• L'Euro peut-il être sauvé ?

    L'Euro peut-il être sauvé ?

    Econoclaste - Vents des blogs | Jeudi 10 Novembre 2011 à 17:36

    Le rachat des dettes publiques par la BCE, la création d'une Europe fédérale : toutes les solutions avancées pour sortir la zone euro de la crise sont-elles possibles à mettre en oeuvre ? Probablement pas, tranche Alexandre Delaigue.



    La dette italienne est sous une pression intenable. Et l'Italie est trop importante pour être sauvée par un FESF qui révèle sa nature de pistolet à bouchon. Prochaine étape si cela continue : la France, qui n'est pas protégée par son plan triple zéro. Il sera temps plus tard de faire l'histoire des multiples erreurs qui ont conduit à cette situation. Voici en attendant la seule issue viable. Il ne s'agit pas d'un plan issu de mon génial cerveau, mais d'un résumé que n'importe qui peut faire en suivant l'actualité sur les blogs et sites économiques.

    - Une annonce, dès les prochains jours, par la banque centrale européenne, qu'elle fera tout, et absolument tout, pour tenir le cours des obligations publiques des pays membres de la zone euro au dessus d'un plancher. Qu'en d'autres termes elle interviendra, en rachetant massivement les titres de la dette publique, quitte à la monétiser temporairement. C'est le seul moyen d'arrêter les attaques spéculatives contre les dettes publiques : aucun spéculateur ne peut lutter contre une banque centrale capable de créer des euros indéfiniment. Le plus beau dans l'opération, c'est que si l'annonce est faite de façon suffisamment crédible, si le taux soutenable cible est annoncé clairement, la BCE n'aurait pas besoin d'acheter et de monétiser beaucoup de dette italienne : le marché s'ajustera à ce niveau. Le mécanisme d'un tel plafond a été décrit dans ce post de Kash Mansori.

    - Simultanément, la BCE annonce que désormais, elle interprète son objectif de stabilité des prix non plus comme une inflation inférieure à 2%, mais comme un objectif de croissance annuelle du PIB nominal (c'est à dire, PIB réel et inflation) de 5%. Ce «NGDP targeting» défendu âprement par l'économiste Scott Sumner depuis des années, est désormais l'une des idées les plus répandues du moment: elle a même bénéficié de l'intérêt de Ben Bernanke. L'idée est ici la suivante : les pays périphériques de la zone euro souffrent à la fois d'un endettement (privé et public) insoutenable, d'une absence de croissance du PIB, et d'énormes décalages de compétitivité causés par une politique de la banque centrale européenne adaptée à personne. Un objectif actuel de 2% implique en pratique la déflation dans tous les pays périphériques, entraînant la dynamique de déflation-dette décrite par Irving Fisher (si les prix et les salaires baissent, le poids de la charge de la dette devient insoutenable, causant faillites en série, récession, et de nouveau déflation).

    Fixer un objectif de croissance du PIB nominal de la zone euro à 5% aurait des effets très variés selon les pays européens. Inflation forte en Allemagne, modérée dans les pays périphériques. Mais c'est précisément cela qu'il faut pour réduire les déséquilibres de balance courante et de compétitivité. Le seul choix actuel est entre 5% d'inflation en Allemagne et 2 dans les pays périphériques, ou 2% en Allemagne et 5% de déflation dans les périphériques, ce qui est parfaitement intenable. Comment atteindre cet objectif? de la même façon que pour la stabilisation du cours des dettes publiques. Une annonce explicite, une baisse des taux d'intérêts, et des opérations ostensibles de rachat de dette. Cet objectif et le précédent peuvent être suivis simultanément. Le grand intérêt de l'opération est que dès que la croissance repart, la BCE peut sans soucis adopter une politique monétaire plus restrictive pour éviter une inflation excessive.

    - Et du côté des gouvernements? Une évolution fédérale majeure de la zone euro. Des transferts de compétences (par exemple, une assurance-chômage européenne, et côté recette, le versement intégral d'une TVA uniforme à l'Union, pour un début) faisant progressivement monter le budget de la zone euro à 10-20% de son PIB. Et une évolution institutionnelle permettant un réel contrôle démocratique des prérogatives de l'Etat européen ainsi créé. Les Etats nationaux, dans le même temps, se retrouvent avec des prérogatives de régions : interdiction de voter un budget en déficit, compétences limitées, perte majeure de souveraineté. En attendant, des engagements fermes de la part des pays périphériques, désormais abrités des grosses difficultés par la BCE, de tout mettre en oeuvre pour favoriser la croissance économique et réduire ainsi les déficits publics.

    Tout cela est-il possible? Très probablement, non. La BCE ne peut pas, selon les traités, décider d'annoncer un soutien aux dettes publiques nationales. Quand bien même elle s'assiérait sur les traités (en attendant un changement...) il n'y aura jamais un consensus au conseil des gouverneurs pour une telle politique. Le ciblage du PIB nominal pourrait éventuellement passer (cela donnerait du travail aux constitutionnalistes allemands, qui ne manqueraient pas d'être consultés sur le sujet) mais la perspective d'une inflation élevée en Allemagne est actuellement inacceptable. Aucun gouvernement n'y résisterait. Quant au saut fédéral, c'est un doux rêve. Le soutien inconditionnel de la BCE conduirait plutôt les pays aux institutions les plus fragiles de renoncer à réduire les déficits, sachant que l'inflation est supportée par les autres. Et aucun chef de gouvernement européen n'a envie de se retrouver avec des prérogatives réduites à celles d'un gouverneur du Texas ou de Californie.
    La vraie question est la suivante : tout cela en vaut-il vraiment la peine? La réalité simple est que les logiques nationales ne disparaissent pas comme cela; que les pays européens se porteraient tous mieux, aujourd'hui, si la monnaie unique n'avait jamais été créée. Comme le disait James Tobin, il faut beaucoup de triangles d'Harberger pour remplir un output gap (les initiés reconnaîtront le jargon). Toutes les inefficiences économiques causées par l'absence d'une monnaie unique ne sont pas grand chose à côté de la dévastation de la conjoncture que nous observons à intervalles réguliers dans les pays européens depuis 1993. Il faut contempler cette question sérieusement, sous peine d'avoir en plus une dislocation de l'euro lente, brutale et douloureuse, avivant les pires extrémismes.

    PS : je n'aime pas être pessimiste. J'ai voté oui à Maastricht, oui à la constitution européenne, et ce sont les deux votes les plus sincères et engagés de mon expérience d'électeur. Si un miracle me donne tort, j'en serai le premier ravi.

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    Retrouvez Alexandre Delaigue sur le blog éconoclaste.

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