• L’EPR, un véritable enjeu politique

    Le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts se disputent autour de l’avenir du nouveau réacteur nucléaire français. Pour une fois, ils ont raison : le futur de la France sera différent avec ou sans cette énorme bouilloire atomique.

     
     
    Pour les profanes, les négociations entre socialistes et écologistes à propos d’un futur accord de gouvernement peuvent paraître obscures. Quoi ! La victoire possible sur Nicolas Sarkozy, l’affrontement nécessaire avec les marchés que chacun attend d’une future majorité de gauche, l’avenir du pays, tout entier seraient suspendus au sort d’un tas de béton situé à Flamanville, un coin perdu au bout de la presqu’île du Cotentin, battu par les vents et les courants ? Est-ce bien raisonnable ? Et bien, oui, il est raisonnable, rationnel, indispensable même de trancher cette question bien plus importante que de savoir si le groupe EE-LV de l’Assemblée comprendra 15, 20 ou 50 députés : « Faut-il ou pas terminer le construction le réacteur nucléaire EPR ? »

    Car les écologistes ont raison : finir ou pas l’EPR (qui doit entrer en service au plus tôt en 2016) est LE geste qui permet de basculer ou non vers un avenir sans nucléaire. L’explication est simple et tient en deux temps :

    1- L’argent. L’EPR est la figure de prou du couple Areva-EDF à l’exportation. Areva vend la chaudière et EDF la manière de l’exploiter (pour simplifier). Si aucun exemplaire de cet énorme bouilloire atomique n’est installé sur le territoire français, les exportations s’arrêteront net. Il ne restera plus qu’à terminer l’EPR finlandais, quelques exemplaires au Royaume-Uni. En Chine, les Chinois eux-mêmes prendront le relais, ayant déjà acquis une bonne part du savoir-faire français. Le marché français fermé, le marché international bouché, l’EPR passerait pour pertes et profits dans la comptes d’Areva et ceux d’EDF qui repasseraient la facture (sans doute 6 milliards, puisque les équipements sont déjà commandés, même s’ils ne sont pas livrés ni installés). Les études préalables aussi, etc. Henri Proglio dans Le Parisien   a donc raison de crier à l’assassin, même si ses arguments sont fallacieux. Se basant sur un rapport commandé en février 2011 à son ennemie intime Anne Lauvergeon, il affirme que « 1 million d’emplois seraient menacés ».

    Mais le rapport du cabinet PricewatrHouseCooprs (PWC) est pour le moins contestable. C’est ainsi qu’il chiffre la filière électronucléaire à 410.000 emplois directs et indirects. Mais il suffit de travailler dans la construction pour être comptabilisé. Vous travaillez dans une filiale de Bouygues spécialisée dans le ferraillage qui a un contrat avec Areva-EDF ? Vous faites partie de la filière électro-nucléaire ! PWC appelle cela : « Les emplois soutenus par les commandes aux entreprises fournisseurs en dehors de la filière. » Alstom doit être concerné, puisqu’il fournit les générateurs électriques des centrales. Mais les centrales nucléaires seraient remplacées par d’autres centrales à énergie fossile ou renouvelables, qui ont aussi besoin de générateurs pour produire de l’électricité. Sans vergogne  Proglio y ajoute les emplois industriels à forte intensité d’électricité. Et on arrive au million. Un gros bobard. Mais plus c’est gros, mieux ça passe, n’est-ce pas ?

    2 - La durée. Un EPR a une durée de vie de 60 ans, plus 20 années (au moins, en fait on en sait rien) de démantèlement. La construction d’un EPR engagerait le pays dans la nucléaire jusqu’en 2076 ! L’argument des écologistes sur ce plan est imparable. D’autant plus que sous la position de principe de François Hollande (ramener la part du nucléaire dans l’électricité à 50% dans 20 ans, contre 75% aujourd’hui), se cache un projet industriel évident : la fermeture des vieilles centrales type Flamanville, peu sûres, remplacées pour partie par la construction des puissants EPR (1600 Megawatts, contre 900 MW pour les PWR de 1ère génération), moins nombreux et plus sûrs. Ce n’est donc pas un EPR qui est en jeu mais plusieurs, au moins une dizaine. Comme il faut au moins quatre ans pour réaliser ces mastodontes, des EPR français seraient encore en activité en 2080 ! On serait loin de l’offre politique du candidat Hollande, formulée à La Rochelle  : baisser suffisamment la dépendance de la France à l’énergie nucléaire pour être en mesure de faire un choix (sortir ou pas) dans une vingtaine d’année.

    D’une certaine manière le choix est entre ruiner les espoirs d’un grosse filière industrielle d’excellence, ou engager le pays pour un sacré bail. Les deux options ont leurs défenseurs. Mais il faut rappeler aux uns que se priver du nucléaire tant qu’on aura pas réalisé un saut technologique dans le renouvelable, c’est choisir de consommer du charbon ou du gaz, et donc renforcer l’effet de serre et contribuer à réchauffer le climat. Et aux autres que l’EPR est probablement un fort mauvais cheval de bataille, tellement il est cher, comme l’est de plus en plus l’électricité nucléaire.
    Une étude de l’Union fédérale de l’électricité, véritable appendice d’EDF, chiffre à 360 milliards le coût du maintien de la capacité de production nucléaire de la France, et à seulement 60 milliards sur 20 ans le surcoût de la sortie du nucléaire. 3 milliards par an, c’est beaucoup et peu à la fois. Le choix politique à faire est élevé. Raison de plus pour en débattre.

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