• Le monologue de Vladimir Poutine

    Le monologue de Vladimir Poutine

    Chronique | LEMONDE | 29.12.11 | 14h51   •  Mis à jour le 29.12.11 | 17h33

    par Natalie Nougayrède (International)

    Ils ne m'auront pas. Combien de manifestants à Moscou ? 100 000 ? Une petite minorité d'agités. Des singes, des nuls, téléguidés par les Américains qui ne pensent qu'à laminer la Russie. S'ils croient m'impressionner, ces pelés. Je vais finasser. Je vais finasser. L'Etat russe a pléthore de réserves en devises, je vais arroser. J'ai laissé le gamin (Medvedev) annoncer des réformes politiques, ça fait plaisir. Elles abuseront les naïfs. Ce qui est important, c'est de ne jamais paraître faible. Sinon, c'est la curée.

    En douze ans, je me suis fait un tas d'ennemis. C'est normal. La verticale du pouvoir a fait profiter quelques personnes de l'argent du gaz et du pétrole. Les porteurs de préservatifs qui manifestent n'ont aucune gratitude : j'ai redressé le pays, et ils osent réclamer une "Russie sans Poutine" !

     

    Pas de faiblesse ! Comme disait Staline, que j'ai cité à la télévision en 2004, avant de serrer la vis en politique intérieure : "Les faibles, on les frappe." J'ai fait passer le message à Bachar Al-Assad, en Syrie : "Laisse entrer les observateurs de la Ligue arabe pour relâcher la pression extérieure, mais reste intraitable avec les agitateurs." Comme ça, on gagne du temps. Lui aussi est visé par un complot étranger. Il est mon dernier allié dans le monde arabe. Je ne le lâcherai qu'à la dernière minute. S'il le faut.

    Les Iraniens aussi aident Al-Assad à tenir. Ceux-là, je ne leur fais pas confiance. Des Perses islamistes... Mais on a des intérêts communs contre les Américains. La Russie a bien fait de soutenir Ahmadinejad en 2009, quand il était confronté à un soulèvement de rue. On l'a aussitôt accueilli pour un sommet, dans l'Oural, au côté du Chinois Hu Jintao. On lui a dit de ne pas mégoter sur la méthode forte. Deux ans plus tard, il tient toujours.

    NE JAMAIS PARAÎTRE FAIBLE

    J'ai horreur des foules que l'on ne contrôle pas. Ça me rappelle de mauvais souvenirs. En 1990, quelques mois après la chute du Mur, je m'étais retrouvé bloqué comme un rat dans les locaux du KGB, à Dresde, où j'étais en poste. Des milliers d'Est-Allemands massés sous nos fenêtres menaçaient d'attaquer l'immeuble. Le "Centre" (Moscou) ne répondait plus. Certains pensent que la chute de l'URSS m'a traumatisé. Mais le premier choc a été cet épisode atroce, l'impuissance face à une foule en colère. Plus jamais ça.

    Plus que trois mois à tenir jusqu'à la présidentielle. J'y arriverai. Le "printemps des peuples", les "soulèvements Facebook", quelle blague ! Il ne faut rien lâcher. Ben Ali s'est enfui comme un lâche. Moubarak s'est fait déposer sans résistance, et il se retrouve encagé dans le box des accusés. Kadhafi s'est battu jusqu'au bout contre l'OTAN, pour finir lynché par les forces spéciales occidentales. Ah, elle est belle la morale occidentale et la responsabilité de protéger ! Une foutaise pour gogos ! Et derrière les gros intérêts des Occidentaux, toujours !

    Les cris bêlants des Américains sur les "sociétés civiles", je les connais bien : c'est comme ça que la CIA a eu la peau de Slobodan Milosevic, en 2000. Une insurrection de rue maquillant un coup d'Etat, après des élections contestées. Milosevic s'est retrouvé au tribunal de La Haye. Pendant toutes ces années, il avait galvanisé les Serbes avec des guerres, en Bosnie, au Kosovo. Moi non plus, je n'ai pas lésiné, en Tchétchénie. Mais celui qui me transférera à un tribunal n'est pas près de naître !

    Après avoir coffré Milosevic, les Américains ont commencé à fomenter les "révolutions de couleur", en Géorgie et en Ukraine. Toujours pour encercler la Russie. A l'époque, je n'avais rien vu venir. Aujourd'hui, je suis paré. J'ai gonflé le budget de la défense et des services.

    La bonne nouvelle, c'est que les Européens ne me critiquent pas trop, après le coup des législatives du 4 décembre. Des mous et des faibles, et en plus tendant la sébile, avec tous leurs problèmes de dette. La Russie est le salut de l'Europe chrétienne face aux fous musulmans du Sud, et avec la Chine dans notre dos. J'ai dit au gamin de faire miroiter 10 milliards d'euros d'aide financière aux Européens. L'idée me plaît : la Russie, qui mendiait auprès du Fonds monétaire international dans les années 1990, se portant au secours de la zone euro ! On aura tout vu ! Quelle revanche !

    Et, si Angela Merkel s'avise de hausser le ton contre les arrestations en Russie, je téléphonerai à Gerhard Schröder. Il arrangera ça. Il me le doit bien, avec sa grosse rémunération de Gazprom. Le grand avantage de ma politique du gaz, c'est qu'elle nous vaut des amitiés solides en Allemagne.

    Les Américains veulent faire de nous des vassaux. Je savais qu'il fallait se méfier de Hillary Clinton. C'est elle qui a donné le signal des manifestations en Russie. Elle ne vaut pas mieux que son mari, Bill, ce sournois qui tapait dans le dos du "bon vieux Boris" (Eltsine) tout en élargissant l'OTAN à nos portes.

    Ma grande surprise, c'est qu'Obama ne s'intéresse pas à l'Europe. En plus, il a besoin de moi pour chercher un arrangement sur le nucléaire iranien. Et puis, pour évacuer ses troupes et ses équipements d'Afghanistan, il dépend de la route du Nord, par l'Asie centrale. La crise avec le Pakistan l'a piégé.

    JE VAIS TENIR

    Les opposants russes vont se fatiguer. Je vais profiter de la pause du Nouvel An. Ils n'ont ni programme ni leader, à part ce blagueur de Navalny que les Américains cultivent en sous-main. Il est d'ailleurs passé par une de leurs universités. Il est dangereux pour moi, car il a la fibre nationaliste. Comme en Serbie, les Américains calculent que le seul recours politique solide, en Russie, viendra d'une trahison au sein du camp nationaliste.

    Ils n'ont pas tort. Ce n'est pas la frange ridicule des soi-disant "démocrates" russes qui pourra m'inquiéter ! Mais je n'aimerais pas qu'ils se mettent à fouiller dans certains dossiers : toutes les liquidations d'opposants depuis dix ans, comme cette illuminée de Politkovskaïa, le traître Litvinenko, ou encore ce journaliste Tchikhotchikhine qui enquêtait sur l'or du Parti. Et j'en passe. Le pire serait qu'avec l'aide de la CIA l'opposition expose les réseaux qui m'ont permis de mettre un bon pactole de côté. Mais cela, les singes n'auront pas le courage d'en parler haut et fort ! J'ai tous les noms. Les Américains pensent que mon soutien à Bachar Al-Assad va me coûter cher en termes d'image. Ils se trompent. Ces choses lointaines, les Russes s'en fichent.

    En Russie, c'est en restant le maître qu'on assure sa sécurité personnelle. Qui pourrait me garantir une "sortie" en toute immunité, comme je l'ai fait pour ce croulant d'Eltsine en 1999 ? Personne. Je vais tenir. Je serai le président qui accueillera les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Tout le monde viendra. Comme aux JO de Pékin. Le peuple aime son tsar. Qui peut en douter ?


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