-
Julien, 13 ans, 146 de QI et sept ans de calvaire à l'école
Julien, 13 ans, 146 de QI et sept ans de calvaire à l'école
Un tiers des enfants précoces seraient en grande souffrance scolaire (Photo Damien Meyer. AFP)La semaine dernière, l'Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) lançait un «pacte national contre l'échec scolaire», dénonçant un système français élitiste qui délaisse les moins bons. Mais il est aussi peu adapté pour les enfants intellectuellement précoces. Un tiers d'entre eux seraient en grande souffrance scolaire, allant parfois jusqu'au décrochage. Julien, 13 ans, a dû attendre des années avant d'être reconnu comme précoce.
«Avant, l'école c'était ...» Julien peine à trouver ses mots. Le garçon ne manque pas de vocabulaire. Bien au contraire. Enfant précoce, il s'exprime particulièrement bien pour ses 13 ans. Mais ce qu'il a vécu est difficile à décrire. «Quand je leur parle, ils ne me comprennent pas», disait-il à sa mère dès la maternelle à propos des autres élèves. Bénédicte Grimoux sentait que son fils était en avance : «A 2 ans, il parlait quasi couramment, en employant même le subjonctif.» Le décalage est encore plus frappant concernant ses centres d'intérêts. En maternelle, Julien préférait parler Egypte ancienne plutôt que dessins animés.
«Votre fils est idiot.» Cette phrase, Bénédicte Grimoux l'a souvent entendue. La première fois, c'était de la bouche de l'institutrice de petite section. Julien refuse de se plier à plusieurs exercices. Il n'en comprend pas l'intérêt ou la logique. Mais son institutrice y voit un retard mental et suggère une visite chez un pédopsychiatre. Résultat : Julien a un quotient intellectuel extrêmement élevé, de 146. «Ces tests sont truqués, qu'ils ne servent à rien», rétorque l'instit. Julien sautera quand même la classe de grande section, sur les conseils du psychiatre et avec l'aval, âprement bataillé, de l'inspection d'académie.
«J'étais tétanisé»
Bénédicte Grimoux pense à l'époque que son fils souffre surtout de l'ennui. Elle apprendra que les brimades avaient déjà commencé. «Je me disais qu'il ne fallait pas que j'en parle à ma mère pour ne pas qu'elle me dispute, confie Julien. J'avais peur d'être aussi incompris de mes parents» Il raconte qu'une fois, alors qu'il avait trop bien répondu à une question, son institutrice de maternelle l'a placé au milieu d'une classe de CM2 où il a été interrogé par les autres élèves pendant près d'une heure : «Ils m'ont posé des tas de questions. J'étais tétanisé, je n'y comprenais rien. Et, à la fin, mon institutrice a dit : "Eh bien voilà, monsieur se prend pour un génie."» Des «humiliations» comme celle-ci, Julien en a vécues beaucoup.
En CE2, Julien, distrait et maladroit, est harcelé par son institutrice. Celle-ci convoque sans cesse sa mère, qui s'énerve contre lui : «Je pensais que Julien ne faisait pas d'effort. Je ne savais pas à quel point il était en souffrance. Il ne voulait jamais parler.» Jusqu'au jour où Julien a poussé un cri de désespoir. Gardé par sa grand-mère, il parle de la mort comme d'un moyen «d'être débarrassé» et menace de se suicider. Il devient violent envers lui-même. Aux urgences de l'hôpital Robert-Debré, le pédopsychiatre se veut rassurant : «Julien est très en avance pour un enfant de 7 ans. Il est incompris et souffre beaucoup. Ces menaces, c'est sa manière à lui de taper du poing sur la table.»
Engrenage
Quelques mois plus tard, sa mère est convoquée à l'école par un remplaçant. «Votre fils est harcelé, en classe ou pendant la récréation. Il subit de nombreuses méchancetés et ne montre aucune réaction, ce qui prouve que cela se passe au quotidien.» Des agressions verbales, mais aussi physiques, comme la fois où, en plein hiver, il a été déshabillé par d'autres élèves au milieu de la cour. Sa mère tombe des nues.
Julien change alors d'école. Dans son nouvel établissement, il est confié à une institutrice qui a l'habitude «des enfants à part» - des trisomiques. Cela ne résout rien. «Julien n'arrive pas à s'intégrer et passe toutes les récréations isolé dans les toilettes», explique la directrice. Le pédopsychiatre propose une «super solution» : un établissement similaire à une école, où un psychologue est à la disposition des élèves.
Les fenêtres grillagées et les deux portes blindées de l'entrée ne rassurent pas Bénédicte Grimoux. L'établissement, «une chance exceptionnelle pour Julien», est en fait une maison thérapeutique où les enfants viennent deux à trois fois par semaine et sont scolarisés en parallèle dans une classe d'insertion sociale. «Votre enfant est précoce ? Mais qu'est-ce que vous faites là ? Les nôtres ont de gros retards», s'étonnent les autres parents. Bénédicte Grimoux réalise alors qu'elle est tombée dans un engrenage, que son fils est maintenant considéré comme fou. Julien redevient violent, se tape la tête contre les murs. Bénédicte Grimoux bloque tout et retourne à l'hôpital Robert-Debré.
Déscolarisation
Il passe une série d'examens et connaît même une semaine d'internement. Les médecins confirment sa précocité et l'ennui presque maladif dont il souffre à l'école. Mais ne préconisent rien d'autre que le retour de Julien dans une école primaire classique qui pourrait l'intégrer. Julien revient dans l'établissement où il était jusqu'en CE2. Après un an de répit, la classe de CM2 se révèle être «la pire des années». L'institutrice prend Julien en grippe : réprimandes, insultes, elle l'humilie sans cesse. Les autres élèves s'y mettent aussi. A tel point que, pour la première fois, Julien refuse de retourner en classe.
Cinq ans après, Julien va mieux. Il est inscrit en troisième au collège public Jean-Charcot de Joinville-le-Pont (Val-de-Marne). Après avoir été déscolarisé plusieurs mois, il a vécu son entrée en sixième dans cet établissement comme une délivrance. Le collège compte 21% d'enfants précoces, intégrés dans les différentes classes. Comme Julien, tous ont été en grande souffrance. C'est la condition pour intégrer ce collège, où l'on applique la même pédagogie qu'ailleurs. «Ces enfants ont avant tout besoin qu'on reconnaisse ce qu'ils sont et quels sont leurs besoins», explique Alain Salzemann, le principal adjoint. «Ici, on me comprend, on comprend qui je suis, reconnaît Julien, qui a aussi appris à communiquer avec les autres, à se socialiser. Maintenant, l'école, c'est un endroit où on apprend. Avant c'était un endroit où on souffre.»
Tags : Société, école, QI, précocité, souffrances
-
Commentaires