Les partisans de Mohamed Morsi défilent cet après-midi contre ce qu'ils estiment être un coup d'État, rencontre avec trois supporteurs du président déchu.
> Ahmed, 28 ans, avocat : "On risque de revenir à une dictature militaire"
Ahmed fait partie de ces simples citoyens, plus nombreux qu'on le dit, qui soutiennent Mohamed Morsi sans être islamistes. En 2 ans, cet avocat de 28 ans a totalement changé son fusil d'épaule. Lui qui se définit comme libéral et révolutionnaire, et qui, en janvier 2011, rêvait de voir Mohamed ElBaradeï à la tête de l'État, défend aujourd'hui "la légitimité et la démocratie contre la dictature militaire et le retour de l'ancien régime". Ahmed n'a pourtant pas voté pour le candidat des Frères Musulmans, ni au premier ni au second tour des élections présidentielles : "J'ai convaincu mes amis et ma famille qu'il était important de voter pour Morsi au second tour pour ne pas laisser gagner Ahmed Chafik et l'ancien régime mais je n'ai pas réussi à voter pour un islamiste."
En première ligne lors des manifestations contre le Conseil suprême des forces armées, pendant les affrontements de Mohammed Mahmoud en novembre 2011, Ahmed ne se reconnaît pas dans les manifestations qui ont contribué à renverser le président : "Il y a des gens qui sont sincères dans leur démarche mais beaucoup d'entre eux ont défilé par simple haine des islamistes ou nostalgie de Moubarak". Selon Ahmed, "même si Mohammed Morsi a commis beaucoup d'erreurs, la priorité était de tourner la page de l'ancien régime qui continue de contrôler ce pays." "Pour la première fois, l'Egypte avait un président élu, aujourd'hui on risque de revenir à une dictature militaire" assure-t-il, n'accordant aucun confiance à l'armée qui, à ses yeux, à trop d'intérêts à défendre.
> Karim, militant de la Gamaa Islamyia : "Notre foi nous rend plus forts"
Epaisse barbe noire et sourcils broussailleux, un corps massif qui déborde de partout dans sa gallabeya, et un gourdin noir à ses pieds, Karim a de quoi effrayer. Âgé d'une quarantaine d'années, ce militant de la Gamaa Islamyia (mouvement islamiste radical) parle pourtant avec une voix très douce. Bien plus douce que ses propos : "Ce qu'ont fait les militaires, c'est une déclaration de guerre. S'ils ne veulent pas accepter le choix du peuple dans les urnes, nous allons faire notre révolution islamique." Karim n'est pas impressionné par le nombre de manifestants du camp d'en face : "Ce sont des gens qui ont été payés pour manifester, nous sommes nous aussi des millions et notre foi nous rend plus forts. Nous vaincrons les ennemis de l'Islam et nous n'avons pas peur de mourir en martyrs", assène-t-il avec une rhétorique belliqueuse.
Djihadiste en Afghanistan à 20 ans puis prisonnier en Egypte où il dit avoir été torturé, il n'est sorti qu'après la révolution égyptienne, avec la conviction que quelque chose avait changé dans le pays : " on a eu l'espoir que la révolution amène la liberté mais c'est toujours les services secrets qui dirigent ce pays, en complicité avec les américains. En Égypte, si tu as une barbe, tu es considéré comme quelqu'un de dangereux et tout le monde trouve normal qu'on t'envoie en prison. "Pour Karim, les principaux responsables de la contre-révolution sont les médias, qu'il dit acquis à l'ancien régime et qu'il accuse de propagande anti-islamiste. S'il a soutenu Mohamed Morsi jusqu'au bout, le militant islamiste considère néanmoins que le président déchu n'est pas exempt de responsabilité : "Morsi a été trop faible. Il n'a pas arrêté de faire des compromis, il aurait du être ferme et faire plus de choses pour renforcer la loi islamique (charia)."
> Farouk, 37 ans, comptable : "Les Egyptiens vont comprendre qu'ils ont été manipulés"
Farouk, 37 ans, est originaire de Mansoura dans le delta du Nil. Ce comptable est aussi militant du parti Liberté et Justice, branche politique de la confrérie des Frères musulmans. Il vient de passer une semaine entière à Raba'a, dans le campement des pro-Morsi. Jusqu'au bout, il a cru que le Président resterait en poste : "Je ne croyais pas au coup d'Etat, je pensais que l'Egypte était enfin devenu une démocratie. Je ne comprends pas pourquoi Barack Obama a laissé faire ça." Dans toutes les phrases de Farouk, deux mots reviennent avec insistance : "démocratie" et "légitimité". "Dans tous les pays occidentaux, il y a des divisions entre les gens. C'est normal et c'est même une bonne chose. Pourquoi en Egypte, ça se transforme en coup d'État ?"
Il considère que si Mohamed Morsi a peut-être fait des erreurs, il a surtout été empêché de gouverner par l'ancien régime encore en place. "Comment voulez-vous qu'il gouverne un pays où la police n'obéit pas aux ordres et où des hauts responsables proches de l'ancien régime provoquent des coupures d'eau et d'électricité ?" Mais Farouk garde confiance, il se dit certain que la vérité éclatera : "Les Egyptiens ne sont pas bêtes, ils vont comprendre qu'ils ont été manipulés par l'armée et les hommes de Moubarak et ils verront que ce coup d'État était prévu depuis longtemps." Et s'il ne veut pas entendre parler de nouvelles élections prévues par la feuille de route des militaires, et qui seront, selon lui, "nécessairement truquées", il croit ferme en une seconde révolution.
Pour l'heure, il entend se mobiliser : "On va faire des grèves et des sit-in mais en restant pacifique." Exclut-il totalement le recours a l'action violente ? "Il est trop tôt pour répondre mais je sais que beaucoup de gens autour de moi ont été profondément déçus et ne croient plus en la démocratie. Il est parfois difficile de contrôler la colère des gens."
Marwan Chahine - Le Nouvel Observateur