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    La France, narco-Etat ?

    Créé le 14-10-2012 à 21h27 - Mis à jour à 21h40    lien

    Le pouvoir des trafiquants de drogues s'accroît de manière inquiétante dans notre pays. Il faut agir dès maintenant avant qu'il ne soit trop tard.

     

    Photo d'illustration. (GERARD JULIEN / AFP)

    Photo d'illustration. (GERARD JULIEN / AFP)

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    Ultra-violence, corruption politique ou policière, règlements de compte en série, territoires entiers qui échappent à la légalité républicaine : le pouvoir des trafiquants s'accroît de manière inquiétante dans notre pays.

    Le gouvernement brésilien vient d'ordonner à des unités équipées de blindés de reconquérir deux favelas de Rio de Janeiro contrôlées par les trafiquants de drogue. Un signe, parmi cent autres, que les "narcos" forment désormais en Amérique latine des Etats dans l'Etat, capables de battre en brèche pour de longues périodes l'ordre légal en principe garanti par les gouvernement démocratiques. Au Mexique, au Brésil, en Colombie ou au Venezuela, la violence née du trafic de stupéfiants a entraîné la mort de dizaines de milliers personnes. Elle est devenue la principale cause de mortalité dans une grande partie du continent sud-américain.

    En usant de l'assassinat, de la torture et de la corruption, les gangs qui assurent le ravitaillement en cocaïne et en héroïne de l'immense marché américain ont imposé leur loi à de larges fractions de la population et à des portions entières du territoire. La "guerre contre la drogue" initiée et soutenue par les Etats-Unis, qui a causé des pertes humaines comparables à celles d'une véritable guerre, est pour l'instant dans une impasse. Les émules de Pablo Escobar, appuyés sur des bandes militarisées qui tiennent la police en respect et sur les énormes masses financières produites par la vente de drogue, sont devenus des puissances de fait qui concurrencent les Etats légitimes.

    A tel point qu'en désespoir de cause, un nombre croissant de responsables et d'intellectuels sud-américains en sont venus à penser que seule la légalisation générale des produits stupéfiants, héroïne comprise, serait capable de rétablir l'ordre démocratique en privant les gangs de leurs ressources.

    L'actualité en France doit inspirer une vigilance nouvelle

    Le sud de l'Italie mis à part, où l'ancienne mafia continue de sévir en dépit des succès obtenus par la police italienne, on pensait que l'Europe était pour l'instant exempte d'une telle dérive, qu'on attribue souvent aux insuffisances des économies et des Etats d'Amérique du sud. Le diagnostic est encore vrai : le trafic de drogue en Europe n'a en rien atteint la maléfique puissance qu'on observe de l'autre côté de l'atlantique.

    Pourtant l'actualité française, si l'on se donne la peine de décrypter sa logique cachée, doit inspirer une vigilance nouvelle. Elle montre que les symptômes massifs observés au Brésil ou en Colombie, commencent à apparaître sous une forme embryonnaire mais inquiétante dans notre pays. A Marseille, les règlements de compte à l'arme automatique se multiplient. Chacun sait qu'ils sont liés à la concurrence de bandes rivales de trafiquants pour le contrôle de certaines cités ou de certains quartiers de la ville. Les meurtriers utilisent désormais des armes de guerre. Ils opèrent en toute tranquillité, souvent en plein jour, sous l’oeil terrorisé des passants.

    Une élue socialiste marseillaise a même demandé l'intervention de l'armée pour ramener l'ordre. Même si cette revendication outrancière a été justement écartée par le gouvernement, elle est le symptôme d'une situation qui échappe au contrôle. Des assassinats de même nature émaillent la vie des quartiers difficiles dans les banlieues des grandes villes françaises. Dans le 9-3, la protestation de populations désespérées par la disparition de l'ordre républicain a montré que les trafiquants contrôlent désormais des cités entières, imposant leur loi par la menace, le chantage, les coups et, dans les cas extrêmes, par la torture.

     "Dealer" est devenu un choix de carrière

    On sait aussi qu'une partie des émeutes qui ont agité ces quartiers au cours des dernières années sont en fait déclenchées par les trafiquants qui se servent de heurts accidentels avec la police pour intimider les forces de l'ordre et l'empêcher de se mouvoir normalement sur leur territoire. Peu à peu, la situation française dans ces zones sensibles ressemble à celle que décrivent avec tant de réalisme des séries américaines comme "The Wire" ou "Traffic", avec un mélange de violence crue, d'impuissance politique et de corruption policière.

    Dans beaucoup de cités, le trafic est le débouché naturel pour des adolescents, parfois pour les enfants, appâtés par les gains rapides que procure la profession de dealer, un métier en pleine expansion. Le deal était une dérive. Il devient une carrière, avec ses étapes hiérarchiques, sa progression au mérite, ses intrigues et ses épreuves initiatiques qui consistent, en général, à démontrer sa capacité à user d'une violence sans limite. Les sommes colossales qui circulent clandestinement opèrent une séduction croissante sur les esprits les plus faibles.

    Il faut agir, dès maintenant

    Dans l'affaire Neyret, qui a secoué la police judiciaire lyonnaise, a fortiori dans le scandale de la BAC de Marseille, où un service entier semble bien avoir cédé à la tentation de l'enrichissement rapide, c'est l'argent de la drogue qui finance les cas de corruption en série, destinée à protéger l'activité des dealers. La mise en cause d'une élue écologiste parisienne dans une vaste affaire de blanchiment tend à montrer que, désormais, le monde politique est touché par les débordements de l'argent clandestin accumulé par le trafic.

    Ultra-violence, recul de la légalité, territoires entiers qui échappent à la loi, corruption policière, ambiguïtés politiques : les ingrédients des narco-Etats sont peu à peu réunis sur le territoire français, sous une forme pour l'instant très atténuée, mais selon une logique qui rend leur élimination redoutablement difficile. Spécialiste de la camorra napolitaine, Roberto Saviano, l'auteur de Gomorra, avait lancé il y a un an, un cri d'alarme sur l'évolution française. Il était resté sans écho. Il apparaît aujourd'hui comme prémonitoire.

    On sait par expérience - aux Etats-Unis ou en Amérique latine - qu'une fois le pouvoir des trafiquants établi, il est très difficile de s'en affranchir. Raison de plus pour agir dès maintenant en France, avec la plus grande détermination. Non pas en modifiant les lois, qui sont déjà rigoureuses ou en déclenchant on ne sait quelle panique sécuritaire. Mais en réprimant sans faiblesse la corruption et en accroissant rapidement les moyens d'enquêtes et de surveillance de la police, de manière à étouffer dans l'oeuf le développement d'un narco-Etat à la française.


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