• Harcèlement : des femmes en colère

    Harcèlement : des femmes en colère

    Des associations féministes ont déposé samedi une plainte "symbolique" contre le Conseil constitutionnel, qui a abrogé vendredi la loi sur le harcèlement sexuel.

    "On m’a enlevé la possibilité d’être reconnue victime, je ne suis plus rien!" Agrippée au bras de sa mère, Isabelle* tenait à manifester. Samedi, quelque 200 personnes se sont rassemblées à Paris, à proximité du Conseil constitutionnel, à l’appel d’associations féministes. Objectif : se mobiliser contre l’abrogation immédiate de la loi sur le harcèlement sexuel, décidée la veille par les Sages. Car Gérard Ducray, l’ancien député (Républicains indépendants) condamné en appel pour harcèlement sexuel, a obtenu gain de cause. Il avait saisi le Conseil constitutionnel par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), faisant valoir que le Code pénal ne définissait pas clairement le délit reproché. Les membres du Conseil ont estimé que la définition du Code pénal - "le fait de harceler autrui pour obtenir des faveurs de nature sexuelle" - n’était pas suffisamment claire et précise. Ils ont donc rayé l’article incriminé. Du coup, leur décision s’applique immédiatement à toutes les affaires en cours…

    "Un choix politique"

    Place Colette, les associations féministes – qui critiquent, elles aussi, cette loi floue et mal rédigée – s’insurgent contre le caractère immédiat de la décision, qui crée un vide juridique "catastrophique". "En décidant d’abroger la loi sans attendre, le Conseil constitutionnel a fait un choix politique qui doit être considéré comme un affront pour les droits des femmes", s’insurge Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui demandait un délai, le temps d’avoir une nouvelle loi.

    Les victimes accusent le coup. Au micro de la manif, pleuvent leurs réactions écœurées : "L’abrogation de la loi, c’est un véritable permis de chasser" ; "Que vais-je faire maintenant? J’ai tout perdu. Mon harceleur se pavane" ; "Je suis dégoûtée, cela fait cinq ans que je me bats pour rien"… Le cortège s’ébranle en direction du commissariat du 1er arrondissement. Des pancartes émergent : "Il faut que justice soit faite sinon on se fera justice nous mêmes" ; "liberté, égalité, impunité"… Quelques élus socialistes, du Front de gauche ou d’EELV avancent, ceints d’une écharpe tricolore. Isabelle, elle, se confie d’une voix crispée. Alors qu’elle était en plein divorce, fragile, elle a été harcelée par le gérant de la petite société francilienne où elle était assistante commerciale. Il lui répétait qu’elle devait se changer les idées, l’invitait à dîner… Aujourd’hui sans emploi et sous antidépresseurs, elle témoigne : "J’avais réuni toutes les preuves, cela s’annonçait bien. Je tombe plus bas que terre…"

    Selon la chancellerie, la qualification de "harcèlement sexuel" ne donne lieu en moyenne qu’à 80 condamnations par an. En fait, la plupart des plaintes sont classées sans suite. Et beaucoup de victimes hésitent à parler. Ainsi Linda, 32 ans. Alors qu’elle suivait une formation d’ingénieur – deux filles au milieu d’une ribambelle de garçons –, elle a dû subir en permanence insinuations graveleuses et regards braqués sur ses seins… "C’est dur à dire. On sait que c’est parole contre parole. Mais j’étais en train de monter un dossier…"

    Dans la foule, quelques hommes. Marc, un barbu de 56 ans, pense à ses deux filles : "Je veux une loi pour faire peur aux harceleurs. Là, un tas d’ordures vont bénéficier d’un non lieu et recommencer!" Plus loin, une brune s’indigne : "J’ai appris la nouvelle en lisant mon journal dans un café. Il n’y avait que des mecs autour de moi. Ils disaient 'super, on va pouvoir recommencer à draguer!'"

    Quelques instants plus tard, Sophie Péchaud, la présidente de l’AVFT, sort triomphalement du commissariat en brandissant le PV : "On a porté plainte contre le Conseil constitutionnel pour trouble à l’ordre public et mise en danger des victimes de harcèlement sexuel!" Le dépôt symbolique déclenche une salve d’applaudissements.

    Les candidats soumettront un projet de loi au Parlement

    Les deux candidats à la présidentielle, François Hollande et Nicolas Sarkozy, se sont déjà engagés à soumettre au Parlement un projet de loi sur le harcèlement sexuel s’ils sont élus. "Mieux vaut tard que jamais", grince une féministe. Cela fait vingt ans que les associations proposent une réforme législative du harcèlement sexuel pour rendre le droit plus effectif! Prochaine étape donc : se mobiliser auprès des futurs députés pour qu’une nouvelle loi soit adoptée le plus tôt possible.

    D’ici là, la chancellerie devrait donner instruction aux parquets de poursuivre les faits de harcèlement sexuel sur d’autres bases juridiques. L’avocat Claude Katz a déjà contacté ses clientes : "Je vais demander au juge d’instruction de requalifier les faits en harcèlement moral pour l’une. Et proposer une procédure civile afin d’obtenir des dommages et intérêts pour l’autre." Un jeune homme soupire : "On n’a pas tiré les leçons de l’affaire DSK…"
    * Tous les prénoms ont été modifiés.

    Marie Quenet - Le Journal du Dimanche

    dimanche 06 mai 2012

     
    manifestation femmes harcèlement Paru dans leJDD

    Environ 200 personnes ont manifesté samedi, à Paris. (Maxppp)

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