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"Le gouvernement légitime les dépassements d'honoraires"
Les complémentaires santé
Mutualité française : "Le gouvernement légitime les dépassements d'honoraires"
Interview
Le gouvernement vient d'instaurer une mesure pour maîtriser la flambée des dépassements d'honoraires, qui entre immédiatement en vigueur, contraignant les mutuelles à en rembourser une partie. Pour le président de la Mutualité française, Étienne Caniard, cette mesure va avoir pour effet de maintenir une situation de dépassements d'honoraires excessifs sans pour autant régler le problème de frein d'accès aux soins.
France-Soir. En quoi consiste concrètement cette mesure du gouvernement ?
Étienne Caniard. Cette mesure est une possibilité offerte aux médecins de trois spécialités (chirurgie, anesthésie, gynécologie-obstétrique) afin de pouvoir effectuer une partie de leurs actes en dépassement d'honoraires. Mais elle est fondée sur le volontariat des médecins. Il est donc très vraisemblable que les professionnels qui pratiquaient des tarifs inférieurs au niveau fixé auront intérêt à opter pour cette nouvelle option. Si tel est le cas, cela constituera un effet d'aubaine pour ces médecins, sans changement pour les assurés sociaux mais avec une dépense supplémentaire pour les mutuelles. Les médecins qui pratiquaient des tarifs supérieurs à ce niveau fixé dans l'option de coordination n'auront eux aucun intérêt à y adhérer. On maintiendra donc une situation de dépassements d'honoraires excessifs mais également de frein à l'accès aux soins.
F.- S. Quel impact cette mesure aura sur les cotisations des assurés ?
E. C. C'est encore difficile à dire aujourd'hui. En 2005, une option de coordination du même type avait été mise en place pour l'ensemble des actes techniques, dans toutes les spécialités, permettant ainsi une prise en charge améliorée des cotisations sociales des médecins en échange d'une autorisation de pratiquer des dépassements de 20 %, puis de 30%. Cette option a été boudée par les médecins. Sept ans après seuls 1500 d'entre eux y ont adhéré sur les 33.000 qui pouvaient le faire. Il est probable que nous nous retrouvions dans une situation assez semblable. Il n'y aura donc pratiquement aucun effet sur les cotisations. Mais il n'y aura aucun effet non plus sur l'amélioration de l'accès au soin. En revanche, si un nombre important de médecins adhéraient sans avoir d'effet sur l'accès aux soins, cela aurait un impact sur les cotisations. Cela va conduire à une augmentation des coûts, en apparence neutre pour les patients puisqu'ils seront pris en charge par les mutuelles. Mais, évidemment, cette prise en charge sera répercutée dans les dépenses des mutuelles et finalement dans les cotisations des assurés. C'est un faux cadeau qui est fait aux adhérents. Il vaudrait mieux maîtriser les dépenses pour éviter cette inflation plutôt que d'autoriser cette inflation et cet effet d'aubaine et conduire les assurés à payer cette amélioration dans leurs cotisations mutualistes dans les années qui viennent.
F.- S. Que proposez-vous pour enrayer la flambée des dépassements d'honoraires ?
E. C. Il faut sortir de la logique du paiement à l'acte. Un patient atteint d'une pathologie chronique a besoin de conseils, de surveillance, de réponses de son médecin. On vient bien que le suivi d'une pathologie de ce type serait beaucoup mieux assuré avec un paiement forfaitaire qu'avec un paiement à l'acte. Dans certains cas, il peut être une bonne solution. A condition qu'il soit adapté et qu'on ne se pas retrouve dans une logique où la faiblesse des rémunérations cherche à être compensée par le volume des actes. Toute la régulation du système de santé français a reposé sur ce principe. Pendant très longtemps les prix des médicaments étaient plus faibles que dans les autres pays européens et le volume de prescriptions plus important. Aujourd'hui, le volume de prescriptions est toujours important et pourtant nous avons des prix qui ont rejoint ceux des autres pays. Nous perdons sur les deux tableaux. Concernant les honoraires, c'est pareil. Quand on refuse de rémunérer correctement les médecins, on entre dans une logique de multiplication des actes. Il faut avoir une politique de juste revenu pour les médecins, pondérer les modes de rémunérations entre paiement à l'acte et rémunération forfaitaire, et faire en sorte que le paiement à l'acte corresponde à la valeurs réelle de la prestation médicale qui est apportée. Il faut également proscrire les dépassements d'honoraires les plus importants. Il n'est pas admissible que dans un système qui est financé par la collectivité, une liberté totale soit accordée à quelques praticiens, même s'ils sont peu nombreux. Les dépassements d'honoraires les plus importants sont le fait d'une minorité. Finalement, c'est la majorité des professionnels qui payent le prix de ces excès. On se livre à des amalgames en laissant penser que c'est une situation généralisée sur tout le territoire. Ce sont des excès contre lesquels nous pouvons lutter facilement. Il ne s'agit pas d'interdire à des professionnels de décider d'eux-mêmes des tarifs qu'il souhaitent appliquer. Mais s'ils veulent une liberté totale, ils doivent sortir de la convention. La collectivité n'a pas à financer des pratiques inacceptables.
F.- S. Certains évoquent un cadeau électoral de la part du ministre de la Santé Xavier Bertrand, à moins de 30 jours de la présidentielle. Qu'en pensez-vous ?
E. C. Il s'agit davantage d'un effet d'annonce que d'une mesure structurante. Toutes les institutions du secteur, des syndicats de salariés aux associations de patients, critiquent d'ailleurs l'efficacité de cette mesure. Nous voyons bien que nous sommes dans une logique inflationniste qui ne servira en rien à améliorer l'accès aux soins ni d'ailleurs leur qualité. A travers cette mesure, le gouvernement légitime tout simplement les dépassements d'honoraires.
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