• Fukushima, 2 ans après : j'ai rencontré le dernier habitant de la zone rouge

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    Fukushima, 2 ans après : j'ai rencontré le dernier habitant de la zone rouge

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    <time class="date-post" datetime="2013-03-12T20:52:39" itemprop="dateModified">Modifié le 12-03-2013 à 20h52</time>

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    LE PLUS. Deux ans après la catastophe, Fukushima est encore présent dans les esprits. Si la zone a été évacuée, elle accueille encore un homme, qui a refusé de partir. Seul, il a décidé de rester pour les animaux et pour la terre. Pour que l'homme n'abandonne pas. Antonio Pagnotta est l'auteur de "Le dernier homme de Fukushima" (éd. Don Quichotte), il l'a rencontré.

    Édité par Henri Rouillier  Auteur parrainé par Aude Baron

    Naoto Matsumura, sur le front de mer, alors que les stigmates du tsunami sont toujours bien présents (A.PAGNOTTA).

    Naoto Matsumura, sur le front de mer, alors que les stigmates du tsunami sont toujours bien présents (A.PAGNOTTA).

     

    Au cours de ces deux années durant lesquelles Naoto Matsumura – "Le dernier homme de Fukushima" – a résisté dans la zone interdite autour de la centrale nucléaire japonaise, il a donné, sans qu'il fût besoin de grands discours, des leçons de survie et d'autres de vie. Quand à moi durant mes reportages, j'ai fait moisson d'expériences amères.

     

    Le plus grand danger que tout homme peut être amené à affronter dans la zone évacuée (un demi-cercle de 20 km de rayon autour de la centrale de Daii Ichi de Fukushima), ne sont pas les radiations, mais la zone interdite elle-même. Vidée de ses habitants, parsemée des ossements des animaux morts, avec de rares animaux vivants et les insectes disparus, l'endroit est une mer de silence où les émotions y résonnent comme à l'intérieur d'une chambre acoustique. Ces absences de vies et plus encore de bruits créent un monde aussi nocif que les radiations.

     

    Chagrin mordant

     

    Excepté la tristesse qui nous étreint à la vision des demeures en ruines, du bord de mer avec ses murs éventrés et les jouets abandonnés, dans la zone interdite il ne se passe plus rien de ce qui faisait une société et sa culture. Et les rares individus qui y passent, policiers ou liquidateurs, travaillent en silence, poussés par le respect de la souffrance ou la crainte de la menace invisible. Ce territoire défendu est une zone déshumanisée qui se propage dans la société japonaise toute entière, parfois sous forme de décrets .

     

    Loin des radiations, lorsque je marche dans les rues de Tokyo, je ne vois plus une ville active peuplée d'employés de bureau pressés. Loin de Fukushima, la zone interdite et son silence me possèdent encore au point que je ne vois plus que des rues désertes, des façades d'immeubles en ruines. Ne m'apparaît alors qu'une capitale morte sillonnée par les véhicules militaires et leurs équipages en tenues antiradiations ; une Tokyo devenue fantôme. De la même façon que Primo Lévi était possédé par la vision du pouvoir nu et cru qu'il l'avait observé au plus prés, à Auschwitz, l'horreur furtive et muette de Fukushima m'habite profondément telle une douce apocalypse. Et elle m'obsèdera jusqu’au dernier jour. J'ai touché ce que je n'aurais jamais imaginé possible : le progrès souverain est une illusion et vivre jusque demain n'est jamais certain.

     

    Et partout, le vide

     

    Lors de mes premières incursions, je marchais sans interruption pendant près de 48 heures et lorsque la fatigue était trop forte ou que la tempête faisait rage, je dormais dans une gare désertée de la ligne Joban (la voie ferrée qui longe la cote ouest du Pacifique), en attendant que le soleil se lève et que la pluie cesse de marteler la terre.

     

    Le plus grand risque pour un reporter qui travaille intensivement sur Fukushima n'est pas l'irradiation mais son investissement émotif : à vivre trop près la désolation, elle finit par nous submerger, tel un tsunami intime.

     

    La vision d'une implacable apocalypse devient omniprésente dans la psychè. On vit avec la preuve tangible qu'une fin du monde par catastrophe nucléaire est possible. Le danger est de ne plus jamais sortir mentalement de la zone interdite, lieu sans homme et sans dignité.

     

    Et pourtant l'espoir

     

    C'est pour cette raison que Naoto Matsumura est un monument à l'espoir. Seul sur les 160.000 personnes qui peuplaient la zone évacuée, il est resté sur place en signe de colère et de résistance à l’État et à Tepco, géant du nucléaire. Il est resté debout. Libre dans sa pensée, juste dans ses actions.  

    Son message de compassion envers les animaux s’articule autour du respect de la vie autant que sa connaissance de l'homme : Il nous faut traiter les animaux avec dignité et respect afin que qu'aucun homme ne soit rangé au rang de bête, qu'aucun groupe ne devienne paria.

     

     

    Naoto Matsumura a choisi de rester pour la terre et les animaux, fidèle à son engagement (A.PAGNOTTA).

    Naoto Matsumura a choisi de rester pour la terre et les animaux, fidèle à son engagement (A.PAGNOTTA).

     

    Sa résistance contre Tepco donne aussi une autre indication : lorsqu'une catastrophe nucléaire arrivera en France, ce seront les hommes de plus de 50 ans qui se sacrifieront pour sauver des vies, leur dignité ou l'honneur d'une communauté. Et pour trouver la force de le faire, ils devront en appeler à ce que nous avons de plus profond en nous, de plus fort dans nos mémoires, l'héritage de nos aïeux. Tel Naoto qui puise dans le shinto sa force de résistance, il nous faudra puiser dans notre spiritualité ; qu'elle soit laïque, religieuse ou militaire.

     

    Réhabiliter la terre 

     

    Lors des explosions des réacteurs, des nuages de césiums 134 et 137 ont contaminés  les sols et les habitats dans un rayon de 250 km. Cette pollution atomique rend la terre inexploitable pour l'agriculture et la vie humaine impossible. Les tentatives de dépollution au kärcher ont échoué. Pour faire abaisser le niveau de radioactivité, il faut racler les sols chargés de césiums, couper la végétation, abattre les arbres dont les feuilles ont absorbés les particules radioactives et sur les maisons remplacer les parties métalliques et les sols en béton ; soit environ une facture de 56.000 euros par maison.

     

    Aujourd'hui, après avoir sauvé les animaux de sa ville, le combat de Naoto Matsumura vise à décontaminer sa commune. "Il ne faut pas abandonner notre terre", nous dit-il, car elle constitue notre identité. Pour dépolluer les champs, il utilise ses vaches. Cette solution étonnante a été validée par Masamichi Yamashita, un scientifique qui a longtemps travaillé pour Jaxa, l'agence spatiale japonaise. Selon cet expert dont la spécialité est l'agriculture dans l'espace, les vaches peuvent consommer l'herbe des champs qui ont absorbé le césium sans risques pour leur santé. Le césium est ensuite expulsé dans les bouses qu'il convient de recueillir et traiter par combustion bactérienne pour réduire le volume, puis de les incinérer. Seul problème, la durée de la décontamination par les troupeaux qui peut prendre une décennie ou plus.

     

    La résistance passive et non-violente de Matsumura rappelle celle de Gandhi et sa frugalité lui autorise sa liberté. Pour nous libérer à notre tour de la dépendance énergétique, il nous faut profondément changer notre mode de vie. Mais sa plus grande leçon concerne notre survie : lors d'une catastrophe nucléaire, pour surmonter l'apocalypse et retrouver le lien avec la terre primordiale, il ne faudra que compter que sur nous-mêmes et sur nos vaches pour nous aider


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