Petit lifting pour « Ginette », l’hyper prépa versaillaise
Samedi 12 et dimanche 13 octobre, Ginette organise les premières journées portes ouvertes (inscriptions sur le site) de son histoire. Plongée au cœur d’une des meilleures prépa de France mais aussi d’un univers en pleine mutation.
"Ginette" conserve son air bourgeois, mais cette année, elle opte pour le lifting. Après 159 d’existence, dont un siècle à Versailles, la vieille institution Sainte Geneviève, qui depuis des années prépare d'excellents élèves aux concours des écoles d'ingénieurs et de management, change de visage. L’excellence académique du lieu ne bouge pas d’un iota. L’esprit de la vieille maison jésuite continue à souffler sur les arbres plusieurs fois centenaires des 7 hectares du parc. Ce qui change, c’est le public.
Cette école pour fils de bonnes familles est en train de vivre une petite révolution. Depuis deux ans, elle réserve chaque année trente places à des étudiants moins favorisés. « Ce sont des places internat d’excellence. Même si le terme n’a plus cours, il dit bien que nous souhaitons faire. Nous offrons la scolarité à des jeunes qui vivent loin des centres universitaires et sont boursiers. Cette année sur 80 dossiers reçus nous en avons accueillis 26 », explique le directeur Jean-Noël Dargnies.
Un internat d'excellence
Depuis son arrivée en 2010 l’ouverture de l’établissement s’accélère. La prestigieuse Ginette continue à faire payer cher les familles qui le peuvent, mais a intégré le concept de gratuité. L'école, dont une année est facturée jusqu'à 17 000 euros pour ceux qui gagnent plus de 10 000 euros mensuels et 5700 pour les familles à 2000 euros de revenus, offre la scolarité à une soixantaine de jeunes. Mieux, elle leur octroie en plus 300 euros d’argent de poche annuels. « Il s’agit qu’ils se sentent bien, qu’ils puissent comme les autres aller une fois au restaurant ou boire un café sans se dire qu’ils dépensent un argent précieux pour leur famille et que personne ne sache qui dans le groupe est concerné », rappelle Jean-Noël Dargnies. Et c’est sa fierté.
L’argument de cet ancien cadre supérieur, un Centralien, qui a mené trente ans de sa vie professionnelle chez Pechiney est que « ces jeunes d’horizons différents sont une richesse pour l’école ». Comme la nouvelle option qu’il a ouverte. Une approche plus industrielle qui amène sur les lieux un autre profil d'adolescents.
Jean-Noël Dargnies est comme ça. Un homme de conviction qui avait envie de terminer sa carrière ailleurs que dans l’industrie, un homme qui a des valeurs et un ancien élève. Sur ce sujet de l’ouverture sociale, il est plus bavard que sur ses résultats aux concours. Son souvenir le plus émouvant c'est le jour où une jeune fille du recrutement internat d'excellence à qui il demandait comme se passait son intégration, lui répond un laconique «mes enfants ne connaîtront jamais ça».... Une phrase qui dit tout du chemin de souffrance parcouru par la jeune femme, même si elle était heureuse d'être là.
Un quart de la promo 2013 de polytechnique
Ses histoires d'élèves lui parlent. Ses résultats aux concours le gênent. Pas en soi, car il ne renie en rien le culte de l’excellence, du travail bien fait et de l’effort. Simplement, Jean-Noël Dargnies, a une crainte. « Si je vous dis combien ont intégré Polytechnique cet été, vous allez réduire notre école à cette donnée », lance-t-il. Or cette réduction il n’en veut pas, n’en veut plus. N’empêche l’école a battu son record. 92 étudiants ont réussi le concours de Polytechnique cette année. A elle seule « Ginette » remplit quasiment un quart de la promotion 2013 de l’X. Et ça ne s’arrête pas là, 41 vont à Centrale, 35 à HEC, 12 à l'ESCP, 17 à l'Essec, 12 en écoles vétérinaire et 18 à Agro... Sur une promotion de 400, peu d’autres institutions rivalisent.
Ces résultats additionnés d’une bonne dose de culture du secret ont transformé la vieille versaillaise en une proie de choix pour la caricature. Et la rumeur suit… Lors des concours, il se raconte que les élèves de Ginette souhaitent « bon courage » aux autres ; preuve insidieuse de leur supériorité. Dans l’enseignement public on balaie d’un revers de main cette prépa pour gosses de riches qui sur sélectionne à l’entrée; une boite à concours jésuite. Une école où la pression atteint des sommets…
Ceux qui sont passé par là ont un autre discours. Et ils sont 20 000. Des patrons ou ex-patrons, comme Philippe Varin, Louis Gallois, le neuroscientifique Stanislas Dehaene ou à l'écrivain Philippe Sollers. Et vous savez ce qu'est le plaisir suprême des membres de l’association des anciens? Diner dans le réfectoire de l'école après avoir écouté la conférence de l'un d'entre eux. Ca ne s'invente pas. L'eau du broc laisse un souvenir impérissable pour qui l'a connu midi et soir... L’ex ministre Valérie Pécresse, se souvient de son passage comme d’un moment fort de sa scolarité. « Ca a été les deux années les plus marquante pour moi. Si je fais de la politique aujourd’hui, c’est aussi parce qu’à ce moment là on m’a aidée à réfléchir au sens que je voulais donner à ma vie. Et puis on était soudés par l’internat. Mes meilleures ami(e)s datent de cette époque et sont les parrains ou les marraines de mes enfants ». De ces années-là la députée des Yvelines a conservé le bon souvenir des frites à volonté une fois par semaine, de la boum sauvage dans les couloirs entre le dîner et l’étude et des parties de cartes endiablées. « J’y ai appris tous les jeux, belotte, bridge ou tarot », se souvient-elle. Le vrai mauvais moment c’était le dimanche soir. Le retour au pensionnat… « on avait pris l’habitude d’aller manger une crêpe dehors ensemble, ça égayait un peu le retour… et encore quand on était partis ». A Ginette, les semaines se terminent le samedi vers 17 heures avec le devoir sur table. Les jours ouvrables, la fin des cours sonne à 15 heures et le jeudi après-midi est entièrement dévolu au sport ou aux activités sociales comme le soutien scolaire ou la visite en maison de retraite.
"Une prépa pour la vie"
Basile Ruault connaît comme toutes les générations de préparationnaires, le spleen des dimanches soirs. Il y a tout juste un an, il débarquait de son Anjou natal comme la grosse moitié des promotions directement venues de province. Depuis c'est devenu sa maison, un peu « une prépa pour la vie ». «J'ai rencontré ici ceux qui sont devenus mes meilleurs amis. On travaille ensemble, on fait du sport ensemble. Cet été on est parti à 17 de la classe en vacances à l'Ile d'Yeu. Et à la rentrée j'étais heureux de les retrouver». Cette année il est seul dans sa chambre. L'an dernier comme tous les 1ères années, il partageait sa chambre avec un garçon de sa classe, a changé plusieurs fois de colocataire dans l'année. « On étudie à deux. On a des salles aussi pour travailler en trinôme, un groupe de trois qui mixe les niveaux pour qu'on s'aide les uns les autres. Cette année je vais continuer les maths avec mon trinôme de l’an dernier», ajoute Basile. Son rêve est de devenir vétérinaire. «Ici les résultats aux concours sont bons. Mais mes débuts en première année n'ont pas été faciles parce que les Parisiens sont arrivés avec une longueur d'avance. Ils avaient commencé en terminale le programme de prépa. Il a fallu s'accrocher mais la solidarité est tellement forte qu'on est pris dans une dynamique qui fait avancer».
La dynamique, il faut juste être capable de s'inscrire dedans. Le recrutement est fait dans cette optique. Sur les 3000 dossiers reçus chaque année, seuls 400 passent le filtre. La sélection est faite par trois personnes dont des enseignants et le directeur. Les notes sont épluchées « toujours avec la question du potentiel. Tous les excellents élèves de terminales ne seront pas bien en prépa, c'est une alchimie subtile », rapporte le proviseur. S'y ajoute l'étude de la lettre de motivation. Chez Ginette, on sélectionne « des jeunes qui ont envie de collectif. Le très bon élève qui a envie de travailler seul dans son coin n'est pas fait pour notre établissement », ajoute M. Dargnies. Les résultats aux concours montrent qu'il y a peu d'erreurs. Les exclusions de fin de première année sont rares. Pourtant, Jean-Noël Dargnies déplore que « tous les ans, un ou deux jeunes doive rentrer se reposer une semaine ou deux chez eux ». En traduction cela signifie qu'il craque. « En général ces jeunes ont déjà connu des épisodes de fragilité au lycée. Souvent les parents ne le disent pas à l'inscription, mais nous préviennent le jour de la rentrée. J'essaie alors de les convaincre que leur enfant ne s'épanouira pas chez nous, que la pression sera trop forte. Faire une prépa n'est pas incontournable pour faire de bonnes études et encore moins pour réussir sa vie. Les passerelles se multiplient aujourd'hui. Il faut que chaque jeune soit à sa place sans forcer les choses », rappelle-t-il. Un philosophie de la vie que l’école française oublie parfois un peu.
Maryline Baumard