• « Les attentats d?Ankara vont sans doute désenclaver la question kurde »

    « Les attentats d’Ankara vont sans doute

    désenclaver la question kurde »

    Le Monde.fr | <time datetime="2015-10-12T19:33:48+02:00" itemprop="datePublished">12.10.2015 à 19h33</time> • Mis à jour le <time datetime="2015-10-12T21:22:52+02:00" itemprop="dateModified">12.10.2015 à 21h22</time> | Par

    <figure class="illustration_haut " style="width: 534px"> Des proches de victimes du double attentat d'Ankara se receuillent à Istanbul. </figure>

    Deux jours après le double attentat qui a tué quatre-vingt-dix-sept personnes, samedi 10 octobre à Ankara, les autorités turques ont désigné l’organisation Etat islamique comme « suspect numéro un » de cette attaque et ont démenti toute défaillance des services de sécurité. Elles ont également confirmé la tenue des élections législatives le 1er novembre.

    Dorothée Schmid, chercheuse et directrice du programme Turquie contemporaine à l’Institut français des relations internationales (IFRI), revient sur les conséquences de cet attentat pour la Turquie.

    Lire aussi : Après l’attentat d’Ankara, la Turquie au bord du gouffre

     

    Quel message ce double attentat envoie-t-il ?

    Dorothée Schmid : C’est un attentat destiné à semer le chaos, à intimider la communauté kurde dans sa composante politique et légaliste, et à interrompre le processus électoral.

    Plusieurs suspects potentiels ont été désignés. Quelles pistes vous semblent les plus crédibles ?

    Il est difficile de savoir qui est derrière cette attaque, car nous avons très peu d’informations sur la façon dont elle s’est déroulée et sur l’avancée de l’enquête.

    L’idée que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) serait responsable de l’attaque n’est pas rationnelle. On voit mal le parti sacrifier une centaine de Kurdes et de sympathisants de gauche simplement pour semer le chaos. Et l’extrême gauche, qui agit en général à petite échelle, n’a sans doute pas les moyens de faire autant de victimes.

    L’organisation Etat islamique (EI) a la capacité logistique de perpétrer un tel attentat et peut avoir une justification politique à frapper la Turquie, qui dit combattre les djihadistes en Syrie. Mais en général, l’EI revendique ses attentats. Le gouvernement turc privilégie d’emblée cette piste, mais sans apporter de preuves convaincantes. Il veut surtout écarter rapidement toute hypothèse mettant en cause sa responsabilité, directe ou indirecte.

    C’était la même chose après l’attentat de Suruç [trente-deux personnes avaient été tuées le 20 juillet dans cette ville située à la frontière avec la Syrie], pour lequel il n’y a pas eu de revendication. Le gouvernement a fait porter la responsabilité à l’EI, mais il y avait là encore des incertitudes.

    Le gouvernement peut-il porter une part de responsabilité ?

    D’un point de vue général, oui, car il a maintenu un état de tension extrême dans le pays. On sait que des militants du Parti de la justice et du développement [AKP, le parti islamo-conservateur du président Erdogan] et des Foyers ottomans, une organisation de jeunesse liée au parti, sont impliqués depuis des mois dans des actes de violence quasi quotidiens contre le Parti de la démocratie des peuples [HDP, parti pro-kurde de gauche]. Et l’Etat n’est pas capable d’assurer la sécurité des manifestations.

    D’autres hypothèses pointent la responsabilité de « l’Etat profond », une nébuleuse d’acteurs extrémistes ayant des relais au sein des institutions elles-mêmes. Le régime d’Erdogan s’est-il fait déborder par des éléments radicaux qui lui seraient liés ? Il sera très difficile de le savoir, car le gouvernement est obsédé comme jamais par le contrôle de l’information.

    Quel impact cet attentat peut-il avoir au plan politique ?

    Il a un effet d’intimidation énorme et évident pour le HDP, le principal rival de l’AKP [ce parti pro-kurde a, pour la première fois lors du scrutin de juin, obtenu plus de 10 % des voix au Parlement, privant l’AKP de majorité]. Le HDP a annoncé qu’il allait suspendre sa campagne, annuler ses meetings. Cela va mettre tous les partis sur la défensive, mais il n’est pas du tout évident que cela redistribue les voix. Dans tous les cas, contrairement au mois de mai dernier, où la campagne était très visible, il n’y avait ces dernières semaines quasiment pas de campagne en Turquie.

    Cette attaque va-t-elle durcir encore le conflit entre le pouvoir et les Kurdes ?

    Tant qu’il n’y aura pas de revendication, pas d’enquête bien menée, pas d’explication claire sur ce qui s’est passé à Diyarbakir, à Suruç et à Ankara, les Kurdes considéreront que le gouvernement turc est responsable de ces attaques et qu’il mène une guerre contre les Kurdes — et pas uniquement contre le PKK.

    Jusqu’à présent, M. Erdogan avait réussi à contrôler l’information : à Istanbul et à Ankara, les Turcs savaient très peu de chose sur ce qui se passait à l’est. Après ce nouveau palier de violences, qui a frappé la capitale, le pouvoir va sans doute avoir plus de mal à cacher à la population cette sale guerre qu’il mène contre le PKK. Ces attentats vont sans doute désenclaver la question kurde.

    Lire aussi : Turquie : Erdogan et la politique du pire


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