Pour la santé, rien de tel qu'une bonne douche froide ! Les biologistes ont beau le savoir, ils risquent de trouver glaçant le rapport, encore confidentiel, que vient de leur consacrer la Cour des comptes. Celle-ci préconise de baisser de façon drastique les tarifs des laboratoires d'analyse médicale, et de mieux encadrer leur volume d'activité. Tout ce qu'ils voulaient éviter...
Le rapport, réalisé à la demande de la Commission des affaires sociales du Sénat, a été présenté aux sénateurs jeudi 18 juillet. Message clé : la politique de maîtrise des dépenses de biologie médicale doit être "considérablement amplifiée".
Pour y parvenir, la Cour suggère de baisser de 7,5 % d'un coup la tarification des actes de biologie. Cela réduirait de 316 millions d'euros le chiffre d'affaires des laboratoires. Compte tenu de la part qui est remboursée, la Sécurité sociale pourrait économiser "de l'ordre de 220 millions d'euros" par an.
Pareil projet fait bondir François Blanchecotte, le président du Syndicat des biologistes, une des trois organisations professionnelles du secteur. Baisser autant les tarifs serait "irresponsable" et "dangereux pour l'équilibre économique des laboratoires de biologie médicale", affirme-t-il.
Ces derniers mois, les biologistes espéraient au contraire mettre fin aux baisses de prix régulièrement imposées par les pouvoirs publics depuis près de sept ans. A la place, ils voulaient signer des accords sur plusieurs années avec l'assurance-maladie, de manière à obtenir une certaine visibilité.
Un premier protocole a été négocié pour la période 2013-2015. Les laboratoires s'y engageaient à réaliser 240 millions d'euros d'économies. Le gouvernement, pas convaincu, a bloqué le projet en février.
Un nouvel accord a alors été mis en chantier, visant à stabiliser à 3,7 milliards d'euros par an le montant des remboursements à la charge de l'assurance-maladie. Les trois syndicats concernés voulaient croire que, cette fois-ci, les pouvoirs publics consentiraient à bénir le projet, ficelé fin juin.
C'est peu dire que le rapport de la Cour des comptes ne leur facilite pas la tâche. Aux yeux des experts de la rue Cambon, il faut au contraire dénoncer la convention actuelle entre les caisses d'assurance-maladie et les laboratoires privés, et accentuer les baisses de prix.
Depuis 2006, celles-ci ont certes "freiné la dynamique de croissance" du secteur, admet la Cour. L'an dernier, les honoraires des laboratoires d'analyse médicale ont même reculé de 1,6 %. Du jamais-vu.
UN BOND DE 60 % EN 10 ANS
Pour autant, les dépenses ne sont pas complètement sous contrôle, juge la Cour. Elles "restent, en effet, soutenues par l'accroissement du nombre d'actes", tels que la numération de la formule sanguine ou le dosage de la vitamine D. En dix ans, le nombre d'analyses a bondi de 60 %, "alors que l'indice de volume de l'ensemble des soins de ville n'a progressé que de 35 %".
En conséquence, la Cour juge indispensable de baisser encore les tarifs, mais aussi de mieux maîtriser le nombre d'analyses. Y compris dans les hôpitaux, qui ont tendance à refaire certains examens déjà effectués en ville. A l'hôpital, "une réduction de 10 % à 15 % du nombre d'actes permettrait une économie de 200 à 300 millions d'euros", estime la Cour des comptes.
Pour les patrons de laboratoires, tout n'est pas à jeter dans ce rapport. Mais ils jugent la profession trop fragilisée pour supporter un traitement de choc.
La baisse continue des tarifs n'est pas seule en cause. Selon une loi du 30 mai, les laboratoires ne pourront plus fonctionner à compter de novembre 2016 sans être accrédités. Ce qui va les contraindre à des investissements importants, et risque d'accélérer la concentration. Le nombre de laboratoires est déjà passé en peu de temps de 3 800 à environ 1 500, dont quelques grands groupes comme Biomnis ou Labco.
"Nous sommes en restructuration, et près de 8 000 emplois sont menacés dans le secteur", assure M. Blanchecotte. Pour lui, le plan de la Cour pourrait provoquer "la mort de laboratoires de proximité". Un peu comme ce qui se passe avec les stations-service.
La Cour des comptes voit les choses autrement. Pour elle, "la réorganisation des laboratoires et les progrès technologiques permettent de dégager des marges de productivité". Pas de raison que les professionnels gardent ces gains pour eux, alors que le déficit de la Sécurité sociale pourrait atteindre 14,3 milliards d'euros cette année.