Il dispute à Han Han le titre de blogueur le plus populaire de Chine : Li Chengpeng, 44 ans, a près de 313 millions de visiteurs sur son blog, et plus de 6 millions d’abonnés sur son Weibo. Ancien journaliste sportif, écrivain, il est connu pour son esprit critique, et ses prises de position « libérales », c'est-à-dire pro-démocratisation - qui lui valent d’être régulièrement censuré. Et même physiquement agressé, comme cela s’est passé dimanche après-midi à Pékin, lors d’une séance de dédicace organisée pour la sortie de son nouveau livre. Un premier individu l’a frappé et traité de traître, puis un autre a tenté de lui offrir un couteau de boucher, certes emballé. Il l’a ensuite lancé en direction de l’écrivain quand des préposés à la sécurité se sont emparés de lui. Li Chengpeng n’a pas été blessé.
L’incident était aujourd’hui parmi les sujets les plus discutés sur Sina Weibo, où il a recueilli plus d’un million de commentaires. La séance de dédicace du recueil d’essais de Li Chengpeng, «Quan shijie renmin dou zhidao» (les gens du monde entier le savent) et sous-titré «smiLENCE», avait lieu à Zhongguancun, le quartier des grandes universités. Elle a visiblement attiré du monde, à en croire les photographies diffusées sur Weibo (par exemple par Hélène Gao).
Il faut dire que la veille, Li Chengpeng, qui est de Chengdu, a vu se faire annuler en dernière minute par la sécurité publique l’évènement de promotion prévu dans sa propre ville. Lui et ses invités, dont Yu Jianrong, un chercheur de l’Académie des sciences sociales très actif sur Weibo et venu de Pékin, l’écrivain de Chengdu Ruan Yunfei (surveillé de près par la police politique), et Liu Sha He, un vieux poète local lui aussi dissident, n’ont pas été autorisés à s’exprimer devant le public, venu très nombreux selon le récit qu’en a fait Sascha, ni à répondre à ses questions.
Li Chengpeng a dû se contenter de signer ses livres, un masque noir sur la bouche en signe de protestation. Une photo de lui le montre ainsi muselé devant le panneau représentant la couverture de son livre, vêtu d’un Tshirt où est écrit : « je vous aime tous ». Il a mis sur Weibo ses impressions : « …Je ne suis pas autorisé à laisser les lecteurs me poser des questions, je n’ai pas le droit de parler, je n’ai pas le droit de dire quelques mots de présentation, je n’ai même pas le droit de dire « Bonne année, merci à tous..». Je n’ai pas le droit de présenter au public Liu Sha He…Tout cela est totalement contraire à l’idée que j’ai de la dignité. Ils sont dingues ! Rien que d’y penser…”
Li Chengpeng à Chengdu samedi 12 janvier, un masque sur le visage pour montrer qu'il n'a pas été autorisé à s'exprimer devant ses fans. Sur son T shirt, on lit : "wo ai nimen", je vous aime tous.
L’incident qui s’est déroulé dimanche à Pékin a été vu par la blogosphère comme une autre forme de censure. La première personne qui a agressé Li Chengpeng en le giflant est un individu nommé Yin Guoming, âgé d’une cinquantaine d’année. Après que le public l’a maîtrisé, il a justifié son acte en disant que“Li Chengpeng noircit le peuple patriotique.” Il est décrit comme un néo-maoïste par les internautes, qui font le rapport entre son geste et celui de Han Deqiang, un célèbre néo-maoïste, co-fondateur du site Utopia, qui avait giflé un vieil homme durant une manifestation anti-japonaise parce que celui-ci avait fait mine de dénigrer le portrait de Mao. Yin Guoming a été photographié faisant le V de la victoire après son geste (photo du quotidien Nanfang Dushi Bao).
@Leiyi, historien de son état, a fait le commentaire suivant : « Aujourd’hui, le maoïste Yin Guoming a donné un coup à Li Chengpeng lors de la signature de son nouveau livre et l’a traité de traître. Cette violence en public est liée au fait que le maoïste Han Deqiang n’avait pas été sanctionné après avoir giflé un vieil homme [lors des manifestations antijaponaises en 2012, ndlr]. Laisser faire la violence de Han Deqiang, c’est encourager la violence en général. Et en voici le résultat ».
Les agresseurs de Li Chengpeng ont aussi été décrits comme des wu mao dang (la bande à cinq centimes), des valais du régime payés pour le défendre sur la blogosphère. Ou encore des chiens de garde : « le gouvernement a peur du peuple, c’est pour ça qu’il envoie ses chiens pour nous mordre. Tenez le coup, camarades » a twitté sur Weibo @zz_dandanchaxiang le 15 janvier.
L’individu qui a offert un couteau de boucher à Li Chengpeng au moment où son tour venait de faire signer son livre à l’écrivain, a été identifié par son pseudonyme d’internaute, @huyanglin717. Il avait prévenu l’écrivain par un Weibo qu’il lui apporterait un couteau, et celui-ci avait répondu qu’il ferait mieux « de réserver ses couteaux pour la presse officielle » mais qu’il l’attendait. Après son acte – et plusieurs heures de détention par la police –@huyanglin717 s’est justifié sur Weibo, en expliquant qu’il avait acheté ce couteau à Ikea au moment du 18 ème Congrès en novembre, mais n’avait pas eu besoin de montrer ses papiers. Alors que Li Chengpeng et d’autres « libéraux » comme lui critiques du régime, s'obstinaient à l’époque à répandre « la rumeur » selon laquelle il était impossible d’acheter des couteaux sans montrer patte blanche [cette hystérie sécuritaire avait été largement décrite dans la presse étrangère, ndlr]. Il en avait alors informé le blogueur, qui ne lui avait jamais répondu.
Sur son blog, après l’incident, Li Chengpeng a expliqué que @huyanglin717 et ses compagnons néo-maoïstes vivaient dans la peur, « la peur que mes points de vue et ceux de mes amis détruisent ce pays, la peur que leurs points de vue à eux ne soient pas soutenus par la majorité, la peur que le peuple donne la souveraineté du pays aux étrangers sous notre influence... Ils n’ont donc pas de meilleure solution que d’agir ainsi. Ils ont choisi des méthodes terrifiantes parce qu’ils sont terrifiés. »
Brice Pedroletti
PS du 16 janvier : le South China Morning Post de Hongkong rapporte qu'une manifestation de néo-maoïstes s'est tenue mardi à Shenzhen devant l'endroit où Li Chengpeng signait son livre pour ses fans, venus très nombreux après l'agression de dimanche. Les maoïstes sont furieux du contenu de son livre qui offre un regard critique de la Chine d'aujourd'hui.