L'hommage frondeur du peuple sud-africain
à Nelson Mandela
Le Monde.fr | <time datetime="2013-12-10T21:07:27+01:00" itemprop="datePublished">10.12.2013 à 21h07</time> • Mis à jour le <time datetime="2013-12-10T21:22:26+01:00" itemprop="dateModified">10.12.2013 à 21h22</time> | Par Sébastien Hervieu (Johannesburg, correspondance) et Benoît Hopquin
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A cinq heures du matin, ce mardi 10 décembre, devant les grilles encore fermées du grand stade de Soweto, ils chantent et dansent déjà. Des petits groupes circulent en cadence, scandent les mêmes mots, simples et entêtants comme un rythme de tambour, les répètent à l'infini jusqu'à ce qu'opère la transe.
Certains attendent depuis la veille au soir, sont restés toute la nuit sous la pluie, drapés dans le drapeau national ou un t-shirt à l'effigie de Mandela. « Il a passé vingt-sept ans en prison pour nous, nous pouvions bien lui sacrifier une nuit, cet homme a tant fait pour nous », explique Andy Mokgabi, 45 ans. « C'est le symbole de l'unité, de la réconciliation et de la tolérance politique », estime Ndomba Tshiendela, 38 ans. Plus loin quatre jeunes, deux Blancs et deux Noirs, attendent également.
« Je voulais en être, célébrer notre héros », dit Marnus Broodryk. « Nous les jeunes, nous nous appelons les 'nés-libres'. Nous avons grandi dans une démocratie, c'est à lui que nous le devons. », poursuit Grant Nash. « J'ai la chance d'être ce que je veux être, rien ne m'est a priori interdit. Mes parents n'ont pas eu cette chance », ajoute Lyburn Geldenhuis.
Mais, en ce jour d'hommage au père de la Nation, les paroles sonnent creux, font un peu catalogue de bonnes intentions, vente à la sauvette de poncifs. Elles ne parviennent pas – ce qui les disent le sentent bien – à capturer la force de leurs émotions et la grandeur du personnage qu'ils sont venus honorer. Alors ils chantent et dansent, pour atteindre à plus de profondeur, plus de magnitude. Ils chantent, Noirs et Blancs à l'unisson, « Mandela Yoh, my president » ou des litanies issues de l'apartheid, racontant les combats de l'ANC ou la vie quotidienne des opprimés.
Le stade se remplit peu à peu au fil de la matinée. Malgré la pluie tenace et des mesures de sécurité dissuasives, ils sont 50 000 dans le gigantesque stade. La foule s'époumone et suit la même chorégraphie. Des groupes circulent dans le gigantesque stade, d'un même pas, en brandissant des portraits de Madiba, le nom tribal de Nelson Mandela, l'embrassent, l'étreignent. Dans cette transe commune, on touche à un moment rare de communion populaire, de catharsis.
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« UN GÉANT DE L'HISTOIRE QUI A MENÉ UNE NATION VERS LA JUSTICE »
Au milieu de cette ferveur, la famille et les officiels s'installent peu à peu dans les tribunes. La veuve, Graça Machel, l'ancienne femme, Winnie Mandela, et toute la descendance du grand homme. Les compagnons de route sont là aussi, visages vieillis, parcheminés qui pendant cinq décades luttèrent pour l'émancipation.
Fréderik de Klerk, dernier président de l'apartheid et son fossoyeur avec Nelson Mandela (les deux hommes ont partagé le prix Nobel de la Paix en 1993) arrive sous les bravos. Dans ce stade, c'est l'Afrique du Sud telle qu'elle se rêve, pas celle des inégalités criantes qui s'étalent à l'extérieur, celle d'une nation réconciliée sous la houlette de son père fondateur aujourd'hui disparu. Cette foule unie dans l'hommage est une manière démonstrative de croire en son avenir.
Tout va au mieux quand débute vers onze heures la cérémonie officielle. Suit alors un interminable, un soporifique protocole. La centaine de délégations étrangères présente est nommée une à une. Les discours s'enchaînent, forcément trop longs, pendant près de cinq heures. Les orateurs maîtrisent mieux l'art du discours que le commun mais ils se cassent à leur tour le nez sur le personnage si complexe de Mandela. Leurs mots ne touchent pas au but. Les immenses photos du mort qui pavoisent l'enceinte le montrent avec ce sourire lumineux mais marqué d'une pointe d'ironie. Le héros semble regarder avec moquerie les personnalités s'emberlificoter dans leur apologie.
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\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Le stade","legende":"Les c\u00e9r\u00e9monies en hommage \u00e0 Nelson Mandela, qui ont eu lieu mardi, ont r\u00e9uni 70 chefs d'Etat, cinq Prix Nobel de la paix et pr\u00e8s de 40 000 personnes venus\u00a0au FNB Stadium \u00e0 Soweto, o\u00f9 l'ancien pr\u00e9sident sud-africain avait tenu son premier discours apr\u00e8s sa lib\u00e9ration<\/p>","source":"AFP\/ODD ANDERSEN","index":0,"position":1,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212.html","isCurrent":false},{"html":"
\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Le discours","legende":"Dans un discours plus \u00e9tendu que le bref temps de parole laiss\u00e9 \u00e0 chaque intervenant, Barack Obama a salu\u00e9 un \u00ab\u00a0g\u00e9ant de la justice\u00a0\u00bb<\/i>, estimant que trop de dirigeants dans le monde se disaient solidaires de son combat pour la libert\u00e9 mais ne tol\u00e9raient pas la moindre opposition de leur propre peuple.<\/p>","source":"AFP\/BRENDAN SMIALOWSKI","index":1,"position":2,"total_count":11,"item_lie":{"titre":"Obama salue Mandela, \u00ab un g\u00e9ant de l'histoire \u00bb","link":"\/afrique\/video\/2013\/12\/10\/obama-salue-mandela-un-geant-de-l-histoire_3528614_3212.html"},"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_1.html","isCurrent":true},{"html":"\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"La poign\u00e9e de main","legende":"
Autre image forte de cette c\u00e9r\u00e9monie : la poign\u00e9e de main historique \u00e9chang\u00e9e par Obama et le dirigeant cubain, Raul Castro. Les m\u00e9dias officiels cubains ont \u00e9voqu\u00e9 un \u00ab geste d'espoir\u00a0\u00bb.\u00a0Cette poign\u00e9e de main \u00ab\u00a0n'\u00e9tait pas programm\u00e9e \u00bb<\/i>, a assur\u00e9 un responsable de la Maison Blanche. Washington a rompu ses relations diplomatiques avec La Havane en 1961, puis a d\u00e9cr\u00e9t\u00e9 un embargo en 1962. Si Bill Clinton avait \u00e9galement serr\u00e9 la main de Fidel Castro en 2000, il s'agit du premier rapprochement public entre les deux nations.
<\/b><\/p>","source":"REUTERS\/REUTERS TV","index":2,"position":3,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_2.html","isCurrent":false},{"html":"\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Le c\u00f4t\u00e9 \u00e0 c\u00f4te","legende":"
La France \u00e9tait repr\u00e9sent\u00e9e par Fran\u00e7ois Hollande et Nicolas Sarkozy, qui ont fait vol \u00e0 part pour rejoindre Johannesburg, et ont \u00e9chang\u00e9 quelques mots dans les tribunes avant de quitter la c\u00e9r\u00e9monie avant la fin.<\/p>","source":"AP\/Peter Dejong","index":3,"position":4,"total_count":11,"item_lie":{"titre":"Comment Hollande a convi\u00e9 Sarkozy aux fun\u00e9railles de Mandela","link":"http:\/\/ump.blog.lemonde.fr\/2013\/12\/09\/comment-hollande-a-convie-sarkozy-aux-funerailles-de-mandela\/"},"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_3.html","isCurrent":false},{"html":"
\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Le co-vainqueur","legende":"Parmi les autres invit\u00e9s de marque de cette c\u00e9r\u00e9monie, figurent l'ancien pr\u00e9sident sud-africain Frederik Willem de Klerk et son \u00e9pouse, Elita. Le prix Nobel de la paix avait \u00e9t\u00e9 remis conjointement \u00e0 Nelson Mandela et \u00e0 de Klerk en 1993.<\/p>","source":"AP\/Ben Curtis","index":4,"position":5,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_4.html","isCurrent":false},{"html":"
\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"La pluie","legende":"La pluie s'est \u00e9galement invit\u00e9e \u00e0 la c\u00e9r\u00e9monie, ce que beaucoup de Sud-Africains saluaient comme une \u00ab\u00a0b\u00e9n\u00e9diction divine\u00a0\u00bb<\/i>.<\/p>","source":"AP\/Tsvangirayi Mukwazhi","index":5,"position":6,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_5.html","isCurrent":false},{"html":"\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Les vuvuzelas","legende":"
Beaucoup de Sud-Africains avaient profit\u00e9 de l'occasion pour ressortir leur vuvuzela, symbole du Mondial 2010, dans ce stade o\u00f9 Nelson Mandela avait fait sa derni\u00e8re apparition en public.<\/p>","source":"REUTERS\/RONEN ZVULUN","index":6,"position":7,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_6.html","isCurrent":false},{"html":"
\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"La famille","legende":"La veuve de Nelson Mandela, Graca Machel, ainsi que son ex-femme, Winnie, \u00e9taient toutes deux pr\u00e9sentes \u00e0 la c\u00e9r\u00e9monie.<\/p>","source":"AP\/Matt Dunham","index":7,"position":8,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_7.html","isCurrent":false},{"html":"
\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Les hu\u00e9es","legende":"Enfin, l'actuel pr\u00e9sident sud-africain a re\u00e7u un accueil mitig\u00e9. La fanfare pr\u00e9sente dans les tribunes a d\u00fb en effet entamer un morceau de musique pour faire taire les hu\u00e9es avant que le pr\u00e9sident sud-africain, d\u00e9j\u00e0 siffl\u00e9 \u00e0 son arriv\u00e9e au stade, ne puisse prendre la parole. Une partie du public a commenc\u00e9 \u00e0 quitter le stade de Soweto au d\u00e9but de son discours.
<\/b><\/p>","source":"REUTERS\/SIPHIWE SIBEKO","index":8,"position":9,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_8.html","isCurrent":false},{"html":"\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"La pri\u00e8re","legende":"
Dernier \u00e0 prendre la parole lors de cette c\u00e9r\u00e9monie, l'ancien archev\u00eaque anglican Desmond Tutu a r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9tendre l'atmosph\u00e8re dans une intervention impr\u00e9vue m\u00ealant pitreries et pri\u00e8res. \u00ab\u00a0Je ne vous donnerai pas ma b\u00e9n\u00e9diction avant que vous tous soyez silencieux. Soyez disciplin\u00e9s (...), je veux entendre un stylo tomber\u00a0\u00bb<\/i>, a-t-il cri\u00e9, r\u00e9ussissant \u00e0 obtenir un silence total dans un stade Soccer City d\u00e9j\u00e0 largement d\u00e9sert\u00e9, apr\u00e8s quatre heures d'une c\u00e9r\u00e9monie plut\u00f4t ennuyeuse sous une pluie battante.
\u00ab\u00a0Je veux voir le monde c\u00e9l\u00e9brer la vie d'une ic\u00f4ne extraordinaire\u00a0\u00bb<\/i>, a-t-il lanc\u00e9, avant de prier dans plusieurs langues sud-africaines.<\/p>","source":"AP\/Matt Dunham","index":9,"position":10,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_9.html","isCurrent":false},{"html":"\r\n\r\n\r\n\r\n<\/li>","titre":"Le \"selfie\"","legende":"
On n'est pas tous les jours assise entre Barack Obama et David Cameron, a d\u00fb penser Helle Thorning-Schmidt, \u00e0 la t\u00eate du gouvernement danois depuis octobre 2011. Cette derni\u00e8re a donc d\u00e9cid\u00e9 de sacrifier \u00e0 la mode du \u00ab\u00a0selfie\u00a0\u00bb<\/a> (qui n'a pas \u00e9t\u00e9 rendu public pour le moment).<\/p>","source":"AFP\/ROBERTO SCHMIDT","index":10,"position":11,"total_count":11,"item_lie":null,"link":"\/afrique\/portfolio\/2013\/12\/10\/en-images-la-ceremonie-d-hommage-a-nelson-mandela_3528253_3212_10.html","isCurrent":false}],
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Follement acclamé par la foule dès qu'il est apparu sur les écrans géants, Barack Obama s'en sort le mieux, par son charisme et son art de l'esquive. « Il est difficile de faire l'éloge de n'importe quel homme mais c'est encore plus difficile pour un géant de l'histoire qui a mené une Nation vers la justice. » Plus loin: « L'exemple de Madiba me donne envie d'être un homme meilleur. Il s'adresse à ce qu'il y a de meilleur en nous. »
Puis vient la comparaison avec les pères fondateurs des Etats-Unis et les militants des droits civiques. « Michelle et moi sommes les bénéficiaires de cette lutte. » Les mots de Ban Ki-Moon trouvent aussi un accueil chaleureux dans le public. « L'Afrique du Sud a perdu un héros, un père. Le monde a perdu un ami, un mentor, explique le secrétaire général des Nations-Unies. Mandela était l'un des plus grands enseignants de ce monde. Il était prêt à tout donner pour la liberté et la justice. Il a fait preuve de grandeur. C'est un véritable cadeau qu'il nous a laissé. »
JACOB ZUMA HUÉ
Elégants ou laborieux, les discours s'enchaînent, de personnalités sud-africaines ou étrangères. Dilma Roussef, présidente de la République du Brésil, le vice-président chinois Li Yuanchao, le président indien Pranab Mukherjee, sont tour à tour invités à la tribune. L'hommage tourne à une séance de l'ONU, la bonté en plus. Le président cubain Raul Castro clôture la liste internationale, ajoutant une vertu à celles déjà ressassées de Mandela : « révolutionnaire ». Révolutionnaire comme cette poignée de main entre lui et Barack Obama à la tribune. Un signe d'ouverture du président américain aussitôt remarqué par tous les spécialistes.
Mais le public, lui, a décroché depuis belle lurette. Il n'écoute plus, fatigué de jouer les utilités. Il se remet à chanter et à danser, jusque dans le dos des orateurs. Cet arrière-plan fait désordre à l'image et oblige les services de sécurité à dégager le champ des caméras. L'assistance hue également Jacob Zuma, le président de la république Sud-africaine, à qui sont reprochées des faits de corruption. Il est, à tort ou à raison, devenu porteur de toutes les dérives affairistes qui ont gangrené le pouvoir Sud-africain.
Le maître de cérémonie tente d'intervenir, appelle à plus de retenue. Il demande même que cesse les chants et les danses. En vain. En fin d'après-midi, quand ils quittent le stade, les Sud-africains chantent et dansent encore pour leur grand homme.
Et c'est ainsi que, ce 10 décembre, à Soweto, Nelson Mandela a reçu deux hommages. Celui, respectueux et plutôt guindé des officiels de son pays et du monde entier. Et celui, frondeur, de son peuple. Vivant, on ne sait lequel il aurait le plus goûté.
On ne le sait.
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Le stade
Les cérémonies en hommage à Nelson Mandela, qui ont eu lieu mardi, ont réuni 70 chefs d'Etat, cinq Prix Nobel de la paix et près de 40 000 personnes venus au FNB Stadium à Soweto, où l'ancien président sud-africain avait tenu son premier discours après sa libération
Crédits : AFP/ODD ANDERSEN
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Benoît Hopquin
Journaliste au Monde