• Fin de partie contrastée pour le 66e Festival de Cannes

    Fin de partie contrastée pour le 66e Festival de Cannes

    Les derniers films en compétition ont été présentés ce samedi,

    avant l’épreuve du palmarès, dimanche soir.

    25/5/13    
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    Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric, à Cannes, lors de la présentation de « La Vénus à la fourr...

    Lionel Cironneau/AP

    Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric, à Cannes, lors de la présentation de « La Vénus à la fourrure », samedi 25 mai.

     

    Ainsi va le rythme de cet événement étonnant que représente le Festival de Cannes. Les dernières heures de la compétition livrent toujours leur lot de bonnes et de mauvaises surprises.

    « La Vénus à la fourrure », le huis-clos vénéneux de Polanski

    Parmi les moments heureux, le nouveau film de Roman Polanski, La Vénus à la fourrure, adapté de la pièce de l’Américain David Ives, lui-même inspiré du fameux livre de Leopold Sacher-Masoch (qui a, indirectement, donné son nom au sado-masochisme).

    Dans un théâtre vide, un dramaturge, à la fois écrivain et metteur en scène, enrage au téléphone. Sa journée est finie, il a auditionné une série d’actrices et il est révulsé par la superficialité de leur jeu, l’indigence de leurs références, leur style infantile pour parler et se présenter, pestant contre l’époque. Il désespère de trouver l’oiseau rare quand se présente une femme, trempée comme une soupe, qui arrive très en retard et se lamente contre le mauvais sort. Attifée en guêpière sous son manteau, collier de chien autour du cou, elle fait assaut de vulgarité, se montre inculte et s’incruste alors que le metteur en scène veut la congédier, sans même tenter un essai avec elle, tant elle semble éloignée du personnage qu’il cherche. Tout en elle horripile cet intellectuel, confronté soudain à la quintessence de tout ce qu’il déteste. On l’attend, il doit partir, il tente de chasser cette intruse.

    Elle se met à pleurer, sans cesser d’être agressive. Par empathie, il lui offre une petite chance pour mieux s’en débarrasser. Soudain, contre toute attente, l’écervelée se révèle fabuleuse actrice qui maîtrise toutes les subtilités du texte et suggère même des intentions que le dramaturge, drapé dans son esprit de supériorité, n’avait ni vu, ni saisi. Arrivée comme une tête de linotte, elle prend, peu à peu, le dessus sur celui qui voulait la « diriger »…

    Pièce sur le rapport dominant-dominé, cette forme de perversion larvée qui préside souvent aux rapports entre metteur en scène et actrice, La Vénus à la fourrure, filmée par Roman Polanski qui filme sa femme (Emmanuelle Seigner), bascule dans une série incessante de retournements dramatiques sur la question du maître et de l’esclave, dans une atmosphère de trouble, d’érotisme, de confusion des époques et de perte des repères. Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric (dont la ressemblance avec Roman Polanski ajoute à la confusion) passent, en permanence, et sans rupture, de leurs personnages « réels » (un dramaturge, une actrice) à ceux de la pièce jusqu’à frôler les limites de la folie.

    Admirablement maîtrisé et jubilatoire sur l’art de la comédie et de ses ambiguïtés, astucieux et vénéneux, La Vénus à la fourrure joue sur la gamme des thèmes chers à Polanski (huis-clos diabolique, domination et manipulation, travestissement, humour, érotisme), avec des renvois inconscients à ses films mythiques (Tess, Le bal des vampires, Le locataire). Mécanique de précision et d’ajustements habiles, sa mise en scène tourne à la mise en abyme, résumée par cette réplique : « Plus il se soumet, plus il la domine. »

    Emmanuelle Seigner est fabuleuse dans les changements de registre, passant dans un même mouvement de la jeune femme vulgaire d’aujourd’hui à l’aristocrate du XVIIIe siècle, jouant de la colère et des exaspérants tics de langage contemporains à la subtilité d’un théâtre qui tend vers le classicisme et la profondeur des situations. Assumant, avec fantaisie, son pouvoir érotique, sa capacité par une pose ou une réplique à faire naître le désir chez son partenaire, tout en le maintenant à distance, pour mieux imposer son pouvoir. Face à elle, Mathieu Amalric est parfait dans le rôle du metteur en scène, sûr de lui qui se décompose au fur et à mesure et se soumet, perturbé par la révélation de cette part intime et trouble que son personnage ne soupçonnait pas en lui.

    Décidément, Roman Polanski ne cesse de se renouveler et confirme qu’il est bien l’un des maîtres du cinéma d’aujourd’hui.

    « Only lovers left alive », les vampires sans éclat de Jim Jarmusch

    De ce point de vue, Jim Jarmusch devra refaire ses classes. Vendredi soir a été présenté, en compétition, Only lovers left alive, film de vampires, entre Détroit et Tanger, autour de la figure d’un musicien, obsédé par les zombies, reclus dans un immeuble déglingué, dans un capharnaüm d’instruments et d’informatique d’un autre âge. Sa femme vit au Maroc. L’un et l’autre se réveillent la nuit, boivent du sang (O négatif). Adam et Eve (mais oui !) constatent qu’ils n’ont plus de place dans le monde contemporain, alors qu’ils ont traversé les siècles, fréquenté Shakespeare, Marlowe, se font appeler Dédalus, Dr Faust ou Watson. Marginaux surdoués, ils ne peuvent survivre qu’avec du sang humain qu’Adam se procure dans un laboratoire, sous un nom d’emprunt. Mais l’époque a tout contaminé, même le sang. Les voilà en grand danger de mourir. Vont-ils disparaître ou renaître ?

    À l’image de ses personnages gothiques, Jim Jarmusch tourne en rond, non sans montrer les ressources mirifiques de son imaginaire baroque, de son esthétique crépusculaire et perpétuellement référentielle. Le spectateur passe de l’indigestion à l’indifférence, avec un pénible sentiment d’ennui. Jarmusch : peut mieux faire.

    « Les manuscrits ne brûlent pas », des bourreaux sans état d’âme en Iran

    Pris dans d’autres contraintes que celles de plaire et de se renouveler, le cinéaste iranien Mohamad Rasoulof, assigné à résidence comme son confrère Jafar Panahi, a fait parvenir, sous le manteau, son nouveau film (sans générique : l’équipe de tournage craint d’être victime de représailles de la part des autorités) : Les manuscrits ne brûlent pas (en compétition à Un certain regard).

    Impressionnant exercice de style sur deux tueurs à gages, chargé de liquider un écrivain qui déplaît au régime, de récupérer son manuscrit et de faire croire à la thèse du suicide. Le spectateur suit les errances de ces deux fonctionnaires du crime, sans état d’âme, pratiquant la torture, sans frémir. Pendant plus de deux heures, nous suivons leur chemin, balisé d’injonctions, et partageons l’angoisse de leurs victimes (plusieurs amis ont caché des copies de ce manuscrit et seront exécutés à leur tour). Froide métaphore de la répression qui s’abat sur les créateurs iraniens, menacés, interdits d’écrire et de bouger, exercée par des hommes de main, sans morale, ni scrupule, ce film est aussi saisissant par la lenteur de ces heures d’attente où les bourreaux font mijoter leurs victimes, avant de passer aveuglément à l’acte. Un film détonant par ses enjeux et ses conditions de tournage dans ce festival glamour où s’étalent le luxe et les paillettes. 

    JEAN-CLAUDE RASPIENGEAS, à Cannes


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