Près de dix ans après son acquittement en appel par la cour d’assises de Paris, qui a mis un terme – partiel – à la très controversée affaire d’Outreau, Daniel Legrand fils, 33 ans, comparaît de nouveau devant la justice à partir du mardi 19 mai, pour les mêmes accusations de viols et agressions sexuelles sur mineurs. Retour sur cette affaire très médiatisée qui a mis en lumière les failles du système judiciaire français.
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Quels sont les faits à l’origine de l’affaire ?
L’affaire éclate le 25 février 2000 dans la cité HLM de la tour du Renard à Outreau, dans le Nord-Pas-de-Calais : quatre enfants d’une famille sont placés sous assistance éducative. Ils confient à leur assistante maternelle des « manières » que leur auraient fait subir leurs parents, Thierry Delay et Myriam Badaoui. Une enquête judiciaire est ouverte et plusieurs dizaines de suspects, dont les parents, sont placés en garde à vue. La mère reconnaît une partie des faits et accuse plusieurs dizaines de personnes – parmi lesquels les Legrand père et fils –, dont des voisins.
Dans le contexte de l'affaire Dutroux, qui a ébranlé quelques années plus tôt la Belgique voisine, un réseau pédophile est suspecté. Des personnes qualifiées de « notables » par la presse sont interpellées : un huissier de justice, un chauffeur de taxi… L'affaire se médiatise.
Qu’a décidé la justice ?
Deux procès ont lieu : un procès d’assises à Saint-Omer en 2004 et un procès en appel à Paris en 2005. Lors du premier procès, dix-sept personnes sont accusées – un dix-huitième, François Mourmand, est mort en prison en 2002 à la suite d'une intoxication médicamenteuse accidentelle. Parmi les accusés, six seulement comparaissent libres. Dix-sept enfants sont parties civiles et douze seront finalement considérés comme victimes, dont les quatre fils du couple Delay.
Coup de théâtre lors de ce procès : le dossier s'effondre. La parole des enfants apparaît vague et contradictoire et Myriam Badaoui innocente treize de ses coaccusés.
Le verdict du premier procès (juillet 2004) : les parents Thierry Delay et Myriam Badaoui sont respectivement condamnés à vingt et quinze ans de réclusion criminelle pour viols, agressions sexuelles, proxénétisme et corruption de mineurs. Un couple de voisins est lui condamné à quatre et six ans de prison. Ces quatre personnes ne feront pas appel de leur condamnation. Par ailleurs, six autres personnes sont condamnées tandis que sept accusés sont acquittés.
L’arrêt de la cour d’assises lors du procès en appel de Paris (décembre 2005) : les six personnes condamnées en première instance et qui ont fait appel sont toutes acquittées un an plus tard.
Le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, leur présente officiellement « regrets et excuses devant ce qui restera comme un désastre judiciaire sans précédent » avant qu’ils soient reçus à Matignon en décembre 2005 par le premier ministre Dominique de Villepin et le ministre de la justice Pascal Clément.
Pourquoi cette affaire a-t-elle eu un tel retentissement ?
Si l’affaire éclate en 2000, sa médiatisation devient réellement considérable en 2002, lorsque l’un des accusés, Daniel Legrand, écrit au juge pour évoquer le meurtre d’une petite fille auquel il dit avoir assisté.
D’une affaire de pédophilie, on passe à une affaire de meurtre, et les médias commencent à parler d’une « affaire Dutroux à la française ». La proximité spatiale et temporelle est très forte avec ce feuilleton judiciaire qui se noue depuis quelques années de l’autre côté de la frontière belge. Et c’est également dans ce même coin de campagne du Pas-de-Calais qu’a eu lieu une autre affaire criminelle, celle des frères Jourdain, auteurs d’enlèvements, viols et assassinats de quatre jeunes filles, en 1997. L’affaire Outreau éclate dans ce contexte d’affaires sordides et de dénonciation massive de la pédophilie . Un certain nombre de médias s’engouffrent alors dans la stigmatisation sociale et régionale des acteurs de l’affaire.
A l’emballement médiatique répond l’emballement judiciaire. A tel point que l’affaire d’Outreau marque une étape dans l’histoire judiciaire française. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire constituée après l’acquittement général des accusés en 2005 pointe les dysfonctionnements de la procédure et des pistes de réforme pour qu’un tel fiasco ne se reproduise plus.
En effet, dès les premières gardes à vue, en 2001, certains points de la procédure ont créé la polémique, notamment l’impossibilité pour l’avocat d’être présent dès les débuts de la garde à vue de son client. Depuis, ce point a été réformé, mais sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, en 2011, et l’avocat n’a toujours pas accès au dossier de son client pour l’assister. Revoir l’application de la détention provisoire fait aussi partie des préconisations du rapport, puisque quatre accusés ont passé trente mois en prison, et trois autres jusqu’à trois ans sous les verrous, avant d’être innocentés.
Mais c’est avant tout le juge d’instruction qui pâtit du procès. Fabrice Burgaud, âgé de 30 ans au début de l’instruction et tout juste sorti de l’Ecole nationale de la magistrature, devient la figure du scandale quand on l’accuse d’avoir mené l’instruction de manière désastreuse. Il est sanctionné en 2009 pour « un certain nombre de négligences, maladresses et défauts de maîtrise dans la conduite de l'information ». L’affaire aura mis en évidence la solitude qui entoure ce juge qui est censé travailler « à charge et à décharge » et a tout pouvoir pour désigner des experts, organiser des confrontations, puis déterminer l’issue à donner à la procédure. L’obligation de recourir à trois juges d’instruction au lieu d’un seul a été évoquée après le procès, mais n’est toujours pas appliquée.
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Pourquoi un troisième procès en 2015 ?
Né en 1981, Daniel Legrand fils était encore mineur au début de la période des faits examinés (1997-2000). Il devait donc normalement être jugé par une cour d’assises des mineurs. La justice avait deux possibilités : juger tous les accusés devant la cour d’assises des mineurs – comme c’est généralement le cas – ou bien séparer l’affaire en deux :
- d’un côté, tous les accusés jugés devant la cour d’assises, y compris Daniel Legrand fils pour les faits éventuellement commis après sa majorité, le 15 juillet 1999 ;
- de l’autre, Daniel Legrand fils jugé seul devant la cour d’assises des mineurs pour les faits éventuellement commis alors qu’il était encore mineur.
C’est la deuxième option qui a été choisie. Daniel Legrand fils a donc été acquitté des faits soupçonnés d’avoir été commis entre la mi-juillet 1999 et 2000… mais doit maintenant être rejugé pour les mêmes faits supposés, entre 1997 et mi-1999. Certaines victimes présumées continuent de maintenir leurs accusations et une association de défense de l’enfance, Innocence en danger, est aussi à l’origine de ce nouveau procès. En 2013, elle a rappelé au parquet de Douai que les charges retenues contre Daniel Legrand lorsqu'il était mineur n'avaient pas été jugées et risquaient d'être prescrites.
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