuées lors des négociations secrètes qui ont présidé à l’exfiltration de l’ancienne première secrétaire, pourquoi gâcher un week-end qui pourrait être ensoleillé ? Pourquoi déranger ministres et autres éléphants dont l’emploi du temps craque déjà de toute part ? Pourquoi dépenser de l’argent pour une manifestation sans objet? Dans son numéro de dérision, Gaëtan Gorce manque toutefois d’imagination. Il fut un temps où Manuel Valls proposait de changer le nom du PS. De manière plus radicale, n’est-il pas temps de le dissoudre dès lors qu’on constate qu’il ne sert à plus à rien et que nul ne semble s’en émouvoir ?
1981, 1988, 1997 : des congrès à rebondissements
C’est la période qui veut ça, paraît-il. Lorsque ses chefs sont au pouvoir, le PS devient un parti croupion. Plus encore que ses parlementaires, il se doit d’être godillot. Le président décide, le gouvernement applique, les députés et sénateurs votent. Du moins en théorie… Dans ce type de situation, la décision déserte les cercles partisans et le destin du militant n’est plus que d’enregistrer les consignes d’en haut pour essayer, ensuite, de les faire comprendre à ses concitoyens. Il suffit pourtant d’un brin de mémoire pour constater que ce type d’organisation pyramidal n’a pas toujours conduit à la disparition pure et simple du parti. En 1981, 1988 en même 1997, la victoire dans les urnes a provoqué un mouvement d’adhésion qu’on n’observe pas aujourd’hui. Les congrès qui ont suivi ces moments d’euphorie ne furent pas de pure forme ou de simple apparence. C’est le moins qu’on puisse dire.
Valence en 1981 fut le rendez-vous des coupeurs de tête, que la résistance de la droite avait rendus fous furieux. C’est là aussi que les mitterrandistes et leur bras armé de l’époque, Lionel Jospin, s’assurèrent le contrôle exclusif de l'appareil socialiste. Michel Rocard, dont les amis avaient été réduits à la portion congrue, avait alors parlé de "honte historique". Rien de moins ! Rennes, en 1989, fut le théâtre haineux d’une lutte d’influence entre "les fils de Dieu" - entendez Fabius et Jospin – prêts à tout pour s’assurer l’héritage d’un président qui, à peine réélu, découvrait que son règne allait toucher à sa fin. Brest, enfin, en 1997, dans un climat plus apaisé et un besoin de rassemblement imposé par la cohabitation, fut l’occasion d’une double installation : celle du jospinisme triomphant et celle de François Hollande, pour un mandat au long cours à la tête du PS. C’est aussi dans ce congrès que se joua l’acte 1 d’une dissidence promise à un bel avenir et incarnée par Jean-Luc Mélenchon.
Toulouse ou la pâle relève
Même s’il ne faut jamais jurer de rien avec les socialistes, le rendez-vous de Toulouse s’annonce d’un ennui consommé. Dans la lignée des congrès victorieux, on voit mal comment il pourrait laisser une trace durable. S’il doit être un révélateur, ce ne sera ni des contradictions socialistes, ni des débats qui traversent la gauche, ni des ambitions rivales qui animent ses leaders. Toulouse ou l’ère du vide. Derrière ce constat, il y a une question récurrente sur la fonction exacte d’un parti sans projet. La faute aux hommes qui en sont les principales figures ? Peut-être… Dans la lutte de succession de Martine Aubry qui s’est jouée en coulisse et en petit comité, durant l’été dernier, les prétendants au titre étaient tous des seconds couteaux. Ce n’est pas faire injure à Harlem Désir et à Jean-Christophe Cambadélis que de dire qu’ils n’appartenaient pas au cercle restreint des nouveaux éléphants roses. Ni l’un ni l’autre n’avaient derrière eux des troupes militantes capables de leur assurer une véritable autonomie. Ceux qui disposaient soit du talent, soit des forces nécessaires pour ce genre d’exercice, ont préféré se tenir à l’écart. Barré par Martine Aubry, François Rebsamen a jugé que son influence serait plus forte s’il restait à la tête du groupe sénatorial. Quant à Pierre Moscovici, Vincent Peillon et même Manuel Valls, ils avaient fait le calcul, de longue date, qu’un portefeuille ministériel de haut rang satisferait plus que tout autre poste leur nouvelles ambitions.
Ces choix de carrières disent à eux seuls la perte de statut d’un parti qui fut longtemps considéré comme un lieu de pouvoir à nul autre pareil. Entre le poste de premier secrétaire et un maroquin gouvernemental, les grands anciens du parti n’auraient pas hésité un instant. Dans le parcours fléché des éminences socialistes, la case Solférino est longtemps apparue comme le point de passage obligé vers la fonction suprême. Cette époque est désormais révolue. Harlem Désir est sans doute un camarade méritant, doublé d'un apparatchik de fer. Mais il faut une imagination débridée pour l’imaginer, demain, dans le rôle d’un leader politique de première bourre.
La révolution des primaires
Tout cela dit bien plus qu’une baisse de niveau dans le recrutement des élites socialistes. A partir du moment où le PS ne sert plus à grand-chose, doit-on s’étonner de cette situation dont il ne faut pas croire qu’elle est conjoncturelle? La décrépitude du PS vient de loin. Elle est inscrite dans des procédures et des manières d’agir qui paraissent aujourd’hui à ce point évidentes qu’on ne mesure plus guère combien elles ont détruit, au fil des ans, la légitimité partisane. Longtemps, l’une des fonctions du PS fut de sélectionner les candidats chargés de porter ses couleurs. L’invention des primaires dites "citoyennes" a ruiné ce privilège hier réservé aux militants.
Cela a commencé en 2006 avec le choix de Ségolène Royal, comme candidate à la présidence de la République et s‘est poursuivi en 2011 avec la désignation de François Hollande dans un scrutin qui a mobilisé plusieurs millions de sympathisants. Ce genre de primaires serviront demain à départager les têtes de listes aux municipales. On les annonce à Paris. On les voit venir à Marseille. Il n’y a aucune raison pour qu’elles ne servent pas prochainement à la désignation des candidats aux législatives. On peut s’en réjouir mais il ne faut pas s’étonner qu’en contrepartie, la démocratie militante n’y trouve pas son compte. Manuel Valls, à la fin de l’été, a été l’auteur d’une formule amusante : "Notre candidat à l’Elysée a été choisi par trois millions d’électeurs et le successeur d’Aubry par trois personnes". Sans doute regrettait-il alors de ne pas être l’une d’entre elles. Etait-il vraiment conscient de pointer les effets pervers d’une procédure qui, en tout état de cause, laisse dans le fossé le militant socialiste à l’ancienne ?
Dans ce long processus de dessaisissement, celui-ci a d’ailleurs perdu un autre pouvoir : celui d’élaborer le projet que ses leaders, une fois élus, allaient devoir mettre en œuvre. Dans la dernière période, les socialistes ont fixé la ligne de leur parti à l’occasion du congrès de Reims, à l’automne 2008. Puis au printemps 2011, ils ont voté, dans un bel exercice d’unanimité, "un projet" qui devait engager leur candidat à la présidentielle. Or, dès son entrée en lice, en janvier 2012, François Hollande a proposé aux Français un programme en 60 propositions dont on a vite noté qu’il s’écartait – et pas seulement dans le détail – des tables de la loi socialiste. Personne ne s’en est offusqué. Logique des institutions… Avant Hollande, tous les candidats du PS à la présidentielle, de François Mitterrand à Ségolène Royal en passant par Lionel Jospin, avaient revendiqué pareille liberté. Mais faut-il, une fois encore, s’étonner qu’à la longue, ce soit la légitimité même du parti et de ses militants qui restent sur le carreau.
Le PS est nu
Toulouse signe autant une époque que la fin d’un processus de décomposition, lié à de nouvelles formes de démocratie et à des pratiques institutionnelles propre à la Ve République. Faute d’avoir accepté ces évolutions et d’avoir tiré jusqu’au bout les conclusions qui s’imposent, le PS aujourd’hui est nu. Ce constat n’intervient pas par hasard au moment même où il retrouve le chemin du pouvoir. Il se voulait à la fois parti de gouvernement, parti de militant et parti du changement. Il est touché plus que d’autres par cette maladie de langueur parce que son ambition initiale était celle d’une synthèse désormais impossible.
Durant sa traversée du désert, entre 2002 et 2012, il n’a sauvé les apparences qu’en s’abandonnant à des baronnies locales sur lesquelles Solférino n’avait aucune prise et dont on mesure combien elles risquent de souffrir, lors des prochaines élections locales. Il a abandonné le débat idéologique à des cercles et autres fondations, extérieurs à son appareil militants et qui, dans l’exercice du pouvoir, ne sont pas disposés à accepter la moindre perte d’influence. C’est enfin par simple procuration que ses nouvelles figures, toutes membres du gouvernement Ayrault, entendent accroître leurs parts de marché dans un parti qui, au fond, les désespèrent.
A Toulouse, en coulisse, ces éminences roses se disputeront farouchement les postes d’un Conseil national dont elles savent pourtant qu’il compte pour du beurre. La vraie marque de la dissolution du PS, celle qu’on constate sans oser la revendiquer, la voilà donc affichée sans complexe. Hier, on se disputait le parti pour ce qu’il savait faire. Désormais, on se le partage par appartement pour que, durablement, il ne serve plus à rien et que la réalité du pouvoir de demain se règle dans d’autres cercles.