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Personne ne l'admettra, tant du côté français que qatari. La ligne officielle veut que la visite du président de la République à Doha, samedi 22 et dimanche 23 juin, soit une étape de plus dans le "partenariat historique" entre les deux pays, noué dès l'indépendance du petit émirat en 1971.
Dans les faits cependant, la venue de François Hollande au Qatar, envisagée puis repoussée à plusieurs reprises depuis le début de l'année, est censée clore le chapitre des controverses, comme celle sur le "fonds banlieue", qui ont distendu la relation bilatérale depuis un an. "Le Qatar a changé de dimension sur la scène internationale, et cela ne s'est pas fait sans quelques polémiques et interrogations, confie une source diplomatique française. Notre souhait est de se placer au-dessus de tout cela et de rappeler le caractère stratégique de la relation."
Après avoir consacré ses deux premiers déplacements dans le golfe Arabo-Persique à l'Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis – une façon de marquer sa différence avec le tropisme qatari très prononcé de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, le chef de l'Etat s'est rangé à la nécessité, en cette période de récession, de raffermir les liens avec l'un des plus gros argentiers de la planète. "Nous ne sommes pas dans une situation où l'on pourrait refuser des investissements étrangers", dit-on dans l'entourage du président, où l'on précise que la France n'est que le quatrième partenaire économique européen du Qatar, loin derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie. "La relation n'est pas à la hauteur de ce que l'on peut attendre, poursuit la source. On peut faire plus et on peut faire mieux."
PASSER OUTRE LE "QATAR BASHING"
A l'évidence, l'impasse en Syrie, un dossier sur lequel Paris et Doha se sont beaucoup investis, justifie aussi, pour l'Elysée, de passer outre le Qatar bashing ("dénigrement du Qatar"), très prisé ces derniers mois sur la scène politico-médiatique. Qu'il s'agisse de ranimer le projet de conférence de paix, dite "Genève 2", qui paraît déjà mort-né, ou bien de mettre en place des filières d'armement à destination des rebelles, François Hollande a tout intérêt à se coordonner avec l'émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani, l'un des chefs de file du monde arabe. "Ce qui nous semble important, c'est de présenter le front le plus uni possible", explique un conseiller du président, suggérant que le Qatar a pu par le passé prendre quelques initiatives intempestives.
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Outre cinq ministres, dont MM. Fabius (affaires étrangères), Valls (intérieur) et Le Drian (défense), la délégation française comprendra de nombreux patrons – une quarantaine, dit-on côté qatari, comme lors du déplacement de janvier aux Emirats. Les regards seront principalement tournés vers Eric Trappier, le PDG de Dassault aviation, qui ne désespère pas de vendre son Rafale à l'une des monarchies du Golfe, et vers Patrick Kron, son homologue d'Alstom, candidat à la construction du tramway de Lusail, l'une des villes nouvelles censées émerger d'ici à la Coupe du monde de football de 2022, dont le Qatar a décroché l'organisation.
LOBBY DES GRANDS PATRONS
Dimanche, après avoir visité le méga-chantier de Bouygues à Doha (neuf gratte-ciel en arc de cercle), le président français ouvrira le forum des hommes d'affaires franco-qataris, une rencontre destinée à devenir annuelle. "Malgré ses réserves à l'encontre du Qatar, Hollande a dû écouter le lobby des grands patrons, estime un bon connaisseur de l'axe Paris-Doha. Dans cette affaire, il s'agit moins de coeur que de raison."
En amont, les services de l'Etat se sont évertués à aplanir le terrain. Objet d'une controverse houleuse, vu par une partie des responsables politiques français comme une ingérence de l'émirat dans un domaine régalien, le projet qui devait amener le Qatar à investir dans les quartiers sensibles de l'Hexagone a été remodelé en un fonds d'aide aux PME, qui sera cofinancé par le Qatar et la Caisse des dépôts et consignation. Son président, Jean-Pierre Jouyet, est du voyage à Doha, à l'occasion duquel ce dispositif sera étrenné.
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Autre affaire qui nuisait à la relation bilatérale : la gestion du lycée Voltaire. A la fin de l'année 2012, les autorités qataries avaient été accusées d'interférer dans le fonctionnement de cet établissement d'enseignement francophone privé, installé à Doha. La Mission laïque française, l'association qui le gérait depuis son ouverture en 2007, avait été débarquée sans ménagement par le président du conseil d'administration, le procureur général du Qatar, Ali Ben Fettais Al-Marri, à qui l'on prêtait diverses tentatives de censure des programmes.
INAUGURATION DU NOUVEAU SITE DU LYCÉE VOLTAIRE
Or, il y a trois semaines, une nouvelle convention a été signée entre celui-ci et le Quai d'Orsay. "Elle précise les points qui n'étaient pas clairs et évacue les risques de polémique", assure-t-on à l'Elysée. Samedi soir, à sa descente d'avion, le président devait inaugurer le nouveau site du lycée, en pleine expansion.
Troisième sujet de friction qui a fait l'objet d'un traitement préventif : le Mali. Dans la foulée de l'intervention militaire française, des sources s'étaient émues d'un possible soutien du Qatar aux groupes islamistes présents dans le nord du pays, par l'entremise d'organisations de charité. Même si Paris a toujours démenti la thèse d'une collusion entre l'émirat et les djihadistes sahéliens, le sujet a cependant été évoqué avec son partenaire de la péninsule Arabique. "La question a été posée et les choses ont été clarifiées dans le sens de l'arrêt d'une relation qui pouvait être interprétée et exploitée de mauvaise manière", affirme un proche du président.
Rien ne dit en revanche si le cas de Zahir Belounis sera évoqué. Défendu par Human Rights Watch, ce footballeur français est retenu de facto prisonnier à Doha, depuis plus d'un an, en raison du litige financier qui l'oppose au club qui l'avait recruté. Comme les dizaines de milliers d'ouvriers asiatiques qui triment sur les chantiers du Mondial, Zahir Belounis est à la merci de son employeur, qui lui demande de retirer sa plainte pour lui rendre son passeport.
DOHA A PRÉVU DE CHOYER SES INVITÉS
Tout à son désir de renouer avec Paris une relation aussi intense que du temps de Nicolas Sarkozy, qui avait fait du Qatar le pivot de sa politique arabe et le complice de "coups" retentissants, Doha a prévu de choyer ses invités. Ainsi, François Hollande et sa compagne, Valérie Trierweiler, devaient dîner samedi soir, en privé, avec le cheikh Hamed et son épouse, la très glamour cheikha Moza, ainsi que deux de leurs enfants, Tamim, le prince héritier, et Mayassa, la responsable des musées du Qatar.
Le lendemain, avant de s'envoler vers la Jordanie, pour un rapide entretien avec le roi Abdallah, le chef de l'Etat devrait visiter le Musée d'art islamique, l'un des joyaux de Doha. Une double attention, destinée à forger un lien personnel entre la famille régnante et l'hôte de l'Elysée.
C'est l'un des non-dits de la relation Paris-Doha, qui explique en partie la relative tiédeur de François Hollande à l'égard du Qatar. Son ancien rival, Nicolas Sarkozy, continue de s'y rendre, à un rythme encore plus soutenu que durant son mandat. Selon une source bien informée, l'ancien président a séjourné au moins quatre fois à Doha depuis sa défaite de mai 2012. Son dernier passage, au cours duquel il a rencontré l'émir, est intervenu pas plus tard que la semaine dernière. Preuve que M. Sarkozy a conservé ses réseaux, ces voyages entretiennent la crainte qu'il ne conduise une sorte de diplomatie parallèle.