• Le cessez-le-feu en Syrie menacé à la frontière turque

     

    par Dominic Evans

    BEYROUTH (Reuters) - Le cessez-le-feu négocié par Kofi Annan et globalement respecté en Syrie semblait menacé vendredi à la frontière turque par des affrontements entre l'armée et des insurgés.

    Les grandes manifestations pacifiques auxquelles les opposants ont appelé ce même jour en Syrie après la prière hebdomadaire à la mosquée seront un test pour le pouvoir de Damas.

    En milieu de journée, des opposants signalaient la mort d'un protestataire au moins abattu par l'armée lors d'un début de manifestation à Hama, dans le centre du pays.

    D'autres manifestations de faible ampleur sont aussi rapportées ailleurs en Syrie à la sortie des mosquées et des informations non confirmées évoquent des fusillades meurtrières à Idlib, dans le Nord-Ouest, et dans la province de Deraa (sud), non loin de la Jordanie.

    Pour sa part, la communauté internationale accentue ses pressions sur le régime de Bachar al Assad pour qu'il mette en oeuvre intégralement le plan du médiateur de l'Onu et de la Ligue arabe et prévoyant notamment, en plus du cessez-le-feu, un retrait des troupes, des blindés et des armes lourdes des villes.

    Aux Nations unies, le Conseil de sécurité travaille sur un projet de résolution autorisant l'envoi d'une avant-garde d'observateurs chargés de superviser le respect de la trêve entrée en vigueur jeudi à 03h00 GMT.

    D'après des informations émanant d'opposants cités par l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), des affrontements ont éclaté dans la province d'Idlib, limitrophe de la Turquie, après une opération de ratissage de l'armée de Damas. On ne signale pas de victimes pour le moment et les accrochages semblent avoir cesser.

    LE MONDE SE RÉJOUIT DU SILENCE DES ARMES

    Toutefois, les Comités de coordination locaux, qui regroupe des opposants sur le terrain, ont rapporté des fusillades nourries dans la localité de Kherbet Joz, non loin de la frontière turque. Plusieurs dizaines de blindés syriens seraient déployés en lisière de ce village.

    Pour Rami Abdoulrahman, directeur de l'OSDH, le cessez-le-feu décrété jeudi à l'aube semble tenir dans le reste du pays mais il n'existe toujours pas de signe d'un quelconque retrait de l'armée.

    D'après ce responsable, quatre personnes ont été tuées par balle jeudi en Syrie - trois ont été abattues par des tireurs embusqués à Homs, bastion du soulèvement anti-Assad, et un quatrième l'a été à un point de contrôle dans la province de Hama.

    L'OSDH a également dénombré plusieurs manifestations jeudi soir dans la ville de Daïr az Zour, dans l'est proche de l'Irak, ainsi qu'à Alep, la deuxième ville du pays située dans le Nord-Ouest. Les forces de sécurité ont tiré en l'air pour disperser les foules.

    La communauté internationale s'est réjouie du silence des armes en Syrie après 13 mois de violences qui ont fait, selon l'Onu, 9.000 morts. Damas affirme de son côté que les "terroristes à la solde de l'étranger" ont tué plus de 2.500 policiers et militaires.

    Le secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, a estimé que la situation semblait s'apaiser en Syrie. "Le monde observe toutefois (la situation) avec scepticisme compte tenu des nombreuses promesses non tenues par le passé par le gouvernement syrien", a-t-il dit lors d'une conférence de presse à Genève.

    "LE DOIGT SUR LA GACHETTE"

    D'après Vitali Tchourkine, représentant permanent de la Russie aux Nations unies, les 15 membres du Conseil de sécurité pourraient adopter dès ce vendredi une résolution autorisant l'envoi d'observateurs non armés, qui pourraient être au nombre de 250 si les voeux de Kofi Annan sont suivis. Une avant-garde d'une dizaine d'observateurs pourrait se rendre sur place très rapidement après le vote.

    Un projet de texte préparé par les Etats-Unis comporte une vague menace d'action future contre Damas en stipulant que le Conseil "fait part de sa volonté d'examiner de nouvelle mesures appropriées en cas de non-respect par le gouvernement syrien de ses engagements".

    Moscou et Pékin, qui ont opposé à deux reprises leur veto à des résolutions présentées par les Occidentaux et la Ligue arabe condamnant la répression menée par le gouvernement syrien, n'ont pas fait connaître leur position à l'égard du texte.

    Le plan de paix de Kofi Annan prévoit un retrait des soldats gouvernementaux des centres urbains, des négociations avec l'opposition en vue d'une "transition politique", la libération des prisonniers politiques, l'autorisation d'accès pour les organisations humanitaires et les journalistes et le "respect de la liberté d'association et de manifester pacifiquement".

    Burhan Ghalioun, président du Conseil national syrien (CNS) en exil, affirme ne pas faire confiance aux autorités pour permettre la tenue de rassemblements après la grande prière du vendredi.

    Selon lui, les soldats fidèles au pouvoir en place ont "le "doigt sur la gâchette". "Nous avons appelé les Syriens à manifester vigoureusement mais nous leur avons demandé d'être prudents parce que le régime ne respectera pas le cessez-le-feu et tirera", a-t-il déclaré à Reuters.

    Le ministère syrien de l'Intérieur a fait savoir que seules les manifestations ayant reçu un agrément préalable seront autorisées par la police.

    Pour un porte-parole du CNS, les troupes d'Assad ne peuvent tout simplement pas arrêter la violence car cela conduirait à une nouvelle vague de contestation contre la famille qui règne sans partage sur le pays depuis quatre décennies.

    "Dès qu'il y aura un véritable cessez-le-feu, les gens redescendront dans la rue pour manifester et demander son départ. Je crois que le régime va répliquer en ouvrant le feu à nouveau", a dit Bassam Imadi en exil à Istanbul.

    Ban Ki-moon a résumé ainsi la précarité de la situation sur le terrain: "Ce cessez-le-feu est fragile. Il peut être rompu à tout moment, dès qu'un nouveau coup de feu sera tiré."

    Avec Tom Miles à Genève; Pierre Sérisier et Jean-Loup Fiévet pour le service français


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