• Le pape de toutes les surprises

    21 Mars 2013   
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    Le pape de toutes les surprises

     

     

    Catholicisme. Son élection a déjoué tous les pronostics. Étonnant déjà le monde par sa simplicité, le pontificat de François devrait être riche en surprises, venant d'un homme aussi chaleureux que déterminé.

    Un pape qui, le soir de son élection, refusant de revêtir les signes de l’autorité pontificale qu’on lui propose, se présente comme simple évêque de Rome ; qui, après s’être incliné devant le peuple pour recevoir la prière qu’il lui avait demandé de faire pour lui, s’en retourne dîner avec les cardinaux qui l’ont élu, repartant avec eux dans le même minibus dans lequel il était venu. Un pape qui, le lendemain, après être allé porter un bouquet de fleurs à la Madone à Sainte-Marie-Majeure, va chercher ses valises à la Maison du clergé où il séjournait jusqu’alors, et paie la note de son séjour ; un pape qui, après avoir célébré la messe dimanche matin à Sainte-Anne, la petite église du Vatican, salue les fidèles un par un, comme un curé de paroisse ; puis termine son premier Angelus en souhaitant à la foule un « bon déjeuner »… Mais aussi un pape qui, lors de sa première homélie, cite l’écrivain français Léon Bloy pour mettre en garde ceux qui, faisant profession de servir le Christ, sont en réalité au service du diable ; un pape qui prêche une « Église pauvre, pour les pauvres » ; un pape qui dénonce la tentation de prêcher le Christ sans la Croix ; un pape à l’intronisation duquel a assisté, pour la première fois depuis le schisme survenu en 1054, le chef spirituel des orthodoxes, le patriarche Bartholomée Ier de Constantinople.

    Si les premiers gestes qui ont marqué le monde entier témoignent de la simplicité d’un homme qui n’entend pas changer sa façon de faire parce qu’il est devenu pape, ses premiers jours ont aussi porté la marque d’un pasteur qui entend bien mettre l’audience et la sympathie que lui attire cette simplicité au service de gestes forts. Préfigurant un pontificat qui lui ressemble : spontané et jamais là où on l’attend.

    Survenue à la surprise générale, son élection fut aussi un effarement pour les vaticanistes, qui ne citaient son nom que pour dire qu’il n’avait aucune chance compte tenu de son âge — 76 ans — et dans un Sacré Collège dominé par des ratzingeriens de stricte obédience. Lorsque, mercredi 13, à 19 h 05, au deuxième jour du conclave, la fumée blanche s’est élevée devant des dizaines de milliers de fidèles attroupés depuis deux heures sous la pluie et dans le froid, tout le monde s’accordait encore pour dire qu’il ne pouvait s’agir que de l’un des favoris, probablement choisi parmi les cardinaux Scola, Scherer ou Ouellet : cinq tours de scrutin ne pouvaient avoir suffi pour un outsider…

    Pendant une heure encore, pressé dans une foule qui grossit de minute en minute, sans que cette pression soit jamais oppressante tant la joie et la bonne humeur sont éclatantes, au milieu de cette place sublimement théâtrale, on a tout le temps d’apprécier un suspense dont la graduation subtile n’a rien à envier aux plus belles réussites hitchcockiennes. Lorsque le cardinal Tauran annonce enfin le nom de Jorge Maria Bergoglio, bien peu savent de qui il s’agit : la foule n’en laisse pas moins éclater une allégresse exubérante, encore renforcée par le choix du prénom Francesco (lire notre encadré), qui va droit au coeur des Italiens. Comme les séduisent immédiatement les premiers mots de cet homme pourtant tétanisé par l’émotion, qui leur parle comme évêque de Rome, fait prier la foule pour son prédécesseur et s’en va tranquillement après avoir souhaité à tout le monde un « bon repos ».

    Déjà les vaticanistes reprennent leurs supputations : comment le conclave a-t-il pu parvenir à un résultat si surprenant ? Le premier sentiment est que cette élection tourne le dos au souhait exprimé par Benoît XVI lors de sa renonciation : celui d’un pape vigoureux, prêt à poursuivre son oeuvre de remise en ordre de l’Église. On se souvient qu’en 2005, c’est sur le cardinal Bergoglio que s’étaient rassemblées les voix de ceux qui ne voulaient pas de Ratzinger. Ayant réuni quarante voix au troisième tour, il aurait demandé à ses supporters de cesser de voter pour lui, ouvrant ainsi la voix à l’élection de Benoît XVI. C’est contre son gré qu’on l’aurait opposé à Benoît XVI, pour qui il aurait personnellement voté dès le premier tour.

    Cette fois-ci, son nom a commencé à émerger lors des congrégations générales. Lors de ce tour d’horizon, l’intervention du cardinal Bergoglio, courte mais ramenant tout à l’essentiel, aurait fortement impressionné ses confrères. Les Italiens, peu désireux de voter pour le cardinal Scola, trop réformateur à leurs yeux, auraient abandonné l’espoir de conserver la papauté pour eux-mêmes et auraient cherché un étranger “italo-compatible” susceptible de leur conserver la secrétairerie d’État ; lancé avant le conclave, le nom du Brésilien Odilo Pedro Scherer n’aurait été qu’un ballon d’essai destiné à mieux acclimater l’idée d’un autre Sud-Américain : Jorge Maria Bergoglio. Le premier tour ayant vu l’effondrement des candidatures Scherer et Scola, l’ensemble des cardinaux américains, Nord et Sud confondus, se se raient unis sur le nom de ce prélat extra-européen totalement étranger à la curie. Fort de cette dynamique, le cardinal Bergoglio aurait obtenu, au cinquième tour, 90 voix sur 115, bien au-delà des 77 nécessaires.

    Le 266e pape est donc, pour la premiè re fois, un homme étranger à l’Europe ou aux pourtours du bassin méditerranéen. Jorge Maria Bergoglio est né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires : connu pour son attention aux pauvres, il est lui-même issu d’un milieu très modeste. Fils d’un immigré piémontais employé des chemins de fer, il entre dans la Compagnie de Jésus en 1958, après avoir abandonné des études de chimie. L’année précédente, il a subi l’ablation d’une partie d’un poumon. Ordonné prêtre en 1969, il sera provincial des jésuites argentins de 1973 à 1979. Dans cette période troublée — l’Argentine vit sous une dictature militaire de 1976 à 1983 —, il a à coeur d’écarter les prêtres de la Compagnie de la tentation de la politique, et notamment de la théologie de la libération, qui fait des ravages en ces années-là. Le père Bergoglio, lui, est aussi sévère avec cette option préférentielle pour les pauvres fortement teintée de marxisme que critique pour « ces formes de néolibéralisme qui considèrent les profits et les lois du marché comme des absolus, au détriment des personnes et des peuples ». En 1979, le supérieur général des jésuites Pedro Arrupe, engagé dans un bras de fer avec Jean-Paul II qui lui reproche sa complaisance envers la théologie de la libération, met Bergoglio sur la touche, pour avoir été trop proche de la position vaticane.

    Il connaît alors une relative traversée du désert, dont Jean-Paul II le tire en le nommant évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992, puis titulaire en 1998 et enfin cardinal en 2001. À la tête du principal diocèse argentin, cet évêque qui fut proche du péronisme dans sa jeunesse n’a pas hésité à s’opposer au pouvoir politique quand il le croyait nécessaire, notamment face au couple Kirchner. Ses détracteurs l’ont accusé, sans « aucun élément concret » vient de réaffirmer le président de la Cour suprême argentine, de complicité avec la dictature militaire, alors qu’il a obligé l’Église d’Argentine à une repentance pour ses compromissions.

    Devenu évêque, il n’a rien changé à un mode de vie ascétique, habitant un modeste appartement plutôt que le palais épiscopal, préférant les transports en commun aux voitures avec chauffeur ou cuisinant lui-même ses repas. Proche de ses prêtres, il n’a pas hésité, en 2009, à venir loger chez l’un d’entre eux, dans un bidonville, alors qu’il était menacé par les narcotrafiquants. Ses premiers gestes de pape montrent qu’il n’entend rien changer à sa façon d’être : “Frère pape” sera vraisemblablement un pape “low cost”, comme l’a appelé joliment le journaliste italien Maurizio Caverzan.

    Pape ascétique ne veut pas dire pape triste : en quelques jours, François a déjà su montrer un solide sens de l’humour. Chaleureux, spontané, débonnaire, jamais avare d’un bon mot ou d’une anecdote, il a gagné immédiatement le coeur des foules — et des médias. Recevant en audience, samedi 16 mars, les quelque 6 000 journalistes accrédités pour le conclave et leurs familles, il les a conquis en racontant des anecdotes savoureuses sur son élection, et surtout par cette profession de foi : « Ah, comme je voudrais une Église pauvre, et pour les pauvres ! »

    Cette lune de miel médiatique (à peine troublée par les accusations relatives à la dictature argentine) durera-telle ? Il est permis d’en douter, quand on voit les positions très conservatrices du cardinal Bergoglio sur tous les sujets sur lesquels les médias souhaiteraient voir l’Église se conformer à l’air du temps : sur le mariage homosexuel, qu’il a décrit comme un effet de « la jalousie du démon » visant à « détruire le plan de Dieu » ; sur l’avortement (« Quand il s’agit d’une mère enceinte, on parle de deux vies : les deux doivent être préservées et respectées parce que la vie est une valeur absolue ») ; ou sur le célibat des prêtres et l’ordination des femmes, l’archevêque de Buenos Aires s’est toujours montré d’une fermeté absolue. Tôt ou tard, cela devrait lui valoir les mêmes attaques que ses prédécesseurs. D’autant que, pape d’outre- Atlantique, François semble jouir d’un parler franc, d’une vigueur de langage auxquels les Occidentaux sont désaccoutumés… Dans il Giornale, Stefano Filippi remarque : « Le sport favori des faiseurs d’opinion est de créer des idoles, pour mieux les abattre. […] Aujourd’hui [François] est le pape des pauvres, l’anticurie […]. À peine aura-t-il répété ce qu’il a toujours dit, par exemple contre l’avortement, le mariage gay, l’impérialisme de l’argent et l’économie spéculative, que les cieux s’ouvriront et l’idole sera abattue. »

    Dans quel sens s’exercera son pontificat ? Deux des sujets chers au coeur de Benoît XVI, la restauration liturgique et la réconciliation avec les lefebvristes, n’ont jamais fait partie de ses préoccupations d’évêque. Certains veulent voir un signe pourtant dans le fait que, le lendemain de son élection, en visite à Sainte-Marie-Majeure, il est allé prier sur le tombeau de saint Pie V, codificateur de la liturgie traditionnelle… D’autres s’inquiètent au contraire des risques de désacralisation d’une fonction pontificale que Jean-Paul II et Benoît XVI s’étaient donné tant de mal à restaurer.

    Conformément à la façon dont il s’est présenté au balcon de Saint-Pierre le soir de son élection, plus comme un “primus inter pares” que comme le chef de l’Église universelle, l’enseignement de Mgr Bergoglio a toujours insisté sur la collégialité : « Il met l’accent sur l’Église comme une communauté de croyants en marche, d’où son recours fréquent à l’image biblique du chemin, note Mgr Jean Laffitte, secrétaire du Conseil pontifical pour la famille ; ce qui ne veut pas dire qu’il méconnaisse l’aspect spécifiquement pétrinien de son ministère. »

    Malgré la référence franciscaine, ce pape qui, à Sainte-Marie-Majeure, est aussi allé prier dans la chapelle où saint Ignace de Loyola a dit sa première mes se, le jour de Noël 1538, reste fondamentalement un jésuite. La façon dont, dans son homélie de la chapelle Sixtine, il a insisté sur le combat spirituel est typi que de la spiritualité ignacienne, comme la récurrence dans ses homélies de la référence au diable. « Il a montré qu’il y a un combat spirituel, qui est un combat ténébreux, et il a nommé l’adversaire », apprécie Mgr Laffitte. « Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, on confesse la mondanité du diable, la mondanité du démon » : la force de ces paroles du pape François a évidemment été interprétée comme une al lusion à la nécessaire purification de l’Église.

    Ce pape dénué de la moindre expérience de la curie romaine, qui a été choisi par ses pairs, selon Mgr Jean- Pierre Ricard, « essentiellement pour sa capacité à annoncer l’Évangile », saura-til nettoyer ce que beaucoup voient comme une “curie d’Augias” ? Cela dépendra en grande partie du choix du secrétaire d’État. Mais on peut d’ores et déjà noter que les premiers gestes du pape François témoignent d’une autorité, d’une capacité à imposer ses façons de faire, qui semblent annonciatrices d’un pontificat riche en initiatives surprenantes, dans tous les domaines. Avec sa bonhomie apparente et son autorité naturelle, le pape François semble la parfaite incarnation du précepte énoncé au XVIe siècle par Claudio Acquaviva, le maître de la pédagogie jésuite : « Fortiter in re, suaviter in modo », “fermeté sur le fond, douceur dans la forme”.

    De notre envoyé spécial à Rome

    Photo © SIPA


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