Depuis six mois, à Calais, les navires de SeaFrance sont à quai. Mais l'attribution pour 65 millions d'euros des trois derniers bateaux au groupe Eurotunnel, lundi 11 juin, a rendu l'espoir aux anciens salariés de la compagnie : le Berlioz et le Rodin pourraient reprendre la mer dès la fin du mois de juillet. En mauvais état, le troisième, destiné au fret, devra d'abord retrouver son certificat de navigation.
A terme, ce sont plus de 500 emplois qui doivent être retrouvés avec la mise en place d'une société coopérative et participative (Scop). Avant sa liquidation judiciaire en janvier dernier, SeaFrance employait 880 personnes en France et 130 en Angleterre.
Lundi après-midi, les porteurs du projet de Scop ont fêté la décision du tribunal de commerce, conscients pourtant des difficultés qui les attendent : "Il y a tout à rebâtir et à reconstruire", reconnaissait Frédéric Lefranc, un ex-SeaFrance. En Scop ou non, pour qu'une entreprise fonctionne, il lui faut des clients, de l'activité. Quand une société arrive en liquidation, il est parfois trop tard : les clients n'ont plus confiance et les fournisseurs craignent de ne pas être payés.
Un taux de survie de 53% à 5 ans
L'affaire n'est donc pas gagnée. Sur les 2.000 Scop que compte la France, seules 11% d'entre elles se sont constituées à partir d'entreprises en difficultés. Dans cette situation, leur taux de pérennité à 5 ans s'élevait à 53% en 2010 - il était de 52% pour l'ensemble des entreprises françaises. "Devenir une Scop, ce n'est pas un coup de baguette magique", rappelle François Berger, dirigeant de Scop, au "Nouvel Observateur". Selon lui,
Le public reste trop souvent avec l'image d'un Radeau de la Méduse, l'idée du dernier recours. Alors que ce n'est pas ça une Scop !"
Les SeaFrance, eux, attendent de relever ce défi depuis des mois. Dès le 29 décembre 2011, Didier Capelle, Bruno Landy, Michel Parisseaux et cinq autres membres du Conseil de surveillance avaient enregistré la Scop SeaFrance au tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. Il ne s'agissait alors que d'une coquille vide, créée afin de pouvoir exister juridiquement. Désormais, l'aventure commune peut enfin démarrer.
Le nom SeaFrance est conservé
Pour commencer, les salariés ont choisi de conserver le nom de la marque. Il est vrai qu'elle bénéficie d'une forte notoriété, atout indéniable pour lancer une Scop. Par ailleurs, c'est un ancien président du directoire de Brittany Ferries, Jean-Michel Giguet, qui sera chargé de piloter la Scop SeaFrance.
Les anciens SeaFrance seront prioritairement recrutés. La nouvelle société débutera d'abord avec quelque 250 marins. En 2013, si tout se passe comme prévu, elle devrait compter 520 salariés-actionnaires en France. Chaque salarié est amené à devenir associé. La participation individuelle s'élève à 5.000 euros.
Parallèlement, Eurotunnel doit mettre en place une société financière pour héberger les navires. Ces derniers seront ensuite loués à la Scop dans le cadre d'un contrat triannuel. Eurotunnel conservera la commercialisation et fixera les tarifs.
"Un capitalisme à visage humain"
Arnaud Montebourg juge le projet "intéressant". Sur RTL le mardi 12 juin, le ministre du Redressement productif a estimé :
Nous pensons que les coopératives ont une place importante car c'est un capitalisme à visage humain, non délocalisable".
Il estime toutefois que "cela ne peut fonctionner que s'il y a une volonté sur le terrain et si les salariés ont suffisamment de ressources en eux-mêmes (...) pour le faire".
La volonté ne sera pourtant pas seule en jeu. Plusieurs ombres planent sur l'avenir de la Scop. Des actions pénales restent en court contre 13 salariés mis en examen, soupçonnés de vols d'alcool et de nourriture sur des bateaux. De plus, la concurrence est forte sur la liaison Calais-Douvres. Pendant l'arrêt de SeaFrance, la compagnie anglaise P&O, mais aussi LD/DFDS ont renforcé leur position. La direction de P&O n'exclut d'ailleurs pas d'attaquer Eurotunnel pour concurrence déloyale. De son côté, le PDG d'Eurotunnel reste persuadé qu'il y a de la place pour trois compagnies.